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L’enseignement de l’ergonomie à des psychologues du travail

Une autre partie de mon enseignement est dispensée en master professionnel de psychologie du travail à l’université de Grenoble (Université Pierre Mendès France). Il s’agit de favoriser l’apprentissage de concepts et de méthodes en ergonomie à ceux qui s’intéressent au champ du travail pour qu’ils intègrent l’analyse du travail réel dans leur diagnostic de la situation et qu’ils soient capables de coopérer avec des ergonomes dans les projets de conduite du changement dans les entreprises. Il s’agit de bousculer aussi les représentations des psychologues du travail sur les tests psychotechniques utilisés dans le recrutement et sur les questionnaires de motivations, de stress dans le diagnostic organisation, qui sont fortement développés dans la formation de psychologie du travail à l’université de Grenoble.

Les méthodes ergonomiques d’analyse du travail enseignées permettent aux étudiants de psychologie du travail d’approfondir les notions de diversité humaine et de variabilité des situations de travail dans les processus de développement de l’individu. C’est pourquoi j’ai orienté le contenu du cours sur le développement des compétences avec l’âge, l’expérience et le travail collectif. Il s’agit de montrer que les compétences vont au-delà des référentiels métiers et qu’elles correspondent à des modes opératoires observés pour en inférer des

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savoirs, des savoir-faire, etc. La dimension évolutive des compétences et des conditions de leur développement intéresse particulièrement les futurs psychologues du travail, qui seront en charge de la gestion des ressources humaines (Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC), formation, etc.).

L’approfondissement de la thématique de la santé, notamment en prenant appui sur des expériences d’intervention de terrain sur la gestion du stress, la prévention de l’usure professionnelle et des troubles musculo-squelettiques, permet d’avoir une discussion avec eux sur l’élaboration des règles de métier, sur la conception de l’organisation du travail et sur les liens entre activité individuelle et activité collective. J’aborde également l’activité de relations de services comme une activité particulière impliquant une interaction avec un usager, pour leur montrer les situations de conflits de buts et interroger les modalités de régulations individuelles et collectives de ces situations.

La principale difficulté à enseigner l’ergonomie aux psychologues du travail de l’Université de Grenoble vient de leur formation à des méthodes expérimentales et quantitatives qui sont perçues par eux comme une garantie de « vérité » sur la réalité. Les méthodes enseignées reposent principalement sur l’utilisation de questionnaires avec des analyses statistiques, parfois complétées avec des entretiens. Ils peuvent utiliser également des expérimentations pour valider leurs hypothèses. L’utilisation de ces méthodes à visée scientifique dans un souci d’administration de la preuve (Ghiglione, Matalon, 1977) les conduit à adopter une attitude expérimentale. Les étudiants de psychologie conçoivent et interprètent une enquête avec un mode de pensée expérimental de l’analyse : le souci d’expliciter les hypothèses, la réflexion critique sur les conditions d’enquête, le souci de contrôler les facteurs, de ne comparer que ce qui est comparable. Nous ne pouvons pas leur reprocher d’adopter cette posture qui légitime les données de recherche mais nous pouvons émettre des critiques sur le manque parfois de finesse dans la description des situations de travail. Les étudiants choisissent leur terrain et leur population en fonction d’objectifs qui leurs permettront de procéder au traitement statistique des résultats sans réellement partir d’une demande de terrain. Ils sont davantage préoccupés par la reproductibilité et la consistance des données qui assurent une preuve expérimentale et leur permettent une généralisation des connaissances produites.

La difficulté pour l’ergonome-enseignant est de dépasser cette posture expérimentale des étudiants en psychologie du travail à l’université de Grenoble et de les amener à considérer les données d’observation de situation de travail comme relevant d’une analyse de processus complexe, se situant au-delà de relations causales ou de la vérification d’hypothèses. Il s’agit de leur montrer les différences entre une observation du travail, fondée sur une démarche inductive et une étude expérimentale, fondée sur une démarche déductive. Pour cela, j’aborde la question de la modélisation des connaissances en distinguant les démarches analytiques et les démarches systémiques. Il s’agit d’ouvrir un débat en eux sur la nécessité d’une complémentarité des données qualitatives et quantitatives dans la construction de modèle de réalité.

Le suivi de plusieurs étudiants dans le cadre de leur mémoire est essentiel pour qu’ils intègrent les approches ergonomiques dans leur analyse et leur intervention. La démonstration d’une quantification possible à partir de l’observation de l’activité permet de donner aux étudiants en psychologie du travail un cadre légitime d’analyse du travail aux approches qualitatives. Mais il s’agit plus précisément de créer « un regard critique » sur leur posture expérimentale pour les amener à concevoir la complexité des situations de travail et à entrevoir les réductions de la réalité propres aux méthodes d’enquête quantitative.

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L’enseignement en ergonomie peut les amener à concevoir des questionnaires plus centrés sur les situations de travail réel observées, à critiquer les méthodes psychotechniques utilisées dans la sélection et l’orientation professionnelle. La complémentarité entre méthodes quantitatives et qualitatives leur permettra d’analyser des données objectives en centrant l’analyse sur les situations réelles de travail pour les confronter aux données déclaratives et aux représentations.

Par ailleurs, il s’agit de questionner les rapports entre recherche et intervention pour que les étudiants de psychologie du travail ne se situent pas seulement dans un rapport d’expertise sur les phénomènes psycho-sociaux mais qu’ils contribuent par leur action d’intervention au développement des sujets et de leur organisation (modèle de recherche-action, de formation-action, etc.).

Conclusion :

L’enseignement de l’ergonomie à des non-ergonomes repose principalement sur une approche réflexive à partir de leur situation de stage pour qu’ils intègrent les concepts et les connaissances de la discipline et puissent les utiliser dans leurs pratiques professionnelles. La confrontation de modèles et les débats que produit l’ergonome à ses élèves-ingénieurs ou à ses étudiants en psychologie du travail conduisent à créer des points de rupture qu’il faut pouvoir compenser par l’apport de méthodes d’analyse du travail, des outils de conception et des démarches de conduite du changement. Parmi ces points de rupture, les échanges que j’ai avec les étudiants sur leur situation de stage nourrissent les questions sur les relations santé-travail dans les entreprises et me permettent d’explorer les modalités de l’activité collective que je peux leur enseigner. Autrement dit, mon enseignement est articulé avec mes préoccupations scientifiques et il contribue aussi d’une certaine manière à construire de l’activité collective avec ces étudiants sur le moment mais aussi pour le futur quand ils seront en contact avec d’autres acteurs dans l’entreprise.

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