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1-1 Sédentarisation des nomades dans le Sud-ouest algérien : rupture des échanges économiques traditionnels

Processus du développement économique et mutations sociales dans le Sud ouest algérien

II- 1-1 Sédentarisation des nomades dans le Sud-ouest algérien : rupture des échanges économiques traditionnels

Le rôle des nomades autrefois était essentiel dans l’économie saharienne. En effet, ils participaient au développement des échanges commerciaux transsahariens qui ont permis à de nombreuses oasis de s’intégrer dans un espace régional. Parallèlement, ces nomades fournissaient aux ksour les produits d’élevage tels que la laine et la viande en échange des produits agricoles des oasis. Bien plus, une partie de ces nomades possédaient du foncier agricole dans certaines oasis, soit en mettant en valeur des terrains agricoles ou en les achetant. Des jardiniers, souvent des harratine, ayant un savoir-faire, cultivaient ces terrains en association avec des nomades selon la formule de khames (1/5) ou en qualité de Ghares. Tandis que le premier contribue dans la production par sa force physique contre une part d’un cinquième de la production, le deuxième loue l’eau et la terre, et cultive des produits à son

choix. Ce système, en adéquation avec les conditions naturelles, avait permis de maintenir un équilibre aussi bien environnemental qu’économique dans l’espace saharien pendant plusieurs siècles.

L’arrivée de la colonisation dans le Sud-ouest au début du 20 siècle a déstructuré le mode d’organisation de ces espaces, où les nomades constituaient un élément incontournable. Accusés d’être au centre des perturbations en s’impliquant dans des incursions ’’rezzous’’ contre les oasiens ou les sédentaires, les nomades étaient qualifiés de barbares, de vandales et de pilleurs par les colonisateurs qui n’hésitaient pas à chercher les moyens pour les contrôler et les fixer, selon quelques écrits signalés par Bisson J. (2003) et Blin L. (1990) .

Constituant un danger à l’ordre public, la sphère tribale a été disloquée et remplacée par les appareils politico-militaires. Le nomadisme a fait l’objet des lectures discriminantes puisant leur doctrine tantôt dans la civilisation musulmane où Ibn-Khaldoun qualifia les migrations des arabes hilaliens comme catastrophiques, tantôt dans l’occidentalisme avec quelques thèses aussi bien dans l’Antiquité que contemporaines, qualifiant ainsi le nomadisme d’anti- civilisation : « le nomade est le sauvage, celui qui est mobile, par rapport à l’homme, civilisation, fixé sur la terre. Sa vie associée à des animaux, devient, à la limite une vie animale ». Ce jugement soulevé par Aurence O. (1993) cité par Bisson J. (2003), démontre à quel point le nomade était une figure de nuisance pour l’environnement, l’économie, les sédentaires et la civilisation selon les auteurs de cette thèse. Sur un autre plan, l’Etat-nation, unificateur n’accepte le nomade que s’il est fixé. « Certes, il y a aussi des frontières chez le nomades, mais elles ne sont pas fixes ni définitivement établies, c’est pourquoi, l’Etat s’accommode du pastoralisme : à la différence du nomadisme, mode de rapport à l’espace, c’est un mode de production, donc de portée beaucoup plus limite, sur le plan spatial comme politiques » (J. Despois, 1958). Bien plus, cet auteur qualifie ce nomadisme de contraignant devant l’émergence d’un Etat-nation, dont les solidarités tribales sont au cœur de ce problème. « Leur différence globale était fondamentale : à la conception occidentale de 1'Etat- nation ancré dans des structures fixes, ils opposaient celle de groupes nomades, très mobiles, démocratiques ou hiérarchisés, voire parfois sans chef (comme les Toubous) où les décisions étaient collégiales et où la responsabilité à l'égard du monde extérieur était collective. Ces nomades devaient leur survie à la façon dont ils avaient su exploiter les maigres ressources du désert (élevage, cueillettes et culture) mais aussi aux profits qu'ils tiraient d'échanges commerciaux qui traversaient leurs territoires ». (Gast M., 1988)

Néanmoins, une politique de transformation du nomadisme était entamée dans un objectif de démanteler les influences des nomades dans les espaces sahariens « Le système colonial tendait à maîtriser totalement les grands ensembles en toute exclusivité mais en réduisant le plus possible les pouvoirs locaux » (Gast M., 1988). Leur mouvement permanent nuisait non seulement à la stabilité de la région mais aussi il allait à l’encontre de la doctrine coloniale développée avant la découverte du pétrole par laquelle il était question de transposer la puissance de la France sur cet espace et, de constituer une continuité spatiale des colonies africaines et de sécuriser les routes commerciales. « Le passage de ces territorialités «floues » sahariennes à une territorialité «dure » dans des Etats modernes a donc été le résultat d'une conception coloniale dont les intérêts étaient autres et dont les stratégies de gestion et de découpage favorisaient les contrôles d'un pouvoir dans les principaux centres de décision se trouvaient en Métropole ». (Gast M., 1988)

