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Chapitre 2. RECENSION DES ÉCRITS

2.2 Significations de la santé

2.2.1 La santé est située dans un corps biologique

2.2.1.1 La santé est une mesure biologique fondée sur une idée de normalité

Selon des auteurs d'études séminales sur la santé, dont Canguilhem (1966), Herzlich (1969) ou Sointu (2006), le corps biologisé détient une place centrale et incontournable dans les représentations

sociales de la santé. Il est question de mesures biologiques par rapport à une norme prédéfinie ainsi que d'homéostasie (ou d’équilibre) du corps et de l’esprit. Également, plusieurs connaissances transmises socialement au sujet de la santé proviennent du champ dominant des sciences biomédicales traduites au moyen de signes, de symptômes et de diagnostics. D’ailleurs, certains auteurs ne conçoivent la santé que dans ses dimensions biologiques. C’est le cas de Leriche (1936 dans Canguilhem, 1966) pour qui la santé est « la vie dans le silence des organes », c’est-à-dire, rien d’autre que l’absence de maux et de pathologies, soit une entité purement objective. Parmi les adhérents à cette définition, il y a Boorse (1975) qui a développé sa théorie biostatistique de la santé : « la santé au sens théorique est l’absence de maladie, la maladie n’est pas autre chose que le fonctionnement biologique d’une partie de l’organisme statistiquement sous-optimal pour l’espèce; donc la classification des états humains comme sains ou pathologiques est une question objective, que l’on doit résoudre à partir des faits biologiques de la nature sans qu’il soit nécessaire de recourir à des jugements de valeur » (Boorse, 1975 dans Giroux, 2010, p. 61).

Pour Boorse (1975), la santé se résume à n’être que la « conformité au design de l’espèce » (Giroux, 2010, p. 61) déterminée par la nature et programmée biologiquement. Dans une même logique, certains, dont Balog (2013), soutiennent que la santé doit être objectivable et quantifiable et ne peut être multidimensionnelle. Pour cet auteur, il est injustifié de parler de santé sociale, de santé mentale (puisque le cerveau est biologie) ou de santé émotionnelle.

« La santé est un phénomène naturel qui prend clairement racine dans le domaine physique et peut être mesurée et appréciée par la capacité de fonctionnement du corps humain en congruence avec la physiologie naturelle et dans quelle mesure l’individu arrive à bien atteindre les objectifs de fonctionnement de l’être humain » (Balog, 2013, p. 269).

Non seulement les théoriciens, mais certaines personnes interrogées dans le cadre d'études sur la signification de la santé la perçoivent comme étant essentiellement une absence de maladie (Benisovich et King, 2003; Nazli, 2012). Par ailleurs, dans son ouvrage incontournable « Le normal et le pathologique », Canguilhem (1966), philosophe et médecin, explique que la maladie n’est pas l’opposé de la santé puisque la maladie est souvent un hypo ou un hyper de la santé, et non seulement un dys-fonctionnement et a-fonctionnement. Ainsi, il soutient que les normes biométriques sont souvent établies de façon arbitraire, soit par des moyennes qui ne sont nullement objectives.

2.2.1.2 La santé est inséparable de la maladie

Des auteurs de travaux séminaux sur le concept de santé dont le philosophe et médecin Canguilhem (1966), la sociologue Herzlich (1669) et le philosophe Nordenfelt (1995) ont trouvé qu’il est difficile pour les personnes d'évoquer ce que signifie pour elles la santé, sans parler de la maladie et que, de

