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Peter Rogowsky, chef adjoint du département Biologie et amélioration des plantes (BAP) de l’Institut national de recherche agricole

Tous les sondages montrent que la grande majorité des Français sont opposés aux OGM, dénotant de grandes inquiétudes. Il en est de même en Allemagne. La culture et la commercialisation de produits bio se développent en France, en Allemagne, ailleurs en Europe... Par exemple, le Centre de l’INRA de Pech Rouge à Gruissan a cultivé des plants de vigne génétiquement modifiés via des croisements classiques selon un lent processus ayant permis de développer des résistances naturelles au mildiou. Ce matériel est prêt depuis plusieurs années et pourraient être développé par des techniques plus rapides, personne n’ose les autoriser. Ces vignes pourraient être cultivées sans le moindre apport de sulfate de cuivre, que le bio autorise. Or cette substance est néfaste, notamment pour les microorganismes des sols.

Nous devons avoir ces discussions.

Monsieur Rogowsky, vous êtes docteur en biologie et génétique de l’université de Regensburg en Allemagne. Vous êtes maintenant chercheur à l’INRA.

Premier institut de recherche agronomique en Europe, deuxième en sciences agricoles dans le monde, l'INRA mène des recherches au service d'enjeux de société majeurs : [nourrir la France et la planète, assurer une alimentation saine et durable, anticiper et lutter contre le changement climatique, innover en sélection végétale et animale, réduire la dépendance aux pesticides et aux engrais, conserver la biodiversité génétique…]

Vous êtes le coordonnateur du projet GENIUS (2012-2019) : « Ingénierie cellulaire : amélioration et innovation technologique pour les plantes d’une agriculture durable ».

Vous nous parlerez aujourd’hui de la recherche en biotechnologies et de la mobilisation du levier génétique en agriculture. En quoi l’apparition des nouvelles techniques de modification du génome des plantes (new breeding techniques – NBTs) renouvelle le sujet ?

M. Peter Rogowsky, chef adjoint du département Biologie et

- assurer une veille scientifique, avec notamment l’arrivée de la modification de l’épigénome plutôt que du génome.

Si je partage l’enthousiasme des chercheurs pour ces nouvelles technologies, et notamment CRISPR-Cas9, je suis plus réticent quant à la surenchère médiatique sur leurs applications en agriculture. CRISPR-Cas9 ne constituera pas une solution miraculeuse pour tout, et encore moins la seule solution pour les défis de l’agriculture. Il sera important d’intégrer l’apport de la technologie dans des systèmes de culture globaux.

Deux limitations sont actuellement identifiées : les connaissances sur les gènes et la manière de les éditer ainsi que la capacité de mettre en place l’ingénierie cellulaire, soit faire agir les nucléases dans l’espèce et la variété qui intéressent.

Cette technologie représente trois atouts majeurs. CRISPR-Cas9 donne une précision accrue dans la modification de l’ADN, comparé à la mutagénèse chimique ou à la transgénèse classique. Il induit une diminution du nombre de générations en sélection. En outre, un élargissement réfléchi de la base génétique est possible par la modification du gène existant pour créer des allènes qui n’existaient pas dans la variabilité naturelle de l’espace.

Pour illustrer ce qu’on peut faire avec ces technologies, GENIUS travaille sur plusieurs projets (modification de l’amidon de la pomme de terre, modifications de l’architecture de la racine du riz, résistances de la tomate, etc.).

Ces exemples illustrent que la technologie de modification du génome n’est pas limitée à une application particulière ou à des composantes du rendement. Elle peut être appliquée pour diminuer les intrants, pour diminuer l’utilisation des pesticides, augmentation la qualité nutritionnelle, etc. On peut également imaginer des applications en agro-écologie, comme sur des traits telle que l’aptitude à l’association entre plantes et micro-organismes.