L’instauration des frontières dans le Sahara par la convention de Niamey signée le 20 juin 1909 a anticipé non seulement le recul du commerce transsaharien mais a anticipé aussi la sédentarisation des nomades, « tracée en pleine zone nomade, cette ligne ne tenait pas compte des inévitables mouvements de transhumance des pasteurs et de leur installation possible de l’autre coté de la borne » Cornet P (1957) cité par Blin L. (1990). Ainsi, le Sahara s’est renfermé davantage pendant la colonisation qui a tourné son dos au développement de cet espace.

Conséquemment, le nomadisme s’est réduit en pastoralisme (Bisson J., 2003), l’autorité coloniale instaure des réglementations rétrécissant la circulation des tribus nomades. Le processus de démantèlement des tribus en petites fractions se croise avec la politique de fixation, et ce, pour amputer leur influence. Dans le sud, la fixation des Doui Meniaâ s’effectue sur plusieurs sites dans la région de Bechar, idem pour la tribu des Ouled-Sidi- Cheikh qui était fractionnée en plusieurs branches dont une partie était installée dans les ksour du Gourara, en particulier dans l’Erg. « La fixation des nomade depuis 1906 aurait pu conjurer le sort : coupés de leur base marchandes, les tribus qui n’avaient pas d’assise pastorale solide ont subi le même destin que les Touareg, et ont de ce fait décidé d’opter à l’agriculture. Loin de participer directement aux taches hydro-agricoles proprement dites, elles n’ont fait que perpétuer les vieux clivages en venant grossir le rang des maîtres » (Maârouf N., 1980).

Les impératifs sécuritaires des années 1950 ont contraint une grande partie des tribus nomades à se sédentariser. Le déclenchement de la guerre de libération avait obligé les militaires français à regrouper en force les nomades dans des camps pour éliminer toute forme de soutien au Front de Libération National (FLN). « Pendant plus de trois ans, les nomades furent concentrés en d’immenses ’’camps de regroupement ‘’, tandis que les parcours dans le Grand Erg Occidental leur étaient interdits, et les chameaux qui, par atavisme, retournaient vers les zones de pâturage depuis toujours fréquentés par eux, abattus par l’aviation » (Bisson J., 2003)

L’administration coloniale voulant se substituer au pouvoir des nomades exercé sur les territoires sahariens avait recouru au départ au contrôle de ces nomades. Le nomadisme se rétrécit pour devenir pastoralisme. La circulation des nomades pasteurs fut encadrée par la loi de 1927 nécessitant d’octroyer une autorisation pour se déplacer avec leurs troupeaux vers le Tell, poussant de plus en plus les tribus nomades à parcourir les pâturages sahariens qui se sont à leur tour rétrécis en fonction des intérêts coloniaux dans la partie méridionale (Hadeid M., 2006). Soupçonnées par la puissance coloniale de complicité avec la révolution, notamment pour l’acheminement des armes, l’assassinat des gardes européens le 20 octobre 1957 près de Timimoun par les méharistes Chaânba sur l’ordre du FLN, suivis par leur désertion, a replacé le nomade au centre de contrôle au Sahara. La circulation des nomades, vitale dans la Sahara pour l’existence des ksour sur la vallée de la Saoura et du Touat, a été carrément interdite dans le Sahara et l’Erg, vers la fin des années 1950, obligeant plusieurs tribus à se sédentariser.

a- De la houillère au périmètre agricole d’Abadla : mutation socio-économique de la tribu des Doui-Meniaâ

La politique de sédentarisation a bien concerné la tribu des Doui Meniaâ dans le Sud-ouest algérien dont la fixation commença par le développement des houillères de Kenadsa et passa par le développement d’une activité agricole dans le secteur d’Abadla pour s’achever par une fixation forcée en 1958.

Capot-Rey R. constate en 1952, que deux faits ont perturbé la vie traditionnelle de cette tribu : « le premier est le développement pris par l’exploitation des houillères, d’abord localisé à Kenadsa ; pendant la guerre, un deuxième puits a été ouvert à Bechar, puis un

nomades[…] l’autre fait a été la création en 1947, d’un secteur d’amélioration rurale SAR, le premier dans le Sahara ». Sur les 3 000 travailleurs dans la houillère de Bechar, 2 300 font partie de la tribu de Doui-Meniaâ, selon le même auteur.

