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3-3 Naissance des échanges informels transsahariens

Processus du développement économique et mutations sociales dans le Sud ouest algérien

II- 3-3 Naissance des échanges informels transsahariens

Profitant d’une situation géographique frontalière, la contrebande opérant illicitement dans le commerce transsaharien monte en action dans les espaces sahariens du Sud-ouest. Développant des relations au-delà des frontières, ces réseaux s’intéressent à la commercialisation de deux types de marchandises : « on trouve, d’une part, des produits issus des productions nationales comme les dattes d’Afrique du Nord qui sont échangées contre du bétail d’Afrique Noire (chameaux, moutons et plus rarement bovins), du henné, du sésame, de l’arachide et d’autres produits. Il y a, d’autre part, des biens manufacturés nationaux ou importés depuis l’étranger (autrefois d’Europe, aujourd’hui de Chine) ; pendant de longues années l’Algérie inonda le marché ouest africain de cartons de lait (Lahda) et de denrées alimentaires qu’elle subventionnait et qui étaient importés en fraude sur la rive sud du Sahara puis revendus à Niamey et à Kano. En contrepartie, l’Algérie importait des articles de l’industrie nigériane (Tissus, parfums, objets divers) » (Grégoire E. 2010).

Le trafic du tabac prend de l’ampleur dans les trois dernières décennies. Interdit en Algérie pour favoriser le monopole de la Société Nationale du Tabac (SNTA), de grandes quantités de tabac américain (Marlboro) et français (Gauloise) sont importées illicitement depuis le Nigeria et la Mauritanie via les pays du Sahel, transitant par plusieurs points dans le Sud- ouest avant de trouver les consommateurs algériens au Nord du pays. Des véhicules tout- terrain de type Toyota-Station, sont utilisés pour l’acheminement de ces produits.

La contrebande agit dans les marchés suivant le principe de la rareté des produits qui lui permet de générer des bénéfices colossaux et profite des divergences économiques entres les Etats de la région, de la différence de la monnaie et de l’incapacité de ces Etats à contrôler ces espaces; ce qui est interdit là, est toléré de l’autre côté. En effet, « beaucoup de ces flux reposent sur les interdictions d’importation ou d’exportation que les commerçants s’empressent à contourner d’où leur intérêt économique, mais aussi leur illégalité. Lorsque ces flux sont légaux, le désir de ne pas acquitter de droits de douanes souvent élevés les pousse à verser dans les fraudes et la clandestinité » (Grégoire E. 2010). Ces réseaux sont dominés par les commerçants arabes en particulier des Chaânba mais aussi des Touareg qui s’appuient sur leur parfaite connaissance de l’espace, impliquant aussi des personnalités politiques dans quelques pays du Sahel comme cela a été mentionné par Grégoire E. (2010).

particulier, a permis de développer des relations commerciales transsahariennes. Du côté de Bechar, la contrebande s’enrichie en opérant dans ce genre de trafic avec le Maroc où quelques membres des tribus frontalières n’hésitent pas à exploiter leurs réseaux sociaux et leur parfaite connaissance du terrain.

Sur un autre plan, la mobilité transsaharienne se réactive et de nouvelles formes de migrations clandestines naissent : une petite partie s’oriente vers l’Europe et la grande partie prend fin dans les pays du Maghreb et souvent dans les espaces sahariens comme Tamanrasset ou Adrar. Ben-Saâd A. (2009) écrit à ce propos, « inédite est encore occultée dans le discours officiel, l’immigration provenant essentiellement des régions africaines au sud du Sahara, s’affirme aujourd’hui comme un fait sociétal majeur en Algérie. Alors qu’elle est perçue et beaucoup plus admises et médiatisée comme mobilité de transition d’un mouvement qui se projette vers l’Europe, sa réalité est plutôt celle d’un mouvement qui concerne d’abord et essentiellement le territoire algérien, notamment le Sahara où son inscription durable est antérieure à l’attraction européenne apparue seulement récemment, au milieu des années 1990 ». Les jeunes sub-sahariens migrants vers l’Europe (des deux sexes) transitent via le Sud-ouest algérien pour rejoindre les villes côtières comme Oran ou frontalière comme Maghnia dans le Nord-ouest, où ils s’acheminent ensuite vers l’Espagne via le Maroc ou la Méditerranée. Une minorité de ces migrants obtient un titre d’entrée d’une durée limitée et prolonge leur séjour ensuite dans la clandestinité ; mais la grande partie y accède sans ce titre via Tamanrasset et Bordj-Badj-Mokhtar.

Cette traversée s’appuie sur des réseaux de passeurs qui les encadrent indirectement dés leur passage aux frontières et les accompagnent jusqu’à leur lieu de destination. Les Touareg sont montrés du doigt dans ce processus. L’évolution des moyens de transport en Algérie a facilité ces mobilités où beaucoup de migrant empruntent les autocars en toute visibilité (voir photo n°14).

