3. Q U ’ EST CE QU ’ UN MOT ?
3.4 L’ UNITÉ LEXICALE (UL)
3.6.2 L A COMBINATOIRE LEXICALE
Le deuxième axe de combinatoire est la combinatoire lexicale, aussi appelée cooccurrence lexicale restreinte, qui se manifeste dans la parole à travers le phénomène de la collocation. La cooccurrence lexicale est le simple fait pour deux UL d’apparaitre ensemble dans un énoncé. La collocation, quant à elle, est un cas particulier de cooccurrence. En voici une définition proposée par Polguère (2008: 165) :
Une collocation est un syntagme AB (ou BA), formé des lexies LA et LB et qui
est tel que, pour le construire, le locuteur sélectionne LA librement d’après son
sens (L
A), alors qu’il sélectionne LB pour exprimer auprès de LA un sens très
général (s) en fonction de la combinatoire restreinte de L
A.
Les collocations sont donc des syntagmes semi-phraséologisés.
L’expression faire un choix, par exemple, est une collocation. La personne utilisant
cette expression a d’abord voulu exprimer le sens ‘choix’ et, en fonction de ce
21 Lépine (1995) parle d’ailleurs de syntaxe lexicale.
22 C’est notamment le cas avec plusieurs noms, tous les verbes transitifs, certains adjectifs et
l’ensemble des prépositions. Dans le cas des lexies verbales, le premier actant sémantique joue syntaxiquement le rôle de sujet et non de complément.
choix, elle a sélectionné le verbe FAIRE. Nous dirons que CHOIX est la base de la
collocation, alors que FAIRE est le collocatif. Il est important de comprendre que
dans une telle expression, seule la base est choisie librement, et le collocatif est en quelque sorte imposé par le système lexical de la langue, sans que l’on puisse nécessairement justifier pourquoi. En effet, si la personne avait plutôt choisi pour base le nom DÉCISION, qui est pourtant un synonyme de CHOIX, elle aurait dû
utiliser le collocatif PRENDRE pour produire prendre une décision (et non *faire une
décision ou *prendre un choix). La collocation est un phénomène complexe23, mais pourtant omniprésent dans toutes les langues. Par conséquent, il est important pour bien connaitre une UL de savoir quels sont ses collocatifs les plus fréquents. Par exemple, une personne qui maitrise bien le verbe DORMIR saura
que l’on peut dire, pour intensifier le sens du verbe, dormir profondément/à poings
fermés/comme un bébé/comme une souche/du sommeil du juste, etc.
On se rend peu compte de la fréquence des collocations dans la langue, et le peu d’intérêt qui leur est généralement accordé dans l’enseignement en témoigne. Pourtant, les problèmes relatifs à la combinatoire lexicale sont assez fréquents, notamment en langue seconde, puisque la richesse collocationnelle – c’est‐à‐dire le fait de connaitre plusieurs collocatifs pour une UL spécifique – demeure souvent l’apanage du locuteur natif. Les dictionnaires grand public, ressource lexicale par excellence, font généralement un traitement incomplet et inégal de la collocation en présentant implicitement, à travers des exemples d’utilisation de l’UL décrite, seulement quelques collocatifs parmi les plus fréquents.
Pour sa part, la LEC tente de fournir une description exhaustive et structurée de la combinatoire des UL qu’elle décrit dans ses dictionnaires. Cette description fine de la dimension collocationnelle des UL est fournie à l’aide d’un formalisme rigoureux : les fonctions lexicales. Il nous est impossible, dans le cadre de cette thèse, de présenter en détail ce puissant formalisme, mais en voici tout de même un bref aperçu. 23 Pour une présentation plus détaillée de la notion de collocation, voir Hausmann (1979) et Mel'čuk et al. (1995)
3.6.2.1 LA MODÉLISATION DES COLLOCATIONS À L’AIDE DES FONCTIONS LEXICALES
Les fonctions lexicales (ci‐après FL), sur le modèle des fonctions mathématiques, permettent d’associer une UL à un ensemble de valeurs pour une fonction donnée. Prenons comme premier exemple une FL qui ne permet pas d’encoder un lien syntagmatique collocationnel, mais plutôt un lien paradigmatique : la FL
Syn, qui permet d’associer une UL à ses synonymes.
Syn(difficile) = ardu, complexe, compliqué, corsé, délicat, problématique
La FL prend donc une UL précise comme mot‐clé (ici DIFFICILE) et renvoie les
valeurs correspondantes.
Pour que l’on considère pertinent d’encoder une certaine relation lexicale par une FL, il faut que cette relation soit récurrente dans la langue, c’est‐à‐dire qu’elle existe pour un nombre important d’UL, et qu’elle renvoie pour chaque UL des valeurs différentes, comme c’est bien sûr le cas de la synonymie. Bien évidemment, même les dictionnaires commerciaux rendent compte de certaines relations récurrentes, comme la synonymie et l’antonymie. Là où la LEC se distingue, c’est par l’emploi des FL pour illustrer des relations peu représentées dans les dictionnaires grand public, mais néanmoins récurrentes dans la langue, par exemple le nom typique des actants sémantiques associés à une UL. Cette relation entre une UL et ses actants sémantique est encodée par la FL S, pour
« substantif ». En voici un exemple avec le nom ASSASSINAT (assassinat de Y par X).
S1(assassinat) = assassin, meurtrier, auteur [de l’~]
S2(assassinat) = victime
Les numéros apparaissant en indice de la FL font référence à l’actant sémantique que concernent les valeurs retournées par la fonction ; ainsi, les termes ASSASSIN, MEURTIER et auteur de l’assassinat permettent de désigner le premier actant
d’ASSASSINAT (X), alors que VICTIME dénote le second (Y).
Illustrons maintenant une FL permettant d’encoder une relation syntagmatique en nous servant de la FL Magn24, qui véhicule le sens très vague ‘très’ et associe à une UL les collocatifs permettant de l’intensifier, comme dans l’exemple suivant.
Magn(faute) = grave, lourde, grossière, irréparable, sérieuse
Il est aussi possible de combiner les FL de façon à traduire d’autres relations.
AntiMagn(faute) = petite, légère, vénielle
Il existe environ une cinquantaine de FL standards dans la TST, servant à encoder tant des relations paradigmatiques que syntagmatiques, allant de l’intensification aux verbes supports. La LEC, en présentant pour chaque UL qu’elle décrit l’ensemble des FL pertinentes pour cette UL, met en lumière l’ensemble des liens privilégiés qu’entretient cette UL avec d’autres lexies de la langue, et permet d’anticiper les collocatifs avec lesquels elle est susceptible d’apparaitre lorsqu’utilisée par un locuteur natif.
Nous arrêtons ici notre (trop) brève introduction à ce puissant formalisme de modélisation des collocations, en mentionnant toutefois que les FL utiles à notre analyse seront présentées plus en détail au chapitre VIII, point 2.2.5, alors que nous aborderons les erreurs de collocations des élèves. Pour une introduction complète à la notion de FL, nous renvoyons à Mel'čuk et al. (1995).