S’agissant du contexte légal, l’INRA attend les décisions des autorités européennes et françaises, et se soumettra à ces décisions. Concernant le contexte éthique, l’INRA a mandaté le Comité éthique pour se pencher sur ces questions.

Il est important, pour une discussion sereine, d’éviter les amalgames. Très souvent, ces nouvelles technologies sont présentées de la même manière que la monoculture. Or, elles peuvent être appliquées à d’autres types de cultures. Elles sont également associées à l’agriculture intensive, mais des applications sont envisagées en agriculture biologique. Elles sont également souvent assimilées aux multinationales alors que de nombreuses start-up leaders du monde des végétaux existent dans le domaine.

La modification ciblée du génome constitue un formidable outil de recherche.

M. Jean-Yves Le Déaut. Madame Brosset, vous êtes professeure en droit public à l’université Aix-Marseille. Vous avez obtenu votre doctorat en droit public sur « Biotechnologie et droit communautaire : le génie génétique ». Vous faites partie du comité économique, éthique et social (CEES) du Haut Conseil des biotechnologies (HCB).

En tant que spécialiste en droit européen et protection, de la santé et du droit de l’environnement, vous nous parlerez aujourd’hui des nouvelles techniques de modification du génome des plantes (new breeding techniques – NBTs) au regard du droit de l’Union européenne. Ces nouvelles techniques sont-elles considérées comme des OGM ?

Mme Estelle Brosset, professeure en droit public à l’université Aix-Marseille. Je résumerai les principaux éléments d’un travail juridique mené à l’université et dans le cadre du HCB, dont les principaux résultats sont publiés.

Ce travail juridique en est à ses prémisses. Il a largement bénéficié d’échanges avec d’autres personnalités qualifiées au sein du HCB au démarrage.

L’une des questions centrales sur le plan politique et juridique est : les NBT produisent-elles des OGM au sens de la directive 2001/18 ? La question est d’un intérêt majeur puisqu’en fonction de la réponse des plans produits via ces NBT seront ou non soumises aux obligations de la directive, ce qui est déterminant pour les professionnel intéressés par de telles techniques, pour les consommateurs et plus largement pour le grand public. Ma réponse sera articulée en deux points.

(I) Tout d’abord, il s’agit d’identifier et d’interpréter in abstracto, de manière littérale, les éléments de la définition prévue par la directive 2001/18.

Cette dernière énonce, dans son article 2.2, qu’un OGM est « un organisme, à l’exception des êtres humaines, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication ou par recombinaison naturelle ». Un OGM est ainsi défini sur la base du procédé de modification employé, « non naturel ». Dans les annexes, il est prévu que la modification génétique doit intervenir, entre autres, du fait de l’utilisation de techniques énumérées à l’annexe 1A. A contrario, on ne peut parler de modification génétique en cas d’utilisation de certaines énumérées exhaustivement à l’annexe 1B.

Prenant chaque élément de cette définition plutôt précise, mais adoptée avant l’apparition de NBT, l’analyse a consisté à envisager, aucune jurisprudence n’étant disponible, les interprétations possibles en droit. Or, mon constat est celui de possibilités d’interprétation sur chacun des éléments de la définition, possiblement hétérogènes et donc, insusceptibles de déboucher sur une réponse univoque, soit sur un constat de qualification des NBT comme OGM ou non.

Par exemple, le matériel génétique de l’organisme doit avoir été modifié d’une manière « qui ne s’effectue pas naturellement ». Ce critère est néanmoins susceptible d’être apprécié de manière différente au plan de son libellé.

L’interprétation la plus élémentaire, absolue, s’attache à la manière dont en soi un organisme a été modifié, laquelle déclenche la qualification d’OGM. Dès lors, la modification du génome crée un OGM. Une autre interprétation plus relative pourrait être retenue, selon laquelle l’OGM est un organisme dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui n’aurait pas pu s’effectuer naturellement. Ici, la modification est envisagée par comparaison. Dès lors qu’elle aurait pu en principe se réaliser naturellement, la qualification d’OGM ne devrait pas s’appliquer.

