6. Incompatibilité pragmatique (du sens et de la situation)
3.3 L’ ANALYSE DES PROBLÈMES DE NATURE FORMELLE
Dans les typologies étudiées, les problèmes relatifs à la forme sont traités de façon beaucoup plus homogène que ce que nous avons constaté pour les
80 Un des cas représentatifs de cette difficulté est la phrase suivante, produite par une étudiante
anglophone du français : Puis, moi-même #j’écoute un son extraordinaire; un crie (sic) d’un bébé, mon bébé […] Ici, le terme visé était ENTENDRE, un quasi‐synonyme d’ÉCOUTER qui est incompatible
avec la situation.
81 Les auteures mentionnent le non‐respect du typage sémantique des actants comme un cas
possible d’incompatibilité sémantique des sens. Par contre, les seuls exemples fournis illustrent ce cas précis et nous voyons mal quelles sont les autres possibilités.
problèmes sémantiques. Les classes d’erreurs formelles y sont généralement assez larges et peu nombreuses, probablement parce que ces erreurs ne sont pas celles qui intéressent le plus les chercheurs travaillant sur l’erreur lexicale. Étrangement, les erreurs d’orthographe, qui constituent sans doute le cas le plus typique de problèmes formels, ne sont pas présentes dans tous les travaux considérés. Pour Granger et Monfort (1994: 65), par exemple, « elles constituent une catégorie à part, distincte des erreurs grammaticales et des erreurs lexicales ». Si cela nous parait peu cohérent avec notre conception de l’erreur lexicale – la forme étant l’une des facettes de la connaissance d’une UL – et que nous adopterons une position différente, nous voyons certains arguments en faveur de l’exclusion des erreurs d’orthographe d’une typologie des erreurs lexicales.
Tout d’abord, il est vrai que dans la tradition pédagogique, les erreurs d’orthographe ont toujours été traitées comme un ensemble distinct des erreurs de vocabulaire; elles sont généralement quantifiées dans la même façon que les erreurs d’accords grammaticaux et font l’objet de plus d’attention didactique. Ceci s’explique sans doute par le fait que l’orthographe se plie davantage à un enseignement structuré et est soumis à une norme plus claire que les autres dimensions du vocabulaire. Ensuite, les erreurs d’orthographe sont si fréquentes et si nombreuses qu’elles nécessiteraient à elles seules une typologie très étoffée pour que l’on puisse rendre compte de la variété des distorsions possibles (choix de graphèmes erroné, inversion de phonèmes, épenthèse, mauvais emploi de majuscules, d’accents, oubli de consonnes doubles ou de lettres étymologiques, etc.); l’intégration d’un nombre très élevé de classes d’erreurs formelles à une typologie globale des erreurs lexicales compromettrait son caractère opérationnel en la rendant difficilement utilisable. Par ailleurs, l’intégration d’une seule catégorie regroupant tous les types d’erreurs d’orthographe (lexicale) mènera nécessairement à un ensemble d’erreurs hétéroclite peu intéressant d’un point de vue didactique. Pour ces raisons, nous comprenons que certains chercheurs aient pu choisir de ne pas inclure les erreurs d’orthographe
lexicale à leur typologie. Bien sûr, il existe des travaux portant spécifiquement sur les problèmes orthographiques, dont les plus importants sont sans contredit ceux de Nina Catach (voir entre autres Catach et coll., 1986).
Malgré tout, la plupart des classements étudiés contiennent ce type de problèmes et établissent une distinction entre les « simples » erreurs d’orthographe et les erreurs affectant le signifiant de façon plus importante (Anctil, 2005), les secondes affectant généralement la prononciation de l’UL déformée (cf. les barbarismes, chez Anctil, 2005). Il est intéressant de souligner que certains auteurs incluent parmi ces problèmes formels les déformations affectant les locutions (Anctil, 2005).
La grande majorité des typologies développées dans un contexte de L2 mentionnent l’utilisation d’UL (lexèmes ou locutions) inexistantes dans la langue cible; certaines regroupent tous les cas dans une même classe (Granger et Monfort, 1994), alors que d’autres, comme Zimmermann (1986), distinguent différents cas de figure (erreurs dans la formation de mots, emprunts directs à la L1, formes ininterprétables). Du côté des typologies s’intéressant à la L1 (Patris et Vansnick, 1992 ; Anctil, 2005), nous retrouvons les problèmes relatifs à une mauvaise dérivation morphologique (*emplacer, *obsessionner), mais l’emploi
d’une forme inexistante n’apparait pas, sans doute parce qu’il est moins susceptible de survenir dans un contexte de L1, l’emprunt direct à une autre langue étant moins fréquent82.
Un autre type d’erreur formelle souvent mentionné par les auteurs est l’emploi d’une paraphrase « illicite » (Milićević et Hamel, 2007), c’est‐à‐dire une reformulation peu idiomatique et maladroite, au lieu d’une UL précise. Milićević et Hamel nomment ce type de problème « forme analytique », puisque la paraphrase produite correspond en quelque sorte à une définition analytique (cf. décomposition sémantique) plus ou moins complète et habile de l’UL visée. Un problème que nous entrevoyons avec cette classe d’erreurs est la distinction
82 La classe « mélange de codes » de notre typologie (2005) permet tout de même de rendre
compte des emprunts directs à une autre langue, mais pas des cas où la forme utilisée est tout simplement inexistante.
entre les erreurs de « forme analytique » réelles et les problèmes découlant de l’emploi de périphrases. Les premières témoignent réellement d’un problème d’accès à une forme existante dans la langue et impliquent l’apparition d’une UL précise dans la correction; Milićević et Hamel donnent l’exemple une bicyclette qui
ne bouge pas pour STATIONNAIRE. Les problèmes de périphrase présentent aussi
une formulation maladroite, mais ils relèvent plutôt du style que de la méconnaissance d’une UL précise. Leur correction est plus difficile, car ils ne peuvent être aisément remplacés par un seul terme; par exemple, Il dit des tas
d’idées et des raisonnements pour se défendre… (Patris et Vansnick, 1992).
Les derniers types de problèmes formels que nous retrouvons dans les travaux consultés sont les problèmes relatifs à la flexion de verbes irréguliers, principalement mentionnés par les chercheurs s’intéressant au calcul de la richesse lexicale (Arnaud, 1992 ; Engber, 1995 ; Laufer et Paribakht, 1998). Nous jugeons cette classe d’erreurs très intéressante, mais comme nous l’avons mentionné plus haut, croyons qu’elle doit être élargie à toutes les UL présentant des flexions particulières.