LEXICALE DES ENSEIGNANTS
3. L E RAPPORT À L ’ ERREUR LEXICALE DES ENSEIGNANTS
Nous avons souligné plus haut que le rapport d’un sujet à un objet devait être caractérisé non pas seulement en fonction de cet objet, mais aussi en tenant compte du sujet. C’est pour cette raison que nous choisissons de parler ici de la notion de « rapport à l’erreur lexicale des enseignants » plutôt que simplement de « rapport à l’erreur lexicale ». En effet, comme le mentionne Schneuwly (2008), le rapport à un même savoir diffèrera nécessairement selon que l’on s’intéresse aux apprenants ou aux enseignants. Nous pourrions même pousser plus loin cette idée en définissant le « rapport à l’erreur lexicale d’enseignants de français du secondaire », puisque le rapport à l’erreur lexicale d’autres enseignants risque d’être différent, voire inexistant; il se pourrait tout à fait qu’un enseignant de mathématiques, par exemple, n’ait pas de représentations relatives à l’erreur lexicale ni de pratiques s’y rapportant, puisqu’il est très rarement confronté à ce type de problèmes et n’a par conséquent pas pris le temps d’y réfléchir. Pour alléger notre propos, nous continuerons malgré tout de parler de « rapport à l’erreur des enseignants ».
Par ailleurs, nous jugeons pertinent de caractériser notre notion autour d’un objet précis et bien délimité – l’erreur lexicale – plutôt que relativement à un objet plus large comme « l’erreur linguistique », voire « l’erreur » en général. En effet, le fait de bien circonscrire l’objet du rapport aura une incidence sur les
dimensions de ce rapport que nous retiendrons dans sa caractérisation. Par exemple, la dimension affective qui pourrait sans doute caractériser le rapport à l’erreur en général ne sera pas pertinente pour la définition du rapport à l’erreur lexicale (voir plus bas). Comme le mentionnent Reuter et coll. (2007: 194), « les transferts ne sont pas mécaniques » et les caractéristiques du rapport d’un sujet à un contenu d’enseignement ne seront pas nécessairement les mêmes que celles liées à un autre. Par ailleurs, il se peut tout à fait que des représentations relatives à des objets plus larges (l’erreur linguistique, l’erreur) soient des éléments constitutifs du rapport à l’erreur lexicale. Comme le souligne Charlot (1997: 98) :
Le « rapport à » inclut des représentations qui ne sont pas nécessairement celles de ce dont le rapport est « à ». Ainsi, le rapport à l’école peut mettre en jeu des représentations de l’école, mais aussi de l’avenir, de la famille présente et future, du travail et du chômage dans la société de demain, des technologies modernes, etc. »
De la même façon, le rapport à l’erreur lexicale d’un enseignant pourrait être teinté de conceptions relatives à d’autres types d’erreurs linguistiques, voire à sa conception de la norme, du français québécois, de la langue, etc.
Comme la notion de « rapport à l’écrit » est sans doute le « rapport à » ayant fait l’objet d’un plus grand effort d’opérationnalisation dans un contexte didactique, c’est celui sur lequel nous nous appuierons pour développer la notion de « rapport à l’erreur lexicale des enseignants ». En nous inspirant fortement de la définition de « rapport à l’écrit » fournie par Legendre (2005), nous pourrions donc définir ainsi le rapport à l’erreur lexicale des enseignants :
Rapport à l’erreur lexicale des enseignants : ensemble des valeurs,
représentations, attitudes et pratiques propres à un enseignant en relation avec l’erreur lexicale.
Trois des dimensions du rapport à l’écrit, tel que défini dans le cadre de la recherche Scriptura, nous semblent particulièrement pertinentes pour la délimitation de la notion de « rapport à l’erreur lexicale des enseignants ». Ce sont en effet les trois axes qu’il serait intéressant d’explorer dans le but d’éclairer le rapport à l’erreur lexicale d’enseignants du secondaire.