Le déclin du nomadisme de cette tribu, explique Capot-Rey R. (1952), est lié aussi à la prolétarisation qui l’avait précédé et non pas au travail des mines. Ces travailleurs étaient toujours prêts à quitter leur emploi quand ils réussissent à épargner de l’argent pour acheter quelques têtes de moutons et constituer un troupeau, « ainsi le travail à la mine, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, n’entraîne pas la sédentarisation définitive des ménages » (Capot-Rey R., 1952).

Le processus de sédentarisation s’achève en 1958 lorsqu’une grande partie de cette population (8 000 personnes) fut fixée par l’armée française sous un prétexte sécuritaire dû au déclenchement de la guerre de libération en Algérie. Soupçonnée d’appuyer logistiquement le FLN en contribuant à l’acheminement des armes, les Doui-Menaâ avaient été fixés principalement à Abadla, Bechar, Kenadsa et Ksi-Ksou (Atlas des départements sahariens, 1960) ; la deuxième partie de cette tribu fut fixée à Tafilalet au Maroc, suite à l’instauration des frontières bien avant cette date.

Seulement, le déclin de la demande mondiale de charbon, sa qualité moyenne dans le Sud- ouest et la découverte du pétrole avaient entraîné des effets catastrophiques sur les ouvriers de la houillère puisque la diminution de l’activité avait causé le chômage d’une grande partie jusqu’à sa fermeture en 1964, après la fin de la colonisation. Un projet de mise en valeur du périmètre agricole accompagné par l’implantation de quatre nouveaux villages agricoles a été mis en œuvre dans les années 1970 et appuyé par un transfert d’eau depuis le barrage de Djorf-Torba qui fut construit en 1969 pour irriguer la plaine d’Abadla. Le projet visait plus à transformer la population nomade de la région, principalement les Doui-Meniaâ. Cette idée avait déjà posé ces prémices durant la colonisation en 1947 avec la création des S.A.R (secteur agricole rural), concrétisée après l’indépendance par la création du domaine d’Abadla. D’une gestion socialiste découlant de la révolution agraire avec la création de trois coopératives agricoles, aux exploitations agricoles individuelles ou collectives, les résultats sont décevants. L’eau de barrage présente 60% des eaux d’irrigation dans la Haute-Saoura et se concentre essentiellement dans la commune d’Erg Ferraj avec 115 068,50 M3 par jour. Ce

projet est voué à l’échec parce que les traditions agricoles sont moins ancrées dans ce territoire où la majorité de la population est issue d’un milieu de nomades.

b- Sédentarisation des Chaânba à Adrar et Timimoun permettant de consolider les réseaux commerciaux

Confisqué de ses pouvoirs de ’’maître du désert ‘’, le nomade fut réintégré dans les compagnies méharistes de l’armée française. Parfait guerrier, il est sollicité à jouer un rôle déterminant dans l’instauration de la sécurité dans la région. Ainsi, il est transformé d’un ennemi à un collaborateur. En effet, la réussite de ’’la pacification’’ du Sahara revient en partie à la contribution des méharistes constitués essentiellement par des nomades, notamment les Chaânba. « Les conquêtes militaires sahariennes ont été menées en grande partie avec des troupes locales bien encadrées et bien armées » (Gast M., 1988). Les difficultés pour ravitailler les troupes éparses dans les oasis du Touat et de la Saoura, menacées par les attaques ’’Beraber’’ (Aït-Khebbach) du Sud marocain avaient dicté cette idée. Doté d’un budget spécifique, la formation de ces unités le 1er avril 1902 avait même précédé la création

des territoires du Sud le 24 décembre 1902 (Bisson J., 2003). Cependant, l’intégration des Chaânba dans le corps des ces compagnies n’était pas aussi simple car il a fallu attendre le consentement des Ouled-Hamza, fraction de la tribu des Ouled-Sidi-Cheikh, qui exerçaient une influence sur les Chaânba par le biais de ses réseaux confrériques au Sahara (Zaouïa Chaïkhia- Boubakria).

De réputation méharistes, dominant l’axe méridien central entre Ghardaïa et In Salah, les Chaânba avaient bien profité de la colonisation pour élargir leur champ de rayonnement sur la partie du Sud-ouest et notamment le Gourara et en petite partie la Basse-Saoura et le Touat. Les Chaânba (tribu arabe hilalienne installée à Metlili, à proximité de la vallée du M’zab) sont considérés parmi les tribus nomades les plus influentes de la région, ayant joué un rôle économique important (Capot-Rey R., 1952). Connaissant sa capacité de mouvement dans le Sahara, la colonisation n’a pas hésité à séduire les Chaânba pour les mettre à son service, et ce, en les engageant dans la police du Sahara, créée pour sécuriser les zones sahariennes.

