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Séminaire du CREAPT : santé au travail et emploi soutenable

Chapitre 3. Echanges internationaux et pluridisciplinarité

1. Séminaire du CREAPT : santé au travail et emploi soutenable

Ma participation depuis 2001 aux activités de recherche du Centre de Recherches et d’Etudes sur l’Age des Populations au Travail (CREAPT) et au séminaire « emploi soutenable », organisé par le Centre de l’Etude de l’Emploi (CEE), s’inscrit dans un intérêt pour les conditions de travail permettant de construire des compétences avec l’âge et l’expérience et des stratégies de préservation de la santé au travail.

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Les évolutions des conditions de travail, des formes d’organisation du travail, des modes d’apprentissage sont source d’une intensification du travail (Askenazi, 2004) délétère pour la santé des salariés. Les effets de cette intensification sur la santé et le bien-être des salariés sont multiformes (Volkoff, 2008). L’évolution du travail est marquée par un enchevêtrement et un cumul des contraintes. Trois catégories de contraintes sont définies par Gollac et Volkoff (2000), les contraintes « industrielles », « marchandes » et « domestiques ». Le rythme est imposé par « des normes ou délais à respecter en une heure au plus ». La référence au « client » devient hégémonique dans les modes de production. Les salariés doivent parer au plus pressé (Volkoff, 2006) dans des organisations continuellement en changement (Askenazy, 2004). Le « productivisme réactif » se caractérise par des options d’organisation qui visent à adapter instantanément les moyens de travail à l’objet produit, et celui-ci à la demande extérieure. Des changements hâtifs, trop peu réfléchis ou mal préparés, remettent en cause les acquis de l’expérience. Ce constat m’a permis de renforcer ma préoccupation des effets des changements organisationnels sur l’évolution des compétences, que j’avais perçus dans les études sur les guichetiers de La Poste, les agents des pompes funèbres et les policiers. Les effets des conditions de travail sur la santé sont maintenant connus avec plusieurs enquêtes statistiques : enquête conditions de travail, ESTEV, SVP50, SUMER (Goldberg, 1995, Volkoff, 1996, Molinié, 2003, Goldberg, Leclerc et coll., 2007) : par exemple effet des horaires atypiques sur les difficultés de sommeil, des gestes répétitifs sur les troubles musculo-squelettique, des fortes contraintes de temps sur la fatigue nerveuse, etc. Ces enquêtes montrent les liens multifactoriels du travail sur la santé, en ordre dispersé. Elles visent à apporter une lecture nuancée des liens entre santé et travail. Une lecture diachronique des événements avec des effets différés des contraintes passées sur les atteintes à la santé s’impose pour comprendre les liens entre santé et poste actuel. Les conditions de travail actuelles permettent-elles aux personnes de demeurer en bonne santé, insérées et efficaces tout au long de leur carrière ? La préservation et la construction de la santé dépendent de la constitution de parcours professionnel soutenable (Gollac, Guyot, Volkoff, 2008). Ici, mes travaux ne prenaient pas suffisamment en compte les systèmes d’emploi et les difficultés de certaines catégories professionnelles comme celles des femmes avec des contrats précaires ou un travail temporaire. Aujourd’hui, mon approche tend davantage à considérer les imbrications entre santé et compétences inscrites dans un itinéraire. Cette orientation se rapproche des recherches du CREAPT sur les stratégies protectrices et les formes d’organisation du travail facilitant le maintien de la santé et des compétences tout au long de l’itinéraire professionnel.

Les études sur le vieillissement, à l’origine de la création du CREAPT en 1991, se caractérisent par trois types d’approche : vieillissement « par » le travail, « par rapport » au travail et « dans » le travail10 (Teiger, 1995, p. 66). Les études et les recherches du CREAPT (Volkoff, 1989 ; Gaudart, 1996 ; Pueyo, 1999 ; Volkoff, Molinié, Jolivet, 2000) portent sur les moyens susceptibles de faciliter les régulations mises en œuvre avec l’expérience pour compenser les phénomènes de déclin liés au vieillissement. Au fur et à mesure que des déclins apparaissent, que l’expérience se constitue dans des situations où l’opérateur s’est trouvé en difficulté, à fur et à mesure aussi que la construction des compétences offre une plus grande

10 Les empreintes du parcours professionnel antérieur (vieillissement « par » le travail), jouent à tout âge mais de façon plus marquée quand l’âge s’élève. Il existe un effet de sélection des salariés avec l’âge (vieillissement

« par rapport » au travail), caractérisé par une sur-représentation des contraintes chez les jeunes (Molinié et

Volkoff, 2002, Mardon, Volkoff, 2008). La diversité dans la réalisation effective de l’activité, selon l’âge et les diverses formes d’expérience (vieillissement « dans » le travail), et sur les marges de manœuvre interroge ce qu’offre le système de travail pour l’expression de cette diversité.

