5. Remédiation/prolongements pédagogiques : Cette étape concerne la dimension pronostique de l’analyse d’erreurs (voir 2.1) et sera
3.1.3 L’ EXPLICATION DES ERREURS
Cette étape est en quelque sorte le cœur de la démarche d’analyse, puisque c’est celle qui, dans une perspective psycholinguistique, permettra d’éclairer les processus cognitifs en jeu chez l’apprenant et, dans une visée didactique, orientera les interventions de l’enseignant. Nous avons déjà évoqué la part de subjectivité liée à l’interprétation pour la restitution du sens; l’interprétation de la source des erreurs laisse une place encore plus grande à la spéculation. Tout d’abord, une erreur peut avoir plusieurs sources et une même erreur peut avoir des causes différentes selon la personne qui la commet (Stirman‐Langlois, 1995). De plus, il est difficile d’avoir accès aux cheminements cognitifs ayant mené l’apprenant à commettre une erreur, d’autant plus que certaines causes possibles ne seront même pas envisagées par le correcteur, qui les « filtre » en quelque sorte par sa vision de la langue; Berthoud (1987: 15) parle d’« adultocentrisme ». Pour valider les sources d’erreurs supposées à la lumière des indices fournis par la production d’un apprenant – les données textuelles selon Porquier (1977) – il est recommandé de faire appel à ce dernier afin d’avoir accès à d’autres informations (Cain, 1987 ; Mastin, 2001) que l’on nomme données intuitives. Porquier (1977) suggère trois façons de générer des données intuitives : 1) par des commentaires métalinguistiques, 2) par le biais d’une tâche de production contraignante poussant le sujet à utiliser les structures problématiques et 3) par des jugements de grammaticalité. Même s’il n’est pas toujours possible d’établir avec assurance la source d’une erreur, particulièrement à partir de données textuelles seulement, il est important de formuler une hypothèse, puisque celle‐ci peut « apparaître comme une indication annexe supplémentaire pour celui qui aurait suivi un autre cheminement. » (Demaizière, 1987: 52) Mais quelles sont donc les hypothèses à avancer pour expliquer les erreurs linguistiques ?
Frei (1929) suggère que les erreurs de langue trouvent leur source dans des « tentative[s] de réparation des aberrations et des déficits de la langue normée » (Bertucci, 1997). Si des formes erronées sont produites, c’est pour répondre à deux grands besoins régissant la production linguistique : l’économie (analogie, invariabilité) et la diversification (différentiation, expressivité).
Ainsi, l’interférence linguistique, liée à ce besoin d’économie, est la source première d’explication des erreurs de langue. Les travaux sur l’analyse d’erreurs se sont surtout intéressés aux erreurs interlinguistiques, c’est‐à‐dire celles qui surviennent sous l’influence de la L1 (ou d’une autre langue étrangère) alors qu’un locuteur utilise une L251. Par contre, les courants suivant l’analyse contrastive ont permis de faire ressortir le rôle des interférences intralinguistique dans le discours d’apprenants, même lorsque ces derniers s’expriment en L2. Voici la définition que propose Polguère (2007: 257) de l’interférence intralinguistique :
Interférence intralinguistique. Une interférence intralinguistique est un
phénomène de parole (au sens saussurien) qui possède les deux caractéristiques suivantes :
1. c’est un dysfonctionnement linguistique qui se manifeste par l’usage au sein d’un énoncé en langue L d’un élément linguistique (lexical ou grammatical) e1 qui est soit impropre en contexte soit mal construit ;
2. on peut expliquer l’usage que fait le locuteur de e1 par l’existence dans
la même langue L d’un élément linguistique e2 qui présente certaines
analogies avec e1 et qui aurait parasité la production du locuteur lors de
son accès aux règles linguistiques de L.
Évidemment, il suffirait de spécifier que e2, sous l’influence duquel e1 est produit,
appartient à une langue L2 pour obtenir une définition de l’interférence
interlinguistique (Polguère, 2007). Cette façon de définir l’interférence permet de mettre en évidence le rôle prépondérant de l’analogie, manifestation du principe d’économie de Frei (1929), dans la production d’erreurs linguistiques; l’analogie sera à la base de nombreux scénarios d’explication d’erreurs.
