4. N ORME ET FRANÇAIS QUÉBÉCOIS
1.5 E RREUR , FAUTE , DYSFONCTIONNEMENT ? R EMARQUES SUR LA TERMINOLOGIE RELATIVE À L ’ ERREUR
Les termes ERREUR et FAUTE ont longtemps été utilisés indifféremment dans
l’enseignement, mais la tendance est, depuis quelques décennies, de privilégier l’emploi d’ERREUR37. En effet, FAUTE véhicule, dans certaines de ses acceptions,
l’idée de ‘manquement à un engagement moral ou religieux, à une loi’; il est donc plus lourdement connoté qu’ERREUR. La didactique n’ayant plus tendance à
considérer l’erreur « comme pathologique et comme à éradiquer » (Spychiger,
37 On remarque tout de même quelques « dissidents », par exemple Patris et Vansnick (1992) qui
s’intéressent aux fautes lexicales et Lamy, qui propose une pédagogie de la faute (Lamy, 1976) et semble plutôt attaché à ce terme (Lamy, 1984).
2006: 18), mais plutôt comme un phénomène normal du processus d’apprentissage, voire un élément central de ce processus, il est tout à fait compréhensible que l’on préfère un terme avec moins de connotations négatives. Mais au‐delà de ces considérations connotatives, ces choix terminologiques cachent‐ils des nuances conceptuelles? Cette question est cruciale lorsqu’on s’intéresse à l’analyse d’erreurs, puisque les différents dysfonctionnements dénotés par ces termes n’auront peut‐être pas la même pertinence du point de vue de l’analyse.
La première distinction importante entre ERREUR et FAUTE, qui correspond à
l’opposition ERROR et MISTAKE de la littérature anglophone, est liée aux notions de
performance et de compétence proposées dans le cadre de la grammaire générative (voir notamment Chomsky, 1965). Un problème de performance, c’est‐à‐dire un échec d’exécution lors de la mise en œuvre de savoirs linguistiques dans la production ou la compréhension d’énoncés, sera appelé faute, alors qu’un dysfonctionnement attribuable à une faille dans la compétence du locuteur, soit sa capacité à produire ou à reconnaitre des énoncés appartenant à sa langue, sera désigné par le terme ERREUR (Corder, 1967/1980 ;
Besse et Porquier, 1984). Bien que cette opposition semble partagée par de nombreux chercheurs, il existe certaines nuances dans la terminologie employée dans la littérature.
Dans un article portant précisément sur les distinctions entre différents termes liés à l’erreur, Bertrand (1987), propose d’utiliser LAPSUS plutôt que FAUTE pour
les dysfonctionnements découlant d’un simple problème dans l’application de règles pourtant connues (et généralement maitrisées)38. « […] Parce qu’ils sont “de la faute” de l’élève » et méritent en quelque sorte tout le poids connotatif du terme, Bertrand réserve l’emploi de FAUTE aux problèmes ayant pour source
« [le] manque de sérieux dans l’apprentissage, la négligence… » (p.79). L’auteur
38 C’est d’ailleurs la position généralement adoptée par les chercheurs de langue anglaise, qui
parlent de lapses, mais sans l’opposer à error qui en constitue le terme générique ou hyperonyme (voir notamment Reason, 1990: 9).
utilise finalement ECART comme terme générique pour regrouper les trois types
de dysfonctionnements : les erreurs, les lapsus et les fautes.
James (1998), pour sa part, croit que la classification des écarts la plus pratique est celle reposant sur la capacité de l’apprenant à rétablir la forme correcte. Les lapsus (slips ou lapses) peuvent être repérés et corrigés spontanément par l’apprenant sans aide extérieure alors que les fautes (mistakes) ne peuvent être corrigées que lorsqu’on lui en fait remarquer la présence39. Les erreurs (errors), elles, ne peuvent être corrigées par l’apprenant sans que ne soient faits des apprentissages supplémentaires. Finalement, une dernière catégorie, que James nomme « solecisms », regroupe les erreurs découlant de la transgression d’une règle « de correction » imposée par la norme prescriptive, mais qui est en général contre‐intuitive même pour les locuteurs natifs; par conséquent, les erreurs de ce type seront souvent présentes dans l’input langagier servant de modèle à l’apprenant40.