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diversité de modes opératoires possibles, les travailleurs élaborent des compromis entre les exigences de la tâche et leurs propres capacités (Gaudart, 1996). Un travail n’est soutenable que s’il tolère une large diversité entre les individus. La préservation de la santé passe par une reconnaissance des variabilités au fil du temps, qu’il s’agisse des variabilités humaines ou des aléas productifs et organisationnels (Pueyo, Volkoff, 2004). Cela suppose des marges de manœuvre en matière de butées temporelles, d’exigences de qualité, d’adaptation des gestes et de modes opératoires et de possibilités de coopérer.

Cependant il arrive que les contraintes dans certains services – la pression temporelle dans le travail, l’imprévisibilité des tâches, le manque de coopération, par exemple – fragilisent, au contraire, ou excluent les opérateurs vieillissants (Pueyo, Volkoff, 2004). Les marges de manœuvre alors disponibles pour mettre ces stratégies en œuvre, et donc leurs chances de succès, dépendent des choix adoptés dans l’organisation du travail.

Dans certains collectifs de travail, une répartition des tâches permet de mettre les âgés à l’abri des postures les plus délicates et des contraintes temporelles les plus pressantes, en leur réservant plutôt des tâches où leur savoir-faire est fortement requis (Millanvoye, Collombel, 1996 ; Assunçao, 1998). Par exemple, dans mes recherches à la police, au sein d’une brigade

de police, une répartition sur les postes s’organise. Donner la possibilité au collègue âgé de faire une nuit aux postes de garde (préfecture, garde à vue,..) ou de remplir des papiers au bureau pour ne pas être toujours sur le « qui-vive » de la voie publique est une manière de lui éviter l’épuisement psychologique et l’usure physique. Cette organisation du travail se fait au jour le jour en fonction de la fatigue, des émotions ressenties. Elle ne concerne pas seulement les âgés mais aussi les jeunes, les hommes ou les femmes. Elle apparaît comme une régulation collective source de santé au travail. Elle n’est possible que lorsque le chef de brigade laisse de l’autonomie dans les affectations des équipages et qu’il peut maintenir un équilibre dans les équipes au moment du renouvellement des effectifs. Les anciens, quand ils sont bien intégrés dans les brigades, jouent aussi un rôle important dans la sélection des tâches. Face au flux imprévisible des affaires, il est possible, avec l’expérience, de se rendre plus ou moins disponible afin de privilégier les tâches les plus intéressantes, de ménager un moment de calme relatif ou d’éviter une intervention redoutée (Lhuillier, 1987). On retrouve notamment des anciens au poste de commandement centralisé (lieu où arrivent les appels téléphoniques) qui essaient d’affecter les interventions selon l’intensité des affaires et la composition de l’équipage, quand cela est possible.

Les recherches du CREAPT ont alimenté ma réflexion sur la nécessité de prendre en compte la diversité des populations au travail, notamment dans les collectifs de travail. Mes premiers travaux de recherche portaient sur la prise en compte de l’âge et de l’ancienneté. Plus récemment, la considération de la notion de diversité humaine par rapport à la variable âge en ergonomie m’amène à concevoir des activités qui tendent à donner des moyens au travail pour la qualité de vie au travail pour tous, que le sujet soit jeune ou âgé, qu’il soit ou non avec des incapacités, avec des caractéristiques anthropométriques et des expériences diverses, qu’il soit homme ou femme.

Un travail soutenable pour un individu dépend de son insertion dans un collectif. Dans certaines tâches, le travail nécessite plus ou moins de se coordonner avec d’autres. Même des acteurs à distance peuvent être insérés dans un collectif de travail. Cependant il n’est pas évident que le collectif soit toujours donné à l’individu. Les emplois précaires, la rationalisation gestionnaire, le manque de temps pour apprendre et échanger des expériences sont autant d’éléments qui nuisent à la construction du collectif de travail. Ce que nous

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retiendrons de ces séminaires est que la capacité à donner du sens à une contrainte donc à la rendre supportable, est un travail éminemment collectif.

Par ailleurs, le CREAPT a nourri ma réflexion sur la nécessaire complémentarité des analyses qualitatives et quantitatives du travail. Les outils statistiques peuvent éclairer une partie de la question et doivent s’inscrire dans une co-construction avec des approches qualitatives visant à mieux comprendre la réalité des problèmes posés dans l’intervention ergonomique. Cette préoccupation de croiser des données quantitatives avec des données qualitatives est présente dans mes nombreux travaux de recherche sur les liens mobilité et santé11, notamment à La Poste, l’enquête Famille et Employeur et l’enquête Santé Itinéraire Professionnel.

Les dernières recherches présentées au séminaire du CREAPT donnent une place importante au travail en réseau (par exemple, l’intermodularité dans la conduite de train à la SNCF, le travail dans l’agriculture, les montages de chapiteau, le travail dans le BTP, etc.). Le travail en réseau s’est accru avec un modèle de production fondé sur la réactivité. Cette perspective d’analyser le travail du réseau est présente dans mes dernières études, les pompes funèbres, les policiers, la prévention durable des TMS. Quels seraient les outils d’analyse et d’action permettant de développer et consolider ces réseaux ?

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