Moins nuisible pour l’Algérie, les autorités et les forces de l’ordre ont, pendant des années, volontairement ignoré cette situation qui a duré jusqu’à ces dernière années suite à la politisation de ce phénomène en Europe. Celle-ci avait exercé des pressions sur les pays du Maghreb pour contrôler ce fléau migratoire. Conséquemment, des contrôles et des expulsions s’intensifient. Or, il est difficile de quantifier ce phénomène. Néanmoins, quelques déclarations lancées ça et là, nous renseignent sur l’intensité du phénomène. El-Khabar, un quotidien arabophone algérien, cite selon des sources de la gendarmerie nationale que 22 000

migrants en situation illicite ont été recensés entre 2005 et 2010, via les différents points de contrôle installés dans le pays. Ces mobilités sont observés selon le même interlocuteur dans le Sahara, le Nord-ouest et à Alger, dont une majorité est originaire du Mali, du Niger, du Sénégal mais aussi des pays de l’Afrique Occidentale et Centrale (El-Khabar, 20/03/2010). Selon le même quotidien, le nombre de migrants entrant illégalement est estimé entre 5 000 et 6 000 personnes chaque année, dont 25% sont refoulées annuellement. Le Ministère de l’intérieur déclare le nombre de 32 000 migrants d’origine africaine en situation irrégulière en Algérie, selon Ben-Saâd A. (2009) alors que le RGPH n’avance que des chiffres modestes (1 000 dans la wilaya d’Adrar en 1998).

Photo n°14. Migrant d’origine camerounaise empruntant un autocar (Adrar-Oran)

Des points d’appuis constitués par des anciens migrants se forment dans quelques villes pour soutenir ces réseaux comme à Tamanrasset, à Reggane et à Adrar. Ces escales permettent aux jeunes migrants d’amasser les sommes d’argent nécessaires pour continuer leur périple vers l’Europe mais beaucoup d’entre eux finissent leur séjour dans les villes algériennes. En effet, « dans les projet de migration, l’Algérie ne représente qu’une escale avant de gagner le Maroc et atteindre l’Espagne. Cependant cette escale peut durer des mois, voire des années, et la tendance est au prolongement de cette halte » (Maccario P. 2003). Celui-ci démontre à

travers une enquête à Tamanrasset que 25% y sont depuis 3 ans et 15% depuis 4 ans voire 7 ans. Ces migrants changent leur objectif en Algérie, et exercent des travaux clandestinement pour financer un projet économique dans leur pays d’origine, envisageant ainsi d’y retourner dans l’avenir.

Dans le Sud-ouest, bien qu’Adrar et Reggane figurent dans l’axe secondaire de ces mobilités provenant essentiellement de Tamanrasset, les sorties de terrain que nous avons effectuées dans ces villes nous ont confirmé la présence des centaines de migrants africains, qui se rassemblent quotidiennement dans la ville d’Adrar sur une artère située entre le centre ville et le quartier de Beni-Ouskout. Ces migrants africains se font recruter illicitement comme manœuvres pour les travaux les moins désirés par la population locale et ne nécessitant aucun savoir-faire, en particulier dans le bâtiment et moins dans l’agriculture et les services. Quelques uns ont réussi à monter leur propre atelier de confection de vêtements typiquement sahariens, appréciés par la population locale. Le quartier Beni-Ouskout à Adrar, constitué d’une majorité touareg et africaine appuie cette logique.

Durant les dernières années, les réseaux mafieux et terroristes incarnent ces mobilités pour le trafic d’armement, de drogue, de prostitution, de monnaie nationale, de la devise, de falsification de documents. C’est ainsi, que la région saharienne devient un véritable terrain d’enjeu sécuritaire pour tous les Etats voisins, où s’impliquent d’autres puissances étrangères en particulier les Etats-Unis d’Amérique et la France.

Conclusion

L’urbanisation dans le Sud-ouest algérien a été accompagnée par le développement des services publics suite à l’injection des équipements nécessaires au fonctionnement de ces espaces : de nombreux emplois dans le secteur tertiaire et notamment dans la fonction publique ont été créés, faisant appel à un personnel qualifié non disponible sur place. Dans les zones rurales, le nouveaux contexte politique et économique génère une crise qui affecte non seulement le secteur agricole mais aussi les rapports sociaux entres les différents composantes de la société oasienne voire entre les différentes ethnies. La sédentarisation des nomades et le départ des harratine suite à leur émancipation et leur instruction, ont bouleversé l’organisation spatiale et sociale de ces espaces où l’Etat est fortement impliqué ; par la production et la distribution des eaux et par l’aménagement de périmètres de la nouvelle mise en valeur agricole et la promotion de l’habitat rural. Ceci a produit un nouveau modèle alternatif qui a remis en cause l’ancienne organisation économique et sociétale.

La dynamique économique dans ces espaces a été accompagnée par une forte mobilité des populations originaires du Nord vers les centres urbains. Appelés pour soutenir les actions de développement que l’Etat avait entamé, les jeunes cadres s’installent dans les villes sahariennes du Sud-ouest sahariens suite à une nouvelle embauche. La cadence de ces recrutements évolue pour le secteur de la santé et l’enseignement supérieur, et se stabilise pour le secteur de l’administration. La promotion de l’emploi vient en fin de carrière des cadres la tranche (50-60 ans) et concerne les cadres du secteur de l’administration. Quant à la disponibilité des logements, elle ne constitue qu’un motif complémentaire de ce type de mobilités.

Cet espace entretient des relations migratoires denses aussi bien avec le Nord algérien qu’avec les autres espaces sahariens, mais il reste répulsif malgré les efforts de développement déployés par l’Etat. La crise de l’espace oasien et l’absence d’un pôle de développement, susceptible de créer l’emploi engendrent des immigrations des populations les plus vulnérables. Les perspectives d’un développement touristique et le développement des hydrocarbures (suite à la découverte de quelques gisements dans la région d’Adrar) peuvent entrainer un changement sur la donne migratoire à l’avenir. Cependant, on assiste à une monté des échanges informels et de mobilités subsahariennes clandestines dans le Sud-ouest, encadrés par des réseaux mafieux qui s’appuient sur l’assistance de quelques membres de

Chapitre III

Rééquilibrage de la trame urbaine dans le Sud-ouest algérien : place

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