Leur rôle dans le Gourara et dans la Basse-Saoura est considérable où ils étaient 884 âmes qui dominaient l’axe Timimoun- El Goléa en parcourant la vallée de M’guiden, et 800 âmes parcourant la vallée de la Saoura entre Beni-Abbès et Igli et jusqu’à Tabalbala. Leur principale station fut Timimoun dans le Gourara, où beaucoup d’entre eux furent sédentarisés dans le village juxtaposant le ksar, une partie à Ben- Abbès, Igli et Tabelbala et à Adrar.

Originaire d’une région ayant des traditions commerciales, ces Chaânba investissent leur capital relationnel et leur parfaite connaissance des circuits sahariens pour redevenir les maîtres du Sahara, développant ainsi des réseaux commerciaux dans le Gourara et principalement à Timimoun, à Adrar mais aussi à Beni-Abbès, après avoir réussi d’utiliser les nouveaux transports motorisés. Ces anciens méharistes de l’armée française, sillonnent le Sahara et assurent l’écoulement des produits agricoles des oasis, notamment les dattes, le henné et le tabac produits au Touat et au Gourara. Et ce n’est pas par hasard que les Chaânba de Timimoun montaient en action puisque le Gourara produit à lui seul 60 000 qx de dattes et le Touat 45 000 qx Le quartier Hataba dans la partie coloniale d’Adrar devient le quartier commercial dominé par les Chaânba durant les dernières années de la colonisation. Ainsi, une nouvelle bourgeoisie commerciale appartenant à cette tribu est née dans les agglomérations du Touat, du Gourara et secondairement dans la Basse-Saoura.

c- La propriété foncière des nomades dans les oasis : l’alternative agricole

La fixation des nomades avait non seulement entraîné le surpeuplement des oasis et perturbé l’équilibre environnemental, mais elle avait anticipé la détérioration de l’économie saharienne. La disparition du nomadisme et, par conséquent, celui des échanges commerciaux régionaux avaient appauvris par la suite la population oasienne. Ainsi, les oasis s’enclavent et se ferment sur elles-mêmes puisque les échanges extra-muros déclinent. Le nomade, sans un savoir-faire agricole, va puiser son existence dans les oasis en faisant appel aux harratine pour la mise en valeur de ses parcelles agricoles ; beaucoup de nomades possèdent des biens fonciers et des habitations dans les oasis qui sont sous leur domination. Ces terres étaient travaillées par les ksourien, en tant que khames ou ’’Ghares. Étant bien répandu, le concept du métayage valable avant la colonisation arrive à sa fin puisque l’émancipation des harratine par la colonisation avait dépourvu les oasis de sa main d’œuvre servile.

Les Ouled-Djerir parcourant la partie nord de la Zouzfna et possédant des jardins de l’Ouakda et de Debdaba prés de Bechar, recourent à la culture de leurs terres après leur sédentarisation qui s’est effectuée sur ces sites. Dans les oasis de Taghit, les Douia Meniaâ avait des terres agricoles cultivées par des ksouriens. Dans le même ordre d’idées, la tribu des Zoua, originaire de la région d’El-Bayadh, vient se fixer dans les oasis de la Saoura mais plus particulièrement dans celles du Gourara où elle possède un certain nombre de palmeraies dans le Tinerkouk, le Taghouzi et l’Aougrout. Cette tribu exerce des influences religieuses sur une partie du Gourara et le Tidikelt où une grande zaouïa a été édifiée près d’In-Salah

(Foggarat-Zoua). Possédant des biens fonciers dans ces oasis, quelques familles Zoua vivent de la rente agricole après leur sédentarisation achevée en 1958, suite à l’interdiction de pâturage dans l’Erg Occidental. Le processus de sédentarisation des Ghenanma est bien ancien, mais il s’est achevé avec la colonisation. Les nomades Ghenanma se fixaient dans des ksour et villages édifiés dans certaines oasis tels que Beni-Abbès, Ougourta, Tatmert et El- Ouata. Sans grande influence, ils n’avaient pas dynamisé économiquement la région sauf par le développement de quelques agglomérations. La grande masse de cette tribu a été fixée à Beni-Abbès, ce qui a contribué à son expansion. Cette sédentarisation a affecté l’équilibre oasien au moment où la pression démographique a entrainé une utilisation massive des sources naturelles en particulier l’eau. Au-delà des effets néfastes sur l’écosystème, la population s’est appauvrie puisque les circuits économiques se trouvent entravés. Ainsi, l’espace oasien plonge dans une crise multidimensionnelle.

II-1-2 Déclin de l’agriculture traditionnelle saharienne : déperdition de la force du

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