2. La seconde est psycholinguistique Du point de vue de l’apprenant, l’erreur constitue un moyen d’apprendre en lui permettant de vérifier
2.3 S URVOL HISTORIQUE DES APPROCHES DE L ’ ANALYSE D ’ ERREURS
2.3.2 L’ ANALYSE D ’ ERREURS (AÉ) 44
Dans les années 70, les chercheurs veulent se dégager de l’orientation purement linguistique de l’AC en étudiant les erreurs avec un regard davantage psycholinguistique, en prenant en compte le rôle de l’apprenant dans
44 Nous désignerons l’approche nommée « analyse d’erreurs » par les lettres AÉ afin de marquer
la distinction avec l’analyse d’erreurs dans son sens global, c’est‐à‐dire toute démarche ayant pour objet la description ou l’explication des erreurs.
l’apprentissage de la L2 (Vogel, 1995). Un changement de perception face à l’erreur s’opère pour en donner une vision plus positive; « on voit dans l’erreur la manifestation naturelle de l’apprentissage » (Marquilló Larruy, 2003: 72) et on ne la perçoit plus comme le résultat d’un enseignement imparfait (Berthoud et Py, 1993).
C’est à cette époque qu’il y a un déplacement de l’analyse à priori des erreurs vers une analyse à postériori (Marquilló Larruy, 2003); plutôt que de tenter de prévoir les erreurs des apprenants, les chercheurs en font la cueillette dans les productions de ces derniers afin de les regrouper pour pouvoir les observer. Cette période est marquée par l’apparition de nombreuses typologies visant à catégoriser les erreurs selon différents critères. Par contre, la multiplication des classements, la grande variété des critères utilisés et leur caractère parfois imprécis ainsi que l’hétérogénéité des corpus étudiés (populations et types de productions) ne permettent pas l’extrapolation des observations faites (Porquier, 1977).
L’un des reproches les plus importants adressés à ce courant que l’on nomme l’AÉ est de demeurer résolument descriptif, sans tenter de remonter aux sources des erreurs, et de concevoir le traitement statistique des erreurs comme une fin en soi. « Il ne suffit pas de savoir quelles erreurs se produisent et sur quoi elles portent, il faut aussi trouver pourquoi elles se produisent. » (Porquier, 1977: 26) Ce reproche met en évidence l’importance de distinguer la description des erreurs (le résultat) et leur explication (les processus qui y ont conduit) et implique l’idée d’une analyse à deux niveaux; Porquier (1977) parle d’approche typologique et d’approche étiologique.
Ellis (1994) résume deux principales critiques relatives au manque de portée de l’AÉ :
1. On pointe son incapacité à fournir un portrait global de la maitrise de la langue de l’apprenant, puisqu’elle s’intéresse seulement aux aspects problématiques de sa production langagière (et ne tient pas compte des stratégies d’évitement).
2. L’AÉ n’ayant donné lieu qu’à très peu d’études longitudinales, elle ne décrit la compétence langagière d’un apprenant qu’à un moment précis,
ce qui ne révèle rien sur sa progression ou les différents niveaux de développement impliqués dans l’apprentissage d’une langue45. Malgré ces faiblesses, l’AÉ aura eu comme impact principal d’attirer l’attention sur l’erreur en lui attribuant une valeur plus positive et en lançant l’idée qu’elle constitue une fenêtre ouverte sur les processus d’acquisition des apprenants, ce qui correspond à la visée psycholinguistique de l’analyse des erreurs (voir 2.1). C’est ainsi que les linguistes commencent à s’intéresser davantage aux erreurs et que nait la recherche sur les interlangues (Marquilló Larruy, 2003). 2.3.3 L’INTERLANGUE Le concept d’interlangue est proposé par Selinker (1972) et, comme le souligne Vogel (1995), sera maintes fois désigné par d’autres appellations (impliquant parfois des nuances théoriques) : système intermédiaire (Py, 1980), dialecte idiosyncrasique (Corder, 1981), langue de l’apprenant (Vogel, 1995)46, etc. L’interlangue est donc un système linguistique propre à l’apprenant47, dont les règles partagent des caractéristiques à la fois avec le système de sa L1 et celui de la langue cible (Corder, 1981 ; Gaonac'h, 1982), même si certaines des règles n’ont leur origine dans aucune des deux langues (Gass et Selinker, 2001: 12). Selon Ellis (1994), la théorie de l’interlangue est particulièrement importante en ce sens qu’elle est la première à avoir tenté de fournir une explication des processus d’acquisition d’une langue seconde. Elle adopte cette approche « diachronique » qui faisait défaut à l’AÉ; il importe donc de bien distinguer une interlangue – qui constitue un « état de langue », un système linguistique construit par un apprenant à un moment précis de son apprentissage – de l’interlangue – qui est en fait le continuum sur lequel se positionne les
45 Pour reprendre un concept proposé par Saussure (1960), nous pourrions dire que l’AÉ
privilégie une approche syncronique.
