• Aucun résultat trouvé

Rôle de l’encadrement dans le travail d’organisation

L’action de l’encadrement est de donner un cadre de moyens pour l’action des opérateurs, de soutenir les équipes de travail, de favoriser les régulations opératives. Il ne s’agit pas seulement de prescrire mais de mettre de « l’intelligence » pour que le travail s’organise. La prescription peut aider mais peut aussi être un frein à l’action des opérateurs. La façon dont l’encadrement utilise les formes de réélaboration des règles issues de l’activité collective apparait un puissant moyen de réorganiser le travail. C’est le passage des régulations chaudes à froides selon Carballeda (1997). En effet, le travail de conception de l’organisation par les cadres joue un rôle fondamental sur la construction de marges de manœuvre des opérateurs. Reconstruire l’organisation du travail nécessite que l’encadrement ait une bonne compréhension de l’activité réelle des opérateurs (Dodier, 1995) et crée un lieu d’échange entre lui et ses opérateurs à propos de l’utilisabilité des règles (Daniellou, Jackson, 1997).

Par exemple, lors d’une intervention sur la prévention durable des TMS chez un équipementier de l’automobile (Caroly, Depincé, Lécaille, 2008), l’analyse du travail montre que la gestion des flux de production par l’encadrement et par les opérateurs est source de dysfonctionnements. Ainsi, les chefs d’équipe ont-ils une responsabilité forte dans la façon de répartir le travail. Ils distribuent formellement les réservoirs dans l’atelier mais en réalité selon la manière dont les réservoirs sont affectés, ils créent des marges de manœuvre aux monteurs-soudeurs pour organiser leur propre travail. Par exemple, en affectant un réservoir connu à un opérateur déjà atteint de TMS, celui-ci pourra anticiper les difficultés de montage et mieux organiser son temps d’assemblage par rapport aux autres réservoirs à monter. Il pourra également ajuster ses postures et les faire varier lors de cette activité de soudure.

A partir de cette connaissance de l’activité réelle des opérateurs, l’encadrement décide d’une organisation du travail plus adaptée à l’activité individuelle. L’encadrement tient compte ici de la santé des opérateurs en soutenant l’activité de l’opérateur. Cependant il ne fait pas participer le collectif de travail à la façon d’organiser le travail. L’encadrement ne doit pas seulement gérer des règles mais doit connaitre et développer l’activité de réélaboration des règles, faciliter l’activité collective.

En considérant l’organisation du travail comme un processus d’interactions sociales, incluant l’ensemble des personnes d’un collectif de travail, la création d’espace se traduit par la construction de règles d’interaction portant sur la réélaboration des règles. « Un référentiel » se constitue, dès lors, historiquement, par les réponses des acteurs à des problèmes pratiques telles que l’adaptation des règles, leur contournement, leur ajustement ou leur réélaboration. Ce référentiel peut servir de base à la reconstruction de l’organisation du travail. C’est le cas du guide des facteurs humains et organisationnels de la sécurité industrielle (Daniellou et coll., 2008), qui définit des procédures dans les industries à risque en rapport avec l’activité des opérateurs.

Cependant les marges de manœuvre de l’encadrement lui même pour soutenir ce travail de réorganisation se réduisent. L’encadrement n’a pas le monopole à produire les règles, la prescription vient d’injonctions de la part de sa direction (optimisation des flux, gestion des

Partie III- Réélaboration des règles et activité collective Chapitre 3- Réélaborations des règles et réorganisation du travail

137

horaires, décision de suppression d’une partie de l’activité, rachat de l’entreprise par un groupe avec de nouvelles normes en matière d’hygiène et de sécurité, etc.), des attentes de l’utilisateur final et des exigences des sous-traitants. Notre recherche sur la prévention durable des TMS (Caroly et coll., 2008) montre que les cadres sont soumis à des exigences de plus en plus fortes de ratios de production dans une logique de performance. Leurs régulations sont mises en cause par la gouvernance bureaucratique et technocratique de l’entreprise. Rationalisation du travail dans les entreprises de service et modes de production extrêmement contraints dans le milieu industriel sont la réalité de l’entreprise d’aujourd’hui. Ginsbourger (2008) parle dans son dernier ouvrage de l’incivilité des organisations ; d’une part la rationalisation du travail échappe au débat social, d’autre part l’organisation décide de ce qui est bon pour l’usager. Selon lui, « Civiliser les relations de services, c’est donner aux interactants les ressources identitaires et le cadre d’expression social permettant de gérer les tensions » (Ginsbourger, 2008, p. 140).

Conclusion :

La réélaboration des règles ne vise pas seulement la production, la santé, mais aussi la dynamique du fonctionnement du collectif de travail – qui le rend plus fort pour participer à la réorganisation du travail. Ceci interroge le rôle des cadres dans le travail d’organisation, plus particulièrement sur la manière dont ils vont se saisir de cette activité collective pour réorganiser le travail.

