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PREMIERE PARTIE : LE ROMAN DE FORMATION DANS LA LITTERATURE

2. LES CARACTERISTIQUES DU ROMAN DE FORMATION : DE CHATEAUBRIAND A FLAUBERT

2.2. Un siècle de remise en question

2.2.2. Le roman comme tableau de mœurs

De toutes les définitions que nous avons données du roman, il ressort que l’art romanesque cerne deux instances principales que sont l’homme et la société. L’homme, en tant qu’instance ou sujet (roman du moi ou de divertissement) et l’homme dans son rapport à l’autre et aux choses (roman social ou roman fresque). La matière principale du roman se trouve donc dans la problématique existentielle de l’homme, notamment dans ses rapports dialectiques avec la création et le créateur. Envisager le roman comme tableau de mœurs, c’est justement y déceler le drame humain tel qu’il se joue au quotidien, soit dans la solitude, soit collectivement ; en un espace unique, ou en plusieurs espaces à la fois ; autour d’une préoccupation précise ou de la somme des questions qui rythment la marche de l’humanité ; dans la félicité, le bonheur ou dans la misère la plus absolue, mêlée de douloureuses tristesses. Bref, il s’agit de promener « son miroir au bord du chemin » pour réfléchir dans le prisme de l’esthétique littéraire, le drame de la condition humaine. Voici comment Patrick Berthier et Michel Jarrety exposent cet univers des mœurs dans le roman :

Des vieillards bougons ou suaves, des amants éconduits ou triomphants, des assassins coupables ou innocents, des héros enthousiastes ou fatigués, des histoires véridiques ou invraisemblables, des phrases longues comme des fleuves ou vives comme des cascades, des personnages en quête d’auteurs, des écrivains à la recherche de leur personne ou du temps

perdu, des modèles de vertu et des abîmes de vice autant de figures, de visages, de caractères, de formes qui attirent l’œil, séduisent l’ouïe, enchantent l’âme, marquent le corps, emportent le lecteur, le spectateur, l’auditeur141

Le roman transpose en effet la vie des acteurs de la société dans l’univers conventionnel du livre. L’homme qui est la charpente de cette construction est visité dans son intériorité faite de doute et d’espoir, de certitude et d’incertitude, de foi et d’impiété; bref, de tout le drame existentiel dont il est le siège au quotidien. La conquête de l’être aimé (Julien- Mathilde de la Mole) ; une séparation tragique (René-Amélie ; Julie-Saint-Preux ou Paul et Virginie) ; la proie d’un doute existentiel (Octave, Deslauriers), sont autant de sujets, et d’autres encore, qui minent l’homme et que le romancier se charge d’extérioriser dans son œuvre. Heureusement que, comme nous le dit Alain Montandon, « l’œuvre d’art est un réel nié, un réel transfiguré »142. Les mœurs se ressentent de la vie de tous les jours, des activités

dans lesquelles sont engagés héros et autres protagonistes du livre. Le personnage romanesque est appelé à parcourir le processus de socialisation tel qu’il s’impose à l’individu. Lucien arrête ses études en classe de troisième, Julien Sorel est battu par son père et ses frères, Frédéric Moreau et Deslauriers tissent une amitié d’enfance qui dure toute une vie ; tous ces héros auxquels on associe René et Octave sont orphelins ou le deviennent. Ils ont des relations de divers ordres : avec les personnes de leur environnement, des maîtres ou initiateurs, des tuteurs ou employeurs, des parents et amis de circonstance ; ils connaissent la joie et la souffrance dans le domaine de la vie sentimentale, dans le cadre de la réalisation ou non d’un projet de vie. En somme, le roman tente de reconstituer la société dans le prisme microcosmique de la fiction littéraire. Le cours inexorable d’une histoire qui voit défiler régimes et hommes politiques – à l’instar d’un XIXe siècle français qui connaît à lui seul,

toutes les natures de régimes que la France ait jamais connus, ambitions et ruines, attentes et déceptions, apparaît dans le roman comme une réalité aux lois implacables. Les villes, généralement opposées aux campagnes, sont l’expression de cet antagonisme féroce entre protagonistes qui exacerbe les passions, tout en reflétant le point focal des activités d’une époque donnée. En cela, Paris, ville de toutes les ambitions et des curiosités les plus démentielles, devient au XIXe siècle l’espace où s’expriment le mieux les mœurs

141 Patrick Berthier et Michel Jarrety, Histoire de la France littéraire, Tome 3, Paris, PUF, 2006, « Préface ». 142 Alain Montandon, « le roman romantique de la formation de l’artiste », Revue de la Société des Etudes

convergentes d’une aspiration au bonheur. Jeanine Guichardet nous donne un témoignage à propos de la poétique balzacienne :

Paris-personnage capable d’enfanter le romancier lui-même qui, à son tour, tel Dieu le père, tire le limon parisien bien des créatures de La Comédie Humaine. Plus encore : parmi les immenses pouvoirs qui lui sont conférés, peut-être Paris a-t-il celui de créer le lecteur privilégié de Balzac,143

Les luttes sociales, la vie de couple, le triomphe de l’or, le culte de la malhonnêteté, les belles amours, mais aussi celles déçues, l’espoir de réalisation d’un destin glorieux, l’expression d’instinct de survie opposée à l’ostentation de quelque riche aristocrate ou bourgeois ; tout s’apparente à cette curée qui aiguise toutes formes d’appétits. Dans le projet de La Comédie Humaine, Balzac tente de reconstituer, comme nous l’avons montré, ce tableau-fresque de la condition humaine. Zola, dresse un pendant avec Le Cycle des Rougon- Marquard. On assiste dans ces deux projets comme dans la quasi-totalité des œuvres de cette époque, à l’enchevêtrement de relations et d’intérêts croisés où fourmillent les termes de l’amour, de l’argent, du mal, du bien, de la ville, de la campagne, de la nature, du bonheur, de la mort, de la morale, et bien plus encore. On peut le dire avec force détails, le XIXe siècle a été et reste le siècle qui donne au roman d’être le lieu d’exposition de toutes les mœurs de la société.

143 Jeanine Guichardet, « Balzac-Mosaïque », in Cahiers Romantiques, n° 12, Clermont-Ferrand, Presses

DEUXIEME PARTIE : HEROS DE