46 Comme le mentionne J.‐P. Confais dans son avant‐propos à l’ouvrage de Vogel, qu’il a traduit, le
fait d’utiliser langue de l’apprenant (« Lernersprache ») permet de « bien marquer une évolution entre une approche de départ plutôt linguistique (l’interlangue comme système « entre deux langues ») et une approche plus psychologique et psycholinguistique… » (Confais dans Vogel, 1995: 12)
47 La notion d’interlangue rejoint en quelque sorte celle d’idiolecte, c’est‐à‐dire l’ensemble des
différentes interlangues (Ellis, 1994: 350). C’est par l’observation de ce continuum que des hypothèses peuvent être faites à propos de l’évolution de la langue de l’apprenant. Chaque interlangue est donc un système linguistique transitoire partageant plusieurs règles avec le précédent, mais présentant aussi de nouvelles règles et d’autres modifiées à la suite de l’invalidation de certaines hypothèses; c’est donc un système par essence « instable et fluctuant » (Berthoud et Py, 1993: 60)48.
Un des concepts centraux de la théorie de l’interlangue est celui de fossilisation, qui correspond en quelque sorte à l’arrêt de l’apprentissage (Gass et Selinker, 2001) et à la stabilisation du système linguistique de l’apprenant, système qui comprendra à la fois des règles correspondant à celles de la langue cible et des items « fossilisés » (générateurs d’erreurs en regard de la langue cible) qui continueront de marquer la production de l’apprenant en dépit de son âge ou de la quantité d’explications ou d’instruction qu’il recevra dans cette langue (Selinker, 1972).
La démarche de l’interlangue ayant pour objet l’élucidation des processus en jeu dans l’apprentissage d’une langue, elle tient compte de l’ensemble des énoncés produits, et non seulement des énoncés erronés, pour faire émerger le système linguistique construit par l’apprenant (Corder, 1981 ; Gass et Selinker, 2001). Selon Corder (1981), il existe trois types d’énoncés : ceux qui sont manifestement erronés (overtly erroneous), ceux qui sont bien formés mais qui ne conviennent pas au contexte (covertly erroneous) et ceux qui sont bien construits et appropriés au contexte. Il faut donc considérer autant les dimensions formelles que contextuelles avant de poser un jugement, et, dans le cas d’énoncés corrects et appropriés, il ne faut pas exclure la possibilité qu’ils aient été produits par chance, par exemple par l’application d’une règle fausse qui pourrait tout aussi bien générer des énoncés incorrects.
48 Il est à noter que le behaviorisme ayant servi de toile de fond à l’analyse contrastive est
Les travaux portant sur l’interlangue se distinguent donc de ceux menés dans le cadre de l’AÉ tant par leur visée, celle d’éclairer les processus en jeu dans l’acquisition d’une langue seconde, que par les données qui sont analysées, soit l’ensemble de la production des apprenants et non seulement les énoncés « erronés ». Dans cette approche, la notion même d’erreur devient problématique dans la mesure où l’apprenant est le seul locuteur de l’interlangue observée et que les énoncés qu’il produit sont conformes aux règles propres à ce système linguistique transitoire et ne constituent des erreurs qu’en référence aux normes de la langue cible. Ces écarts par rapport à la L2 seront malgré tout étudiés pour déterminer s’ils trouvent leur source dans une interaction entre la langue maternelle et l’interlangue (erreurs interlinguales) ou à l’intérieur même de ce système (erreurs intralinguales). L’analyse des erreurs devient donc, dans les travaux sur l’interlangue, un moyen parmi d’autres d’élucider les processus d’acquisition d’une langue seconde, puisque l’observation d’erreurs récurrentes et systématiques permet de mettre en lumière les règles de l’interlangue de l’apprenant.
CONCLUSION
La figure ci‐dessous, adaptée de James (1998), permet de situer les différents courants d’analyse d’erreurs.
Figure 4. Les différents courants de l’analyse d’erreurs (James, 1998)
Ce bref survol historique des courants s’étant systématiquement intéressés à l’erreur au cours des dernières décennies nous permet certaines observations.
1. Il semble généralement admis que l’erreur mérite une attention particulière, tant didactiquement que linguistiquement, parce qu’elle est révélatrice de l’évolution des savoirs en construction chez l’apprenant et des lacunes à combler.
2. Il ressort que, malgré le potentiel informatif de l’erreur, son analyse ne suffit pas en elle‐même à fournir un portrait global de la maitrise linguistique d’un individu; elle doit être appréhendée dans le cadre plus global de l’ensemble de la production de l’apprenant.
3. Toutes les erreurs relevées n’ont pas la même valeur du point de vue de l’élucidation des processus en jeu dans l’apprentissage (lapsus, faute, etc.).
4. Les chercheurs semblent unanimes sur deux points : la difficulté de catégoriser les erreurs et le caractère hypothétique des sources des erreurs.
Finalement, un dernier constat s’impose : les courants de recherches s’étant intéressés de façon systématique à l’erreur se sont concentrés presque exclusivement à l’acquisition d’une L2, l’accent étant mis sur les erreurs interlinguales (la Figure 4 en témoigne). Par conséquent, les informations dont nous disposons sur les erreurs intralinguales sont limitées et ne proviennent pas toujours de travaux s’étant inscrits clairement dans l’un des courants d’analyse d’erreurs décrits. D’un point de vue méthodologique, nous constatons aussi que les approches présentées tirent essentiellement leurs données de corpus écrits (Gass et Selinker, 2001) et s’intéressent donc principalement aux erreurs de production plutôt qu’à celles de compréhension (Corder, 1974).