Partie III- Réélaboration des règles et activité collective Chapitre 3- Réélaborations des règles et réorganisation du travail

138 Conclusion Partie III

Plusieurs conditions de réélaboration des règles sont à réunir pour que l’activité collective puisse avoir lieu : rapport créatif à la tâche, émergence dans les situations de conflits de buts, élaboration dans l’action du travail collectif, existence d’espaces de délibération sur les règles, transmission sur le processus de réélaboration entre les agents, etc.

Le travail collectif et le collectif de travail permettent la réélaboration des règles, provoquant un développement possible des règles de métier et des compétences élargissant ainsi la relation avec le client dans les relations de service.

La réélaboration des règles apparaît comme un déterminant de l’activité collective et l’activité collective en retour dynamise le processus de réélaboration des règles.

La réélaboration des règles, quand elle s’inscrit dans une activité collective, est non seulement source de développement des compétences, mais elle facilite aussi la dynamique de fonctionnement du collectif de travail et peut conduire à des formes de réorganisation du travail.

Il existe plusieurs niveaux de réélaboration des règles. Ils dépendent de l’existence, à plusieurs niveaux, de règles dans l’activité intégrant les relations soi-système-autrui, qui sont rarement prises en compte ensemble des les recherches : les règles prescrites (système), les règles de fonctionnement (système), les règles de métier (autrui-soi), les règles de « travailler ensemble » (autrui). La réélaboration des règles peut donc se situer de différents points de vue :

- du point de vue de la prescription, des régulations structurelles et opératives

- du point de vue de la gestion des situations critiques et des situations à risque avec différentes formes de transformation des règles.

- du point de vue de la diversité des sources de prescription - du point de vue du fonctionnement du collectif de travail

Partie IV- Enjeux de l’activité collective pour la santé

139

Partie IV : L’activité collective une condition et un résultat du

développement de la santé : entre développement des compétences et

vitalité du collectif de travail

Après avoir défini l’activité collective (partie II) et montrer en quoi la réélaboration des règles est un processus essentiel de l’efficience de l’activité collective (partie III), l’objectif de cette partie IV est d’identifier les enjeux pour la santé de l’activité collective et de la réélaboration des règles. Plus précisément, nous chercherons à répondre à la question : « Quelles sont les caractéristiques de l’activité collective qui permettent la santé individuelle et le développement des compétences au travail et qui favorisent la vitalité du collectif de travail ? ».

L’ergonomie, par ses objectifs, ses outils et ses méthodes, établit un lien fort entre le travail et la santé. Ses actions de transformation visent la prévention primaire et la conception de situation favorable à la santé et à l’efficacité. Pour cela, il est nécessaire d’agir sur les causes des risques et surtout sur les processus de gestion des risques, plus que sur la gestion des conséquences des risques sur la santé en termes de réparation ou de traitement comme le font les médecins du travail. La santé comporte un double aspect « la conséquence du travail, mais aussi la santé comme facteur de difficultés ou de facilitation… » (Laville, Volkoff, 1993). Les liens entre santé et travail sont complexes : effet différé, possibilité de compenser dans l’activité de travail les difficultés rencontrées, effets de sélection, etc.

D’abord les liens entre activité collective et santé sont à explorer. Une des raisons principales des difficultés à parler en ergonomie de la notion d’activité collective en lien avec la santé est que le concept de santé est défini d’abord d’un point de vue individuel. Les conséquences de l’activité aboutissent à des traces sur le corps : des douleurs physiques (fatigue, TMS, difficultés de sommeil, etc.), avec éventuellement des souffrances mentales (liées à la mobilisation subjective dans l’activité). Mais c’est en s’intéressant aux régulations individuelles et collectives comme moyen de compenser des perturbations internes et externes, qu’il est possible, en ergonomie, de concevoir l’activité collective comme une ressource possible pour la santé individuelle. Il y a des cas où l’activité collective peut être aussi négative, notamment lorsqu’il y a un travail collectif sans collectif de travail. Autrement dit, l’activité collective peut contribuer, dans certaines conditions, à la santé de chacun des membres du groupe.

Mais peut-on également concevoir l’activité collective comme source de santé du collectif de travail ?

Pour répondre à ces diverses questions, nous définirons d’abord la santé dans le chapitre 1 en ergonomie de l’activité en prenant appui sur différentes approches de la santé au travail. Ceci nous permettra d’envisager l’activité collective comme une source de développement de la santé individuelle : critères du travail bien fait, relation entre care et cure, etc. Nous montrerons dans le chapitre 2 dans quelle mesure l’activité contribue à la construction des compétences des opérateurs pour aborder le développement de l’activité dans les inter-relations entre l’activité individuelle et l’activité collective. Enfin, nous proposerons la notion de « vitalité du collectif de travail » dans le chapitre 3 pour rendre compte des effets de l’activité collective sur la dynamique de développement du collectif de travail.

Partie IV- Enjeux de l’activité collective pour la santé

Partie IV- Enjeux de l’activité collective pour la santé Chapitre 1 – Définition de la santé

141

Outline

Documents relatifs