• Aucun résultat trouvé

La très grande majorité des travaux que nous avons consultés, notamment ceux  proposant  des  typologies  d’erreurs  lexicales  (que  nous  aborderons  dans  le  prochain chapitre), traitent des problèmes de vocabulaire chez des apprenants  d’une  langue  seconde,  la  plupart  du  temps  l’anglais.  En  quoi  ces  recherches  peuvent‐elles  réellement  nous  être  utiles  si  nous  nous  intéressons  aux  problèmes lexicaux d’élèves de langue française ayant toujours été scolarisés en  français? Est‐ce que les erreurs d’apprenants d’une L1 sont les mêmes que ceux  qui apprennent une L2? Les prochains paragraphes nous permettront de mieux  comprendre ce qui rapproche et ce qui différencie les erreurs commises dans ces  deux contextes.  Selon Arabski (1979), les erreurs en L1 et en L2 se rapprochent sur différents  points, dont certains sont directement liés à la définition même de l’erreur, qui  demeure la même en L1 et en L2. Tout d’abord, toutes les erreurs sont relatives,  et  un  emploi  n’est  considéré  comme  fautif  qu’en  relation  avec  une  norme,  qui  peut varier selon les contextes; Arabski donne l’exemple de formulations jugées  tout  à  fait  correctes  en  anglais  américain  qui  étaient  condamnées  dans  les  classes polonaises d’anglais dans les années 60, où l’anglais britannique faisait  office de norme. Ensuite, les erreurs des natifs, comme celles d’apprenants d’une  L2,  présentent  une  certaine  systématicité,  systématicité  sans  laquelle  des  interventions  didactiques  pour  les  prévenir  seraient  impossibles.  Finalement  –  et c’est là le point particulièrement intéressant soulevé par Arabski –, il se peut  que des erreurs produites en langue maternelle par des locuteurs natifs aient en  quelque  sorte  une  source  « interlinguistique »,  lorsqu’elles  peuvent  être  expliquées  non  pas  par  le  contact  de  deux  langues,  mais  par  celui  de  deux  registres, par exemple le français oral familier et le français standard. 

Selon Ringbom (1987: 73), toute comparaison entre des corpus de textes écrits  par  des  apprenants  de  L1  et  de  L2  de  niveaux  scolaires  comparables  et  de  niveaux  de  compétence  équivalents  révèlera  un  nombre  d’erreurs  en  L2  beaucoup  plus  élevé  et  une  variété  d’erreurs  plus  grande  que  chez  les  natifs. 

Pour tenter de cerner plus clairement les différences entre les erreurs en L1 et  en  L2,  l’auteur  a  comparé  une  cinquantaine  de  textes  écrits  par  des  élèves  anglophones de 15 ans du nord de l’Angleterre avec le même nombre de textes  écrits  par  des  apprenants  finnois  de  l’anglais  de  19  ans.  Cette  étude,  bien  que  plutôt  exploratoire  considérant  le  nombre  peu  élevé  de  rédactions  étudiées,  a  permis d’intéressantes constatations en ce qui concerne les problèmes de nature  lexicale.  

Premièrement, pour ce qui est du nombre d’erreurs d’orthographe, le chercheur  n’a constaté aucune différence importante entre les deux groupes qu’il a étudiés.  Par  contre,  les  sources  présumées  des  problèmes  d’orthographe  lexicale  des  sujets varient selon que ceux‐ci s’expriment en L1 ou en L2. Chez les natifs, ces  problèmes  orthographiques  découlent  souvent  d’une  difficulté  à  transposer  à  l’écrit une forme qu’ils maitrisent à l’oral, difficulté amplifiée par l’orthographe  opaque  de  l’anglais.  Chez  les  apprenants  d’une  L2,  qui  apprennent  souvent  les  formes  orale  et  écrite  d’un  mot  de  façon  simultanée,  les  problèmes  de  transposition d’une forme à l’autre peuvent intervenir dans les deux sens : ou la  forme  orale  conduit  l’apprenant  à  commettre  une  erreur  orthographique  ou  encore, c’est la forme graphique du mot qui influence sa prononciation à l’oral.  Une erreur orthographique en L2 peut aussi être commise sous l’influence d’une  forme similaire en L1 ou dans une autre L2.  Deuxièmement, en ce qui concerne les autres types d’erreurs lexicales, Ringbom  constate très peu de différences entre ses deux groupes. Comme les apprenants  d’une L2, beaucoup de locuteurs natifs possèdent un vocabulaire limité, ce qui  les  conduit  à  confondre  des  mots  éloignés  sémantiquement  sur  la  base  de  similarités formelles, à faire une mauvaise utilisation des suffixes dérivationnels,  voire à utiliser des mots inexistants en anglais. L’auteur établit aussi un parallèle  entre les scripteurs faibles de L1 avec les scripteurs moyens ou faibles de L2 en  soulignant  l’utilisation  de  termes  vagues  et  imprécis  et  la  surutilisation  de  certains  verbes  communs  (Ringbom,  1987:  77).  Dans  un  même  ordre  d’idées,  Hyltenstam  (1988)  n’a  pas  observé  de  différences  significatives  entre  des 

apprenants avancés (near­native learners) du suédois et des locuteurs natifs en  ce qui a trait à la taille, la variété et la sophistication du vocabulaire utilisé en  production écrite.  Finalement, Ringbom vient étayer notre idée selon laquelle les erreurs en L1 et  en L2 ne se distinguent pas tant par leur forme que par leur source en tirant la  conclusion suivante : 