51 Polguère (2007: 7) souligne d’ailleurs que « le terme interférence linguistique est en fait
presque toujours utilisé pour signifier ‘interférence interlinguistique’ ». C’est d’ailleurs ce que l’on constate en consultant (Legendre, 2005), qui définit l’interférence linguistique comme un « Phénomène caractérisé par l’apparition, dans l’utilisation d’une langue, d’éléments ou de structures d’une autre langue. » (p.799)
Bien entendu, l’opposition erreur intralinguale/erreur interlinguale52 est omniprésente dans les travaux sur l’analyse d’erreurs, puisque ces derniers s’intéressent à l’explication des erreurs commises par des apprenants d’une L2. Par exemple, Granger et Monfort (1994), dans leur recherche sur la description de la compétence lexicale en langue étrangère, fondent leur classification des sources d’erreurs lexicales sur l’opposition entre les erreurs intralinguales (ou développementales) et les erreurs interlinguales. Ils font par contre une mise en garde intéressante en rappelant « qu’une proportion importante des erreurs permettent les deux interprétations. » (p.68) Ils divisent ainsi, à la suite de Sheen (1988) et Singleton (1990), les erreurs interlinguales en deux catégories : celles qui ne s’expliquent que par le transfert et celles pour lesquelles le transfert ne constitue qu’une explication parmi d’autres. Cette division entre les erreurs interlinguales est d’autant plus intéressante qu’elle fait bien ressortir le fait qu’il n’est pas toujours possible d’établir la source d’une erreur. Selon James (1998), il est même plutôt rare que l’on puisse clairement associer avec assurance une erreur avec une seule source. Pour lui, les erreurs sont généralement soit des erreurs « mixtes » (compound errors) – c’est‐à‐dire qu’elles ont plusieurs sources qui agissent de façon simultanée ou cumulative –, soit des erreurs ambigües (ambiguous errors) – c’est‐à‐dire que les scénarios d’explication envisagés sont en compétition plutôt qu’en interrelation. Ces deux cas de figure, qui nous poussent à nuancer l’explication d’une erreur leur correspondant, s’ajoutent au fait que l’étape de restitution qui précède le diagnostic des erreurs est souvent faite à partir de données textuelles seulement et que plus d’une correction est parfois envisageable.
L’opposition erreur intralinguale/erreur interlinguale est certes cruciale pour expliquer les erreurs linguistiques, mais James (1998) suggère de considérer
52 Nous parlons ici d’erreur plutôt que d’interférence, puisque l’interférence résulte en une erreur
et que ce dernier terme constitue la pierre angulaire de notre travail. Par contre, il aurait été possible d’utiliser le terme interférence comme synonyme d’erreur dans ce contexte, puisque
INTERFÉRENCE, par métonymie, peut dénoter soit le phénomène linguistique ou le résultat de ce
aussi deux autres classes d’erreurs : celles relatives à une stratégie communicative et les erreurs induites.
Les erreurs relatives à une stratégie communicative découlent de l’idée que si un item de la langue n’est pas disponible, on peut toujours s’en sortir en en utilisant un autre, ce qui résulte souvent en une approximation. James donne en exemples l’utilisation d’un quasi‐synonyme, d’un hyperonyme ou d’un antonyme53, l’invention d’un mot ou l’emprunt direct à une autre langue ainsi que la traduction littérale. Il mentionne aussi le recours aux stratégies analytiques de paraphrase et de périphrase pour pallier, notamment, un manque d’accès au vocabulaire.
Pointer le recours à une stratégie communicative pour expliquer certaines erreurs nous semble extrêmement intéressant et permet d’établir une distinction avec certaines erreurs interlinguales. Par exemple, une même erreur pourrait être expliquée par une confusion entre un item de la L1 et un item de la L2 sur la base d’une parenté formelle (erreur interlinguale) ou par une simple traduction littérale (stratégie communicative). James donne l’exemple de *My watch doesn’t walk well., où walk peut avoir été choisi soit sur la base d’une parenté
formelle avec work (prononcé à la British) au niveau phonologique, soit parce
que le scripteur francophone qui a produit cet énoncé a simplement traduit le verbe MARCHER (au sens de ‘fonctionner’) de sa langue maternelle parce qu’il
ignorait le terme de la L2 correspondant à ce sens; selon ce deuxième scénario d’explication, aucune confusion interlinguale n’est en jeu. Il se peut aussi que ces deux sources aient agi en synergie et se soient en quelque sorte validées l’une l’autre. Bien entendu, il sera difficile d’établir avec assurance qu’une stratégie communicative est à la source d’une erreur sans parler directement à la personne l’ayant commise.
Les erreurs induites mentionnées par James ont quant à elle pour origine une source extérieure. Il pourrait par exemple s’agir d’une explication imprécise de l’enseignant qui expliquerait le sens d’un mot en en donnant un quasi‐synonyme,
ce qui pourrait conduire l’apprenant à penser que les deux termes présentent un fonctionnement identique et véhiculent exactement le même sens54. Les usages linguistiques dans l’environnement d’un locuteur peuvent aussi être à l’origine d’erreurs; par exemple, si le terme AVION est systématiquement utilisé au féminin
dans l’entourage linguistique d’un locuteur, il y a fort à parier que celui‐ci commettra aussi l’erreur. De la même façon, un enseignant de L2 n’ayant pas lui‐ même cette langue pour langue maternelle pourrait conduire ses élèves à produire une langue déviante d’un point de vue phonologique, puisque ces derniers risquent de « copier » son accent.
Au‐delà de ces grandes « familles » d’erreurs, plusieurs auteurs se sont intéressés à déterminer plus précisément des sources possibles d’erreurs. Nous présenterons ici celles qui nous semblent les plus pertinentes en ce qui a trait à l’erreur lexicale. Astolfi (1997) établit une typologie des erreurs en fonction de leur source; des huit catégories proposées, cinq nous semblent s’appliquer à l’erreur lexicale en production : 1. erreurs témoignant des conceptions alternatives des élèves : celles qui découlent de mauvaises connaissances déclaratives à propos d’UL particulières. Ces conceptions alternatives peuvent elles‐mêmes découler d’autres sources, par exemple de l’analogie.
2. erreurs dues à une surcharge cognitive, qui seraient en d’autres