Ce qu’il est important de retenir de cette discussion terminologique est que le terme ERREUR semble le plus répandu (Reuter et coll., 2007) pour dénoter un
écart attribuable à une lacune dans les connaissances du locuteur ou découlant de l’application d’une règle fausse faisant partie d’un système linguistique transitoire de l’apprenant41 : les erreurs de compétence au sens chomskyen. Seules ces « fautes intelligentes » (Berthoud et Py, 1993: 59), par leur récurrence et leur systématicité, seront pertinentes d’un point de vue cognitif et pourront éclairer les processus d’apprentissage de l’apprenant. En bref, ce sont les erreurs qui intéressent l’analyse d’erreurs! Arabski (1979), qui croit aussi qu’il existe différents niveaux entre l’erreur et la faute, souligne par contre que tous les problèmes sont importants d’un point de
39 James (1998) distingue les « firstorder mistakes », qui sont corrigées immédiatement
lorsqu’on mentionne à l’apprenant qu’il y a un problème, des « secondorder mistakes », dont la correction exige plus de détails sur la localisation ou la nature du problème.
40 Cette idée rappelle la notion d’erreur induite, que nous présenterons plus loin (voir IV‐3). 41 À noter cependant que Reuter (2005) préfère le terme dysfonctionnement, qu’il considère
moins restrictif et qui selon lui permet, par sa parenté formelle avec fonctionnement, d’appréhender le dysfonctionnement comme un phénomène « indissociablement lié aux fonctionnements eux‐mêmes » (p.213).
vue didactique, puisque l’enseignant vise à les voir tous disparaitre des productions de ses élèves. Évidemment, le type d’intervention didactique variera avec le type de problèmes – les fautes nécessitant des exercices pédagogiques intensifs alors que les erreurs demandent des explications – et certains problèmes mériteront davantage l’attention de l’enseignant.
Nous sommes plutôt d’accord avec la position d’Arabski et nous croyons qu’elle est d’autant plus pertinente en matière de lexique, où les problèmes seront rarement caractérisés par la récurrence et la systématicité. Le caractère ponctuel des problèmes lexicaux et le fait qu’ils soient associés à des UL spécifiques feront qu’il sera souvent impossible d’établir s’il s’agit d’erreurs ou de fautes, particulièrement dans le cas d’une analyse à partir d’un corpus écrit, comme la nôtre, dans laquelle il est impossible de consulter les scripteurs à l’origine des textes. Comment, en effet, savoir si un mauvais emploi lexical témoigne d’une faille dans le vocabulaire de l’élève, s’il résulte d’un problème d’inattention ou simplement de paresse ou de négligence? Nous sommes donc d’avis qu’il serait hasardeux, dans la présente thèse, de tenter de rendre compte du statut des différents problèmes lexicaux relevés par des oppositions terminologiques comme celles proposées par Bertrand (1987).
Nous emploierons donc, dans cette thèse, le terme ERREUR pour désigner tout
type de dysfonctionnement lexical, peu importe son origine et indépendamment de sa gravité relative par rapport aux autres problèmes analysés.
Si nous privilégions ce terme pour désigner tous les problèmes lexicaux, c’est parce qu’il est le plus utilisé dans la littérature et celui auquel se rattachent le mieux les concepts centraux développés dans cette thèse (cf. norme, rapport à l’erreur). Bien entendu, ceci ne signifie pas que tous les problèmes lexicaux ont pour nous la même importance et doivent recevoir la même attention didactique de la part des enseignants. Bien sûr, il faudra hiérarchiser les erreurs relevées dans notre corpus pour relativiser leur importance et proposer des pistes d’intervention appropriées; par contre, nous ne croyons pas que c’est par l’emploi d’un nombre
limité d’étiquettes (cf. erreur, faute, lapsus) qu’il sera possible de rendre compte de cette hiérarchisation. Par exemple, l’opposition erreur ~ maladresse utilisée dans notre mémoire (Anctil, 2005) s’était avérée plutôt décevante parce qu’elle ne proposait qu’une gradation binaire qui ne permettait pas de rendre compte du continuum qui existe entre un emploi jugé unanimement comme acceptable et un autre condamné de façon consensuelle; même en multipliant les étiquettes, il serait difficile de positionner de façon satisfaisante les problèmes sur ce continuum. Nous verrons au point 3.2 de quelle façon des auteurs ont tenté de rendre compte de l’importance relative des erreurs dans leurs travaux.