Les interprétations peuvent également varier en fonction des autres éléments de la définition, notamment les fameuses listes de techniques incluses ou exemptées. Par exemple, l’annexe 1B considère les organismes obtenus par mutagénèse, sans plus de précisions, sont exclus du champ d’application de la directive. Eu égard à l’absence de précision concernant le type de mutagenèse visé, il est possible de considérer que la mutagénèse ici couvre tous les types de mutagenèse, comme ciblée ou dirigée. Il est au contraire possible de considérer, conformément au principe d’interprétation stricte des exceptions et en considérant la directive, que seules les mutagenèses conventionnelles, dont la sécurité est depuis longtemps avérée, sont exclus.

Des raisonnements similaires peuvent être conduits sur tous les éléments de la définition.

Eu égard à cette situation d’ensemble, assez ordinaire en droit, je conclus que plusieurs interprétation sont possibles, ce qui implique en pratique la nécessité pour l’interprète de choisir.

(II) C’est la raison pour laquelle, parce que l’interprétation est tout autant un acte de volonté que de connaissance, il est important d’identifier le(s) responsable(s) de cette interprétation et les principes d’interprétation qui sont les siens. La Commission a annoncé la publication d’une communication interprétative depuis 2007, laquelle ne devra pas créer d’obligations nouvelles par rapport à la directive et ne liera donc ni les États ni les personnes physiques ou morales. En cas contraire, elle pourrait être annulée par la Cour de Justice européenne (CJE).

S’agissant de la directive, la Cour de Justice est en charge, en dernier ressort, d’interpréter le droit de l’Union. Certes, elle doit être saisie. Néanmoins, le Conseil d’État français vient de poser des questions préjudicielles à la CJE, qui est officiellement saisie de cette question. Une fois saisie, la Cour procèdera à l’examen du droit de l’Union, à son interprétation, à l’appréciation de sa viabilité mais elle n’en tirera aucune conséquence pour le droit national et la procédure en cours. Il appartient à la juridiction de renvoi de le faire.

Les principes qui guident l’interprétation de la Cour sont les suivants.

Premièrement, l’interprétation autonome du droit de l’Union. La Cour exclut un renvoi aux droits nationaux du fait des exigences d’une application autonome. Elle se réserve le droit à une autarcie interprétative. Deuxièmement, pour faire advenir cette interprétation autonome, la Cour s’arrime régulièrement aux arguments de la science, ceux qui sont rapportés par l’ensemble des intervenants et la juridiction de renvoi dans le cadre des affaires. Troisièmement, la Cour, en plus de l’interprétation littérale, recourt régulièrement à une interprétation théologique, quant au but du texte. Ce dernier est le principe de précaution à propos duquel la jurisprudence est déjà très dense. La Cour définit ainsi le principe de précaution :

« Les institutions peuvent prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité ou la gravité des risques soient pleinement démontrées », tout en soulignant que le principe de précaution « ne peut appliquer ces mesures de protection sans évaluation préalable des risques suspectés qui ne doivent pas simplement faire apparaître des risques purement hypothétique mais des risques plausibles ».

Pour conclure, la Cour est l’interprète du dernier ressort du droit existant.

Dans le cas où l’interprétation ne satisferait ni les autorités compétences ni les parties prenantes, une révision du droit existant, qui n’est pas aisée mais possible, peut permettre de surpasser l’interprétation de la Cour.

M. Jean-Yves Le Déaut. Monsieur Devron, vous êtes également membre du CEES du HCB.

L’UFS réunit cent trente entreprises (PME familiales, coopératives, multinationales) actives dans la recherche, la production et la commercialisation de semences pour l'agriculture, les jardins et le paysage.

