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1.2.2.3 Les initiateurs

1.3. Les héros du roman de formation

1.3.1. Nécessité d’une ascension sociale

1.3.1.1.

Une origine sociale chargée

La toile de fond socio-historique de notre corpus se ressent fortement de cette séquence saisissante que Musset expose au début de son œuvre :

Pendant les guerres de l’Empire, tandis que les maris et les frères étaient en Allemagne, les mères inquiètes avaient mis au monde une génération ardente, pâle, nerveuse. Conçus entre deux batailles, élevées dans les collèges aux roulements des tambours, des milliers d’enfants se regardaient entre eux d’un œil sombre, en essayant leurs muscles chétifs. De temps en temps, leurs pères ensanglantés apparaissaient, les soulevaient sur leurs poitrines chamarrées d’or, puis les déposaient à terre et remontaient à cheval.85

Le contexte de naissance et d’évolution de ces générations est tout simplement une tragédie avec l’absence du père, la solitude de la mère et des enfants dont le drame, plus complexe, est doublé de leur maintien dans les internats. Cette existence qui n’a d’autre conséquence que de les rendre tous « ardents, pâles et nerveux », donne à cette génération une origine déjà chargée. C’est justement cette origine que le romancier exploite dans son œuvre pour donner à son héros d’apprentissage les armes de la conquête d’une société dans laquelle il se lance avec de gros handicaps de départ. C’est une quête de soi, une aventure dans le monde, un cycle d’apprentissage au long cours qui s’impose à lui par rapport à une situation de manque, à une carence, une insuffisance à combler. Ces enfants du siècle, jetés dans la gueule de cette société, sont l’émanation de toutes les couches les plus basses que sont : le monde paysan, le secteur ouvrier et des secteurs informels. Tout bien pesé, le roman de formation met en scène un personnage d’une origine sociale complexe, de naissance quelquefois obscure et/ou d’enfance pénible qui doit affronter la vie. Charles Deslauriers dans

L’Education sentimentale est un cas typique de cette enfance douloureuse :

Le père de Charles Deslauriers, ancien capitaine de ligne, démissionnaire en 1818, était venu se marier à Nogent, et, avec l’argent de la dot, avait acheté une charge d’huissier, suffisant à peine pour le faire vivre. Aigri par de longues injustices, souffrant de ses vieilles blessures, et toujours regrettant l’Empereur, il dégorgeait sur son entourage les colères qui l’étouffaient. Peu

d’enfants furent plus battus que son fils. Le gamin ne cédait pas, malgré les coups. Sa mère, quand elle tâchait de s’interposer, était rudoyée comme lui. Enfin le capitaine le plaça dans son étude, et tout le long du jour, il le tenait courbé sur son pupitre à copier des actes, ce qui rendit l’épaule droite visiblement plus forte que l’autre86.

Dans d’autres cas, comme celui de Lucien Chardon, c’est une autre forme de misère qui caractérise l’enfance. Premier fils d’une famille dont le père fut apothicaire, il doit survivre avec sa sœur et leur mère dans des conditions d’existence pénibles. Cette pauvre dame (madame Chardon) se ruine pratiquement (moralement et physiquement), s’échine au quotidien pour pouvoir élever ses enfants. Cette persécution morale ne suffit pas pour interpeller Lucien, qui, habitué à une certaine forme de paresse, ou ne sachant quoi faire, se trouve être la véritable charge et donc le problème essentiel de cette famille aux ressources inexistantes. Sa dévotion pour la poésie rejoint l’amour de Julien Sorel pour les livres et son horreur pour les travaux physiques dans lesquels sont engagés son père et ses frères. Ces deux personnes croient pouvoir réussir en dehors des activités et de l’univers parentaux. Leurs rêves ont toujours été de pouvoir bénéficier d’une circonstance qui crée les conditions de leur ascension sociale, qui commence par l’abandon du cocon familial. Ainsi donc, pour tous les héros du corpus, l’origine sociale constituant un handicap, représentant un référent humiliant qui condamne à végéter dans une existence obscure, sans éclat, marquée par l’anonymat il s’impose l’impérieuse nécessité de la surmonter. Ce passé obscur, ce présent incertain et cet avenir de tous les espoirs représentent pour ces jeunes héros, les contextes moral et physique de leur réalisation :

Trois éléments partageaient donc la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles de l’absolutisme ; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir ; et entre ces deux mondes… quelque chose de semblable à l’Océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique87

Le narrateur donne une dimension allégorique à ce parcours ou quête de la jeune génération, qui est à la fois moral et physique. C’est l’émanation profonde d’une aspiration au changement, à la réalisation fondée sur les « ruines » et « les fossiles de l’absolutisme », et

86 Gustave Flaubert, op. cit., p. 59. 87 Alfred de Musset, op. cit., p.31.

donc résolument tournée vers la liberté et la république. C’est au prix de cette traversée en tous points assimilable aux efforts nécessaires pour traverser « l’océan » que se dessinent les traits de cette délivrance. Autrement dit, le rêve au bonheur, la quête de bien-être des générations présentes sont largement subordonnés à un engagement fait d’efforts, de persévérance et d’espoir. Cette réalité conjoncturelle fait du héros un être d’ambition.

1.3.1.2. - L’ambition : être, devenir adulte et réussir