The difference between L1-writers and L2-writers is reflected not only in the slightly differing types of errors that they make, but also in their arrival at the same linguistic product via different process routes. (Ringbom, 1987: 78)

Les  conclusions  auxquelles  arrivent  les  quelques  chercheurs  mentionnés  dans  cette section pourraient donc être ainsi résumées : d’un point de vue purement  descriptif,  les  erreurs  en  L1  et  en  L2  seront  à  peu  près  les  mêmes,  mais  se  distinguent par leur fréquence et leur distribution. Les grandes différences entre  les deux types d’erreurs apparaissent lorsque l’on s’intéresse à leur explication  et les hypothèses posées varient selon qu’une erreur est commise en contexte de  langue première ou de langue seconde. Par exemple, la question du transfert à  partir  de  la  L1,  centrale  dans  les  travaux  en  L2  (et  à  la  base  de  l’analyse  contrastive),  ne  nous  permettra  d’expliquer  qu’une  très  faible  proportion  des  problèmes  que  nous  rencontrerons  dans  notre  corpus  (chez  les  élèves  parlant  plus  d’une  langue),  encore  que  l’hypothèse  d’Arabski  (1979)  mentionnée  plus  haut nous amènera peut‐être à parler de transfert à partir de la langue orale.  Évidemment,  l’objectif  de  notre  recherche  n’est  pas  de  comparer  des  erreurs  lexicales  commises  en  L1  et  en  L2.  Par  contre,  nous  avons  démontré  que  le  recours à des travaux sur l’analyse d’erreurs en L2, comme ceux auxquels nous  faisons référence tout au long de notre cadre conceptuel, est tout à fait pertinent  pour éclairer des problèmes de nature lexicale en langue maternelle. Toutes les  typologies d’erreurs lexicales analysées dans le chapitre suivant nous ont permis  d’alimenter notre réflexion sur la description des erreurs et, dans une moindre  mesure,  sur  les  sources  possibles  des  problèmes.  Bien  entendu,  les  résultats 

relatifs à la fréquence ou à la distribution des erreurs présentés dans ces travaux  nous sont quant à eux assez peu utiles. 

Nous  croyons  qu’en  distinguant  clairement  les  niveaux  de  description  linguistique  et  d’explication  psycholinguistique  des  erreurs,  il  sera  beaucoup  plus  facile  de  mesurer  l’apport  relatif  de  chacun  des  travaux  analysés  à  notre  propre recherche sur les problèmes lexicaux en langue maternelle. Selon nous,  une  grille  d’analyse  des  erreurs  lexicales  purement  descriptive  devrait  être  universelle et s’appliquer autant à des problèmes relevés dans des corpus de L1  ou  de  L2.  Évidemment,  ce  ne  sera  pas  le  cas  pour  le  volet  explicatif :  les  processus menant les locuteurs natifs à produire des erreurs, que nous désirons  mettre  en  lumière  dans  cette  thèse,  diffèrent  sans  doute  de  ceux  qui  émergeraient si nous nous intéressions plutôt à ceux d’apprenants d’une L2. 

CONCLUSION 

Le  présent  chapitre  nous  a  permis  de  mieux  cerner  la  notion  d’erreur  linguistique,  centrale  dans  notre  travail  sur  l’erreur  lexicale.  Le  survol  des  différents  courants  de  recherche  sur  l’analyse  d’erreurs  a  quant  à  lui  fait  ressortir  les  éléments  intéressants  que  nous  lèguent  ces  travaux  pour  l’étude  d’un  type  d’erreur  linguistique  spécifique :  l’erreur  lexicale.  C’est  à  ce  concept  que sera consacré le chapitre suivant. 

À  la  lumière  des  informations  sur  le  lexique  présentées  en  introduction  de  ce  cadre conceptuel et de notre définition de l’erreur linguistique, nous voilà prêt à  aborder  le  cœur  de  notre  thèse :  l’erreur  lexicale.  Nous  présenterons  d’abord  notre  définition  de  l’erreur  lexicale  avant  de  faire  un  survol  des  principaux  travaux  s’étant  intéressés  à  ce  type  d’erreurs  de  façon  à  faire  ressortir  les  éléments  à  retenir  pour  constituer  les  outils  descriptif  et  explicatif  que  nous  utiliserons dans notre propre analyse.