Vous nous parlerez aujourd’hui de la vision des industriels pour ce domaine d’application des biotechnologies dans l’agriculture.

M. Eric Devron, directeur général de l’Union française des semenciers (UFS). J’interviens au nom de l’UFS, organisation professionnelle représentant l’ensemble des entreprises implantées en France ayant pour activités l’élaboration variétale, la production de semences ainsi que la commercialisation de semences et de plantes.

Deux aspects caractérisent le secteur semencier français. Tout d’abord, sur le plan économique, le secteur est le premier producteur de semences européen et le premier exportateur mondial, soit un chiffre d’affaires de 3,3 milliards d’euros par an, dont 1,45 milliard est exporté. En outre, nous disposons de nombreuses implantations dans les régions et dans les territoires agricoles et agro-climatiques.

Notre secteur est diversifié : 244 entreprises, dont de très nombreuses PME et ETI.

Le secteur représente 10 000 emplois et fait travailler 18°000 agriculteurs multiplicateurs.

Le maintien de la performance et de la diversité du secteur, ouvert et hautement concurrentiel, dépendra des conditions d’accès aux techniques d’amélioration des plantes et aux progrès qu’elles rendent possibles.

Sur le plan de la recherche, et de l’orientation de nos programmes de recherches, nos entreprises prennent en compte les attentes exprimées par les filières de production, très importantes en agriculture, par les politiques publiques et par la société en général. Nous touchons à l’environnement et à des éléments sensibles pour les citoyens : santé, alimentation.

Aussi, le secteur semencier contribue à une agriculture durable et compétitive. Pour répondre à ce double objectif, qui constitue une sorte d’oxymore, les entreprises retiennent comme cadre de référence, plusieurs cadres directeurs nationaux. Le rapport « Agriculture et Innovation 2025 », commandité par le Premier ministre et par le ministère de l’environnement et de l’agriculture en 2015, a fait l’objet d’une publication. Il souligne l’importance de la mobilisation du levier génétique pour faire face aux nombreux enjeux que l’agriculture doit relever.

Le plan d’action « Semences et agriculture durable » vise quant à lui à favoriser l’innovation au service de l’agro-écologie dans le secteur des semences et plantes en orientant la sélection végétale et en préservant les ressources phyto-génétiques.

Enfin, le plan « Écophyto », plus large que notre seul secteur, recommande, dans son Axe 2, d’amplifier les efforts de recherches, le développement et l’innovation pour atteindre les objectifs de réduction de recours aux produits de protection des plantes.

Dans chacun de ces trois programmes, l’amélioration des plantes est identifiée comme un levier fort de progrès. Il est évident que la capacité à le mobiliser dépendra grandement de l’accès laissé aux technologies et à l’innovation, lui-même dépendant du cadre règlementaire qui s’appliquera aux produits issus de cette nouvelle technologie.

À cet égard, il faut souligner que les nouvelles technologies, à la différence de la transgénèse, sont techniquement et économiquement accessibles aux entreprises de petite taille et intéressantes pour les espèces dites « mineures » et à la sélection française si le cadre règlementaire qui leur sera appliqué le permet.

Attachons nous au potentiel de mobilisation du levier génétique à travers l’utilisation des nouvelles techniques d’amélioration des plantes pour répondre aux grands objectifs des plants présentés par les pouvoirs publics d’une part, et à son potentiel de réalisation par les acteurs français du secteur semencier d’autre part. Les deux dépendent grandement du cadre règlementaire de ces technologies.

S’agissant du statut des techniques d’amélioration des plantes concernées, l’UFS ainsi que quatre autres organisations agricoles a proposé au HCB une approche scientifique afin de définir un cadre règlementaire. Nous y suggérons d’évaluer les technologies et les produits qui en sont issus à la lumière de trois critères. L’atteindre d’au moins un critère impliquerait que la technique soit exclue du champ de la directive 2001/18 :

- le produit peut être obtenu par croisements sexués ; - le produit peut être obtenu par mutagénèse ;

- du matériel héréditaire homogène dans la descendance des organismes obtenus n’est pas introduit.