plus, on ne peut étudier la santé et la maladie séparément. Getz (2006) souligne que la santé prend tout son sens lorsqu'elle est perdue ou menacée : « la santé, comme la foi, l’amour, la beauté, et le bonheur, est un concept métaphysique qui échappe à toutes tentatives d’objectification. Il s’agit de quelque chose que l’on peut vraiment apprendre à apprécier que lorsqu’elle n’est plus » (p. 30). Allant dans le même sens, Herzlich (1969) fait remarquer que bien souvent « on ne pense à sa santé, et même on ne la perçoit que lorsqu’on l’a perdue » (p. 75). Un participant à son étude en France, sur les représentations sociales de la santé, énonce : « la santé au fond, c’est une chose un peu négative; tant qu’elle n’est pas atteinte, on ne réalise pas qu’on est en bonne santé! » (p. 75). Un autre affirme que « Quand on est en bonne santé, on n’y pense pas, on pense à autre chose » (p.75). Herzlich qualifie d’« états intermédiaires » ces états ou constitutions biologiques qui se situent entre la santé et la maladie. Comme l'illustre ce participant : « il y a tous les petits maux, les petites situations d’inconfort qu’on a plus ou moins toute l’année, les maux de tête, l’intolérance à l’alcool, la digestion difficile, la fatigue. Je ne les considère pas comme des maladies, on n’est pas malade, on n’est pas non plus en bonne santé » (Herzlich, 1969, p. 75). De plus, on qualifie communément de « ill-health » soit de santé précaire (ou pour traduire textuellement de « santé malade »), des états physiologiques et psychiques dans lesquels se trouvent des personnes qui ne jouissent pas d’une bonne santé et qui fréquemment souffrent de petits maux et tombent malade.

Enfin, selon Herzlich (1969), les personnes conçoivent la santé sous trois formes prédominantes soit : la « santé vide », le « fond de santé » et « l’équilibre » qui toutes se déterminent ou se discutent en fonction de la maladie. La « santé vide » serait l’absence de maladie et de symptôme. Le « fond de santé » consiste en la robustesse, la force et la résistance individuelle aux maladies qui se construit depuis l’enfance. Enfin « l’équilibre » est davantage propre à la santé et consiste en des aspects positifs qui lui sont attribuables, dont le bien-être physique, le bien-être psychologique, le bien-être relationnel et la bonne humeur (Herzlich, 1969). Également pour Herzlich (1969), la santé est représentée comme étant insérée dans le construit « santé maladie ». Ainsi, elle ne s’oppose pas à la maladie, mais plutôt coexiste avec celle-ci. De plus, selon Canguilhem (1966), on peut vivre à la rigueur avec bien des malformations ou des affections, l’organisme étant en constante adaptation pour tendre vers une normalisation. Pour lui, il n’y a pas de séparation claire entre maladie et santé.

2.2.1.3 La santé représente une force naturelle au milieu d’attaques à l’intégrité de la personne Le maintien de l’ordre normal des choses, soit un certain état qui s’oppose à la maladie, la notion de l’existence d’une force naturelle qui est capable de maintenir l’équilibre, imprègne les représentations populaires de la santé selon Herzlich (1969). Par ailleurs, en concordance avec les conclusions de

Canguilhem (1966), Herzlich (1969) soutient que « contrairement à ce que ce terme paraît indiquer, l’équilibre est possibilité d’excès, d’abus, être en équilibre, c’est pouvoir user de son corps jusqu’à en abuser; c’est à la limite, pouvoir tout se permettre » (p.86). De plus, Canguilhem (1966) soulève que vivre des excès, des omissions, à la limite, se rendre volontairement malade fait partie de la normalité ou plutôt des inflexions et des impulsions fondamentales de la vie humaine qui tiennent d’un sentiment d’assurance face à la vie. Rechercher l’équilibre tout comme rechercher à dépasser des cadres et transgresser des limites font partie des dynamiques de santé (Canguilhem, 1966). En effet, pour lui « la santé est une marge de tolérance des infidélités du milieu » (p. 170) et non pas l’absence de maladie. Un homme ayant participé à l’étude d’Herzlich (1969) témoigne :

« pour moi, il n’y a pas de santé absolue, c’est beaucoup plus la capacité d’équilibrer la vie… être un peu malade par exemple, avoir les bronches faibles ce n’est pas être en mauvaise santé, même avoir une petite crise d’asthme. Je suis en santé quand je suis en équilibre, quand je me sens capable de faire ce que je veux » (p.87).

Pour reconnaître la santé en soi, il faut faire l’expérience d’épreuves, de tensions, de crises ou de fluctuations au sens affectif autant qu'au sens physique. Pour ces raisons, selon Canguilhem (1966), la santé ne peut se réduire à un état d'équilibre. Canguilhem (1966) écrit :

« or, cela exige que l’organisme, en affrontant des risques, accepte l’éventualité de réactions catastrophiques. L’homme sain ne se développe pas devant les problèmes que lui posent les bouleversements parfois subits de ses habitudes, même physiologiquement parlant il mesure sa santé à la capacité de surmonter les crises organiques pour instaurer un nouvel ordre » (p. 173).

Outre la force ou l’équilibre, plusieurs études variées rapportent que les personnes font référence à la santé comme étant un « état naturel ». Ainsi, un participant à l’étude de Sointu (2006) affirme que : « La santé, je crois est notre état naturel … les gens sont en santé » (p. 335). Canguilhem (1966) rappelle que selon la pratique d’Hippocrate, « La nature (phylis), en l’homme comme hors de lui, est harmonie et équilibre. Le trouble de cet équilibre, de cette harmonie, c’est la maladie » (p. 14). Puisque le déséquilibre est à l'origine de la maladie, pour Canguilhem (1966), il n’y a pas de rétablissement possible à l’état antérieur à la maladie, seulement un nouvel équilibre peut s’installer, un nouvel ordre, qui peut être meilleur que l’état antérieur. Des similitudes peuvent être tracées entre le nouvel équilibre à atteindre et le concept de « fond santé » identifié par Herzlich (1969). Suivant cette logique, la santé peut être perçue comme une réaction, un mouvement, un potentiel en attente d'être soumis à l'épreuve que constitue, entre autres, la maladie.

Après une maladie, l’adaptation du corps afin de regagner un niveau de fonctionnement acceptable fait référence à l’allostasie ou à la recherche d’une stabilité ou d’un équilibre après un changement (Getz, 2006). Par ailleurs, quoique saine, si cette adaptation devient une nécessité

constante, celle-ci peut engendrer des problèmes chez l’individu. En effet, biologiquement, chez un individu, la nécessité d’ajustement constant face aux stresseurs ou aux signaux d’alarme amène une décharge de cortisol à répétition des surrénaliennes qui peut mener à différents processus pathogènes dont des troubles fonctionnels, de la détresse psychologique ou des ulcères gastriques (Canguilhem, 1966). Aussi, par mutations, accidents, exposition à des matières, des stresseurs, etc., des pathologies s’installent, soit des dysfonctionnements qui menacent l’intégrité et les fonctions de l’organisme.

La santé en revanche, se crée naturellement par l’organisme qui s’autorégule. C’est « la normalité » qui est aussi favorisée ou protégée par des environnements sains, non pollués, calmes, pacifiques, des relations humaines harmonieuses, chaleureuses, amicales, réconfortantes. Le sain représente aussi un minimum de confort, de chaleur, d’énergie, de calme ainsi que de bonne nourriture nutritive, en quantité adéquate et qui n’est pas nocive ou contaminée. L’extérieur serait la menace principale à l’intégralité de la personne et amène la maladie. Ainsi, la santé est non seulement largement perçue comme naturelle, elle est aussi perçue comme « endogène » chez l’être humain (Herzlich, 1969), c’est-à-dire comme provenant de l’intérieur de soi ou de son environnement social lorsque ce dernier est vu comme cohérent. Essentiellement, les représentations sociales de la santé se construisent, le souligne Herzlich (1969), par opposition entre : 1) l’interne et l’externe à la personne; 2) le sain et le malsain; 3) le naturel et le non-naturel; et enfin 4) l’individu et la société (Herzlich, 1969). Selon Herzlich (1969) l’opposition la plus forte est celle de l’individu face à la société: « en fait, c’est la contrainte sociale qui est la racine du malsain, donc de la maladie » (p.58).