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PREMIERE PARTIE : LE ROMAN DE FORMATION DANS LA LITTERATURE

1. LES ORIGINES DU ROMAN DE FORMATION

1.3. Les sources européennes du roman de formation

1.3.1. L’Allemagne et le Bildungsroman de Goethe L’histoire littéraire allemande ne fait pas une grande place au développement du genre

1.3.1.2. Le roman d’apprentissage

On appelle « roman d’apprentissage », une œuvre fictive dont le héros est au début du livre, jeune et sans expérience. Au cours du roman, il est confronté à différentes situations qui vont le faire « grandir » et lui permettre d’acquérir maturité et personnalité. Le héros évolue socialement, moralement et intellectuellement, ainsi que dans sa vie affective. A la fin du roman, il a acquis toutes sortes de connaissances qui font de lui un personnage averti et aguerri. Ce parcours peut être assimilé à une aventure quelconque au départ, pour revêtir à la fin, un niveau où le héros a atteint la connaissance supérieure ; grâce à ses connaissances et avec l’appui de bons conseillers. Le roman d’apprentissage se laisse également lire comme une œuvre qui met en scène les apprentissages d’un héros dans le monde. A travers épreuves, au milieu des vicissitudes, le héros fait l’expérience de soi, de ses désirs, de ses limites. Souvent, l’apprentissage s’organise en fonction d’une quête, en vue d’un objet plus ou moins idéal. Dans la littérature française, l’ancêtre du roman d’apprentissage est Le Conte du

Graal, roman inachevé de Chrétien de Troyes, qui suit le jeune Perceval à travers son

apprentissage chevaleresque, courtois et spirituel. Ce conte met en situation un personnage qui, au début est ignorant de tout. Il vit comme un « sauvageon » entre une mère étouffante et une nature déserte : « la Gaste forêt », il ne connaît même pas son nom, mais quelques deux cents pages plus loin, nous retrouvons un Perceval preux chevalier qui défend les opprimés, adulé par le roi Arthur et déterminé à partir plus loin à la conquête du Graal. Il y a là, une intention délibérée de la part de l’auteur de privilégier le parcours initiatique de son héros. Au XVIe siècle, le Gargantua de Rabelais a été également classé au rang de roman

d’apprentissage, dans la mesure où le géant, instruit par de mauvais et de bons maîtres, fait l’expérience du monde et parvient à une forme de sagesse humaniste. Au siècle suivant, le roman de Fénelon, Les Aventures de Télémaque, sert aussi bien à la formation de son héros, Télémaque, qu’à l’instruction de son destinataire, le jeune dauphin. Le roman d’apprentissage prend ici la forme du roman didactique.

Cependant, c’est à partir du XVIIIe siècle que se développe vraiment le roman

d’apprentissage. L’Histoire de Gil Blas de Santillane de Lesage s’inscrit dans cette catégorie. Par ailleurs, Les Egarements du cœur et de l’esprit de Crédillon fils, et plus encore le dialogue romanesque qu’est La Philosophie dans le boudoir de Sade, initient leurs héros aux savoirs et aux plaisirs du libertinage. Au milieu de cette production prodigieuse, se situe Candide,

Voltaire (1759). C’est l’histoire d’un jeune héros naïf et intègre qui fait son éducation sentimentale et mondaine au moyen de diverses épreuves et rencontres. A la fin de l’histoire, le jeune homme, guéri de sa candeur et de son optimisme s’est forgé une personnalité et une philosophie.89Au XIXe siècle, le roman d’apprentissage fleurit – sous de nombreuses formes –

avec notamment L’Education sentimentale (Faubert, 1867), ainsi qu’avec Huysmans dans A

rebours (1884) ou Octave Mirbeau dans Le Jardin des supplices (1899) où l’éducation est

certes plus décadente. Bien souvent, l’apprentissage consiste dans l’ascension sociale d’un jeune homme, à l’instar d’Eugène Rastignac dans Le Père Goriot (Balzac ,1834), Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir, ou Georges Duroy avec Bel-Ami de Maupassant. Dans le roman de Balzac, Eugène Rastignac, le héros, doit être initié à la vie, il doit passer à l’âge adulte et prendre ses responsabilités. C’est au départ un jeune homme naïf qui arrive de sa campagne et débarque à Paris, il va devoir apprendre à vivre dans cette société. Rastignac se retrouve vite à la croisée des chemins entre le vice et la vertu, il ne choisira qu’au terme d’un expérience dont les étapes sont : une visite à Madame de Restaud qui l’initie aux secrets de l’adultère ; une conversation entre Madame Beauséant et Madame de Langeais qui lui fait découvrir la fausse amitié ; une seconde visite à Madame de Beauséant qui lui révèle l’orgueil aristocratique ; une expérience dans une maison de jeu qui lui montre la misère élégante ; l’arrestation de Vautrin, la grandeur et les dangers de la révolte dont se saisit Madame de Beauséant pour faire deux discours qui finissent par enlever toute forme de « pureté à l’âme » de Rastignac. Ce que vit Eugène, c’est le passage douloureux de l’enfance à l’âge adulte. Ce passage ne va pas sans perte d’illusions, ce qui est d’autant plus difficile que la société propose une morale différente de celle de la famille. Il est naturel qu’Eugène ne se connaisse qu’une fois Goriot mort et enterré. La mort d’un père (ou de quelqu’un que nous avons chargé de jouer ce rôle), nous coupe de nos racines et, en nous faisant adulte, nous investit d’une responsabilité, nous oblige à lui succéder.

89 Voici comment Christiane Lauvergnat-Gagnière résume cette histoire « chassé du château de Thunder-Ten-

Tronk, en Wesphalie , pour avoir séduit Cunégonde, la fille du baron, le jeune Candide, formé à l’Optimisme par son maître le philosophe Pangloss, va être jeté dans le théâtre du monde. Au hasard de ses voyages, il est acteur de la guerre, spectateur du tremblement de terre de Lisbonne, soumis à la torture, confronté aux utopies américaines (l’Eldorado), à la vie dissolue et Paris, à l’ennui des Grands de Venise. Au terme de cet itinéraire, il se retire près de Constantinople en compagnie de Pangloss, son ancien maître, de Cunégonde, très enlaidie, et d’autres compagnons de rencontre comme Martin, frère de Giroflée, Paquette, la vieille. Dans cette communauté laborieuse, loin de l’agitation métaphysique, chacun se consacre à « cultiver [son] jardin », Christiane Lauvergnat-Gagnière, et al., op. cit., p. 174.