L’intérêt de cette proposition méthodologique tient également au fait qu’elle permettra aux futures évolutions technologiques d’être analysées selon cette grille, donnant une visibilité à tous pour les années à venir : opérateurs et autorités règlementaires.

En conclusion, les nouvelles biotechnologies constituent des outils complémentaires pour le secteur semencier au service d’une agriculture durable et compétitive, adaptée aux enjeux du XXIe siècle. Leur encadrement règlementaire doit faciliter leur utilisation la plus large possible sur la base de critères prévisibles et scientifiquement robustes. Cette innovation de rupture doit rester accessible au plus grand nombre et au service des problématiques les plus diverses.

M. Jean-Yves Le Déaut. Monsieur de Kochko, vous êtes, depuis 1995, un agriculteur biologique dans le sud-ouest de la France. Vous animez le Réseau Semences paysannes (RSP). Vous représentez les Amis de la Terre au HCB, dont vous êtes le vice-président démissionnaire du CEES.

Vous avez participé à la première audition publique de l’OPECST du 7 avril dernier. Vous nous parlerez des défis écologiques liés aux nouvelles biotechnologies en agriculture.

M. Patrick de Kochko, représentant des Amis de la terre. J’étais représentant des Amis de la Terre au HCB dans la première mandature, et représentait le réseau Semences paysannes lors de la seconde mandature. Je remplace aujourd'hui la représentante des Amis de la Terre, en étant toujours membre.

Pour les Amis de la terre, nous pourrions démontrer que les règlementations de ces nouveaux OGM que vous semblez déjà avoir choisi aura des conséquences sociales désastreuses, génèrera encore plus d’inégalités économiques, érodera toujours plus la biodiversité, sans parler des conséquences sanitaires moins prévisibles que celle de la vache folle ou de l’amiante.

Selon l’interview de Jean-Yves Le Déaut dans Informatique agricole, les Amis de la Terre sont des écolos conservateurs, des marchands de peur voire des fadas, selon le rédacteur. Pourtant, voilà dix-huit ans, le président m’avait invité ici-même comme paysan victime des OGM brevetés de Monsanto qui avaient contaminé ma récolte de soja bio, qui avait mis en faillite le transformateur allemand qui avait acheté mon soja et qui avait imposé à la filière bio de coûteuses mesures de protection et de traçabilité jamais compensé.

Aussi, nous avons surtout des questions à vous transmettre.

Édition de gènes, ingénierie ciblée, nouvelles techniques de sélection ADN, ciblage, etc. En dehors de la nouvelle sémantique développée par l’industrie, quelles sont les nouveautés avec ces nouveaux OGM, ces CRISPR-Cas9 dont Monsanto vient de racheter une partie des licences ? Moins de transgénèse, plus de mutagénèse, mais pour nous, toujours des OGM et surtout, toujours plus de brevets sur les vivants. Si vous autorisez la culture de ces plantes sans le cadre minimal, mes problèmes de paysans seront encore plus grands. Mes clients n’en veulent toujours pas et si mes semences paysannes sont contaminées par les plantes brevetées du voisinage, comment le saurais-je ? Comment m’en protéger ? Comment me défendre face au risque de procédure en contrefaçon pratiqué abondamment par les firmes ? Comment enlever les gènes brevetés de mes semences ? Serons-nous condamnés à semer uniquement les semences de l’industrie, ou à disparaître comme le maïs bio a disparu d’Espagne, envahie de maïs OGM ?

Avant de permettre à ces technologies d’intégrer la chaîne alimentaire jusqu’à notre intestin, il faudrait que cet office parlementaire réponse aux questions éthiques et de démocratie alimentaire que se posent les citoyens. Quels progrès le brevet sur le vivant, que vous refusez d