La dimension axiologique concerne la valeur que l’enseignant attribue
à l’erreur lexicale et, plus largement, à la maitrise du vocabulaire. Selon lui, est‐ce important de relever les erreurs lexicales et de travailler ce type de problèmes en classe? Quelle importance l’enseignant accorde‐t‐il à la maitrise du vocabulaire? Croit‐il que la maitrise d’un vocabulaire étendu est importante pour la réussite scolaire et sociale des élèves? De façon plus globale, cette dimension a aussi trait à la façon dont l’enseignant perçoit l’erreur en général; est‐ce un indice des connaissances en construction chez l’élève ou plutôt une preuve de l’échec des enseignements reçus jusqu’à maintenant? Il est évident que la dimension axiologique du rapport de l’enseignant à l’erreur lexicale orientera ses attitudes et ses pratiques en lien avec ce type d’erreurs.
La dimension conceptuelle est liée aux représentations de l’enseignant
à propos de l’erreur lexicale et de la maitrise du vocabulaire. Qu’est‐ce qu’une erreur de vocabulaire? Pourquoi commet‐on de telles erreurs? Qu’est‐ce que « connaitre un mot »? Les conceptions qui constituent cette dimension du rapport à l’erreur peuvent aussi concerner des aspects plus didactiques de la question. Comment apprend‐on le vocabulaire? Les élèves ont‐ils un bon vocabulaire? Quels sont leurs principaux problèmes lexicaux? Comment peut‐on corriger une erreur lexicale? Comment le dictionnaire peut‐il aider à prévenir les erreurs de vocabulaire? Est‐ce que cela aide les élèves lorsqu’on corrige leurs erreurs de vocabulaire?
La dimension praxéologique a trait aux pratiques des enseignants
relativement à l’erreur lexicale et, plus largement, à l’évaluation du vocabulaire en production de texte. Corrigent‐ils les problèmes lexicaux? Si oui, de quelle façon? Font‐ils des retours avec leurs élèves sur ce type de problèmes? Comment utilisent‐ils eux‐mêmes le dictionnaire lorsqu’ils éprouvent des doutes sur un emploi lexical? Comment tiennent‐ils compte de la dimension lexicale dans leur évaluation?
Nous n’avons pas retenu la dimension affective présente dans les descriptions du rapport à l’écriture de Barré‐de Miniac (2000) et du RÉ de Chartrand et Blaser (2008) parce qu’elle nous paraissait moins pertinente pour un objet aussi précis que l’erreur lexicale. Chartrand, Blaser et Gagnon (2006: 276) mentionnent d’ailleurs que la dimension affective du rapport à l’écrit « se manifeste par deux indicateurs : le temps et la fréquence des pratiques de lecture et d’écriture à l’école et hors de l’école ainsi que les efforts que le sujet consacre à l’écrit pour l’école. » Nous voyions mal comment, d’un point de vue méthodologique, nous pourrions mesurer la dimension affective du rapport à l’erreur lexicale des enseignants sur de telles bases ; certaines informations
relatives à cette dimension pourraient par ailleurs ressortir de l’analyse des dimensions axiologique et praxéologique du rapport à l’erreur lexicale.
CONCLUSION
Ce chapitre nous a donc permis de définir plus clairement les dimensions que nous désirons éclairer lorsque nous affirmons vouloir décrire le rapport à l’erreur lexicale d’enseignants de français du secondaire. Évidemment, les différentes composantes de notre rapport à l’erreur lexicale restent difficilement « désintriquables », mais, tout comme la notion de rapport à l’écrit(ure), le rapport à l’erreur lexicale devrait avoir un potentiel euristique suffisant pour permettre d’intéressantes observations didactiques. Nous verrons dans notre méthodologie de quelle façon nous entendons dégager les représentations/ conceptions, les attitudes et les pratiques qui constituent le rapport à l’erreur lexicale d’enseignants du secondaire.
P
REMIER OBJECTIF
M
ÉTHODOLOGIE
OBJECTIF
Avant d’aborder notre méthodologie, rappelons d’entrée de jeu notre premier objectif de recherche.
1. Analyser les erreurs lexicales d’élèves francophones de troisième secondaire