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Tout comme le poète qui s’est longtemps réclamé une auréole mystique, le héros de jeunesse bénéficie d’une destinée singulière, sans commune mesure avec les autres personnages de l’œuvre. Il est lui aussi un élu, et comme tel, son existence emprunte un itinéraire particulier. René et Octave s’affranchissent des dogmes de concession en amour et préfèrent se mutiler, et même se mutiner, chacun dans sa réclusion : le premier dans de sombres et vaines lamentations qui le poussent à un ostracisme par rapport à la vie. Et le second voue d’abord un culte exacerbé à l’amour, pour ensuite refuser de rien faire à cause de la déception qui a résulté de ce culte. Leur vie durant, les héros vont errer à la recherche d’un équilibre moral et psychologique. Ce destin n’est pas très loin de celui de Frédéric Moreau, dont l’amour pour madame Arnoux transcende le simple jeu de la passion pour se muer en une espèce d’affectation spirituelle pour cette muse qui le hante et le dénature en déteignant négativement sur sa vie entière. Frédéric, intelligent et même courageux à l’occasion, investit toute son âme dans ce chaste amour qui lui glisse entre les mains comme une épreuve sisyphienne et qui lui plante la semence de l’échec né du manque d’ambition pour une vie : la sienne. Les héros se suivent et se ressemblent ; et donnent à voir en l’amour, le moyen par lequel ils chutent ou ne peuvent franchir l’obstacle de l’excellence. Lucien est d’abord visité par des aspects de ce prodigieux destin ; lui qui, vivant dans son Houmeau habituel, n’avait jamais songé qu’un jour, son destin pût rencontrer celui, majestueux, de la femme la plus prestigieuse d’Angoulême. Cependant, cette fortune de départ cède le pas à l’échec, une fois à Paris.

Mais au milieu d’eux, Julien Sorel ne connaît pas l’échec sentimental et sa vie est plus riche en actions d’éclat. En effet, il est celui qui arrive à s’intégrer dans tous les milieux : en tant que militaire (à Verrières) ; au séminaire où il assimile facilement et se distingue de ses coreligionnaires (à Besançon) ; de même que dans l’univers aristocratique du Marquis de la Mole (à Paris). Julien réussit cette fulgurante percée de toutes les sociétés qu’il affronte certes ; cependant, cette même destinée singulière interrompt le cours de sa prodigieuse aventure qui se transforme alors en cauchemar. Le héros de jeunesse donne ainsi à voir la plupart du temps un destin abrégé, fait de souffrances atroces et dont le cours s’éloigne des destinées habituelles. Nul n’est épargné là-dessus : David et Deslauriers, deux individus ayant en commun le génie et la fougue dans l’action, sont sclérosés, flétris par les expériences

douloureuses qu’ils affrontent et ne peuvent aller loin dans l’aventure professionnelle. Ce cheminement prodigieux préfigure le cours et le dénouement de leur destin dans le processus d’apprentissage.

1.3.4.4.

- Un besoin irrépressible de découverte

Le héros du roman de formation, qui est l’émanation d’une société provinciale en règle générale, affronte un monde dont il n’a pas connaissance. C’est un monde de ses rêves, des idées folles d’enfance et d’adolescence qu’il s’est construites au fil des années et des histoires lues ou qu’on lui a racontées. Dès lors qu’il est en âge d’aller à l’assaut de ce monde, le besoin – longtemps comprimé se fait pressant chez lui de découvrir ce monde ; mais également, cette découverte chez le héros est d’ordre scientifique et se pose en termes de satisfaction des attentes de connaissance, de culture et de savoirs. Ces questions lancinantes se posent chez lui, comme une urgence, une nécessité de compensation pour aller à l’assaut du monde nouveau symbolisé par le Paris des normes, de toutes les normes. Comme pour toute grande activité d’initiation, il existe des rituels de départ qu’il ne faut surtout pas manquer ; ce sont eux qui préparent en affinant, les dispositions du néophyte à la quête. Verrières et Angoulême dessillent Julien et Lucien et leur accordent comme une onction, une forme de purification, pour la suite de leur parcours initiatique. Annonçant à Julien la nouvelle de leur départ à Paris, Naïs ajoute ce commentaire :

On ne se trouve à l’aise qu’avec ses pairs, partout ailleurs on souffre. D’ailleurs Paris, capitale du monde intellectuel, est le théâtre de vos succès ! franchissez promptement l’espace qui vous en sépare ! Ne laissez pas vos idées se rancir en province, communiquer promptement avec les grands hommes qui représenteront le XIXe siècle. Rapprochez-vous de la cour et du pouvoir.

Ni les distinctions ni les dignités ne viennent trouver le talent qui s’étiole dans une petite ville.141

Cette exhortation de la marraine à son filleul, qui souligne l’intérêt absolu de Paris dans l’éclosion de toute personnalité, suscite chez le héros un double sentiment de curiosité, donc d’attrait, et de possibilité de réalisation de soi. Paris est donc le lieu de la quête, c’est l’espace de la découverte des autres et de soi-même. Mais aussi, celui de la culture et de la

connaissance vraie, opératoire, qui assure reconnaissance et prestige. C’est la raison pour laquelle tous finissent par y converger pour étancher la soif de connaissance, d’une part, et le souci de se réaliser d’autre part.

1.4. L’influence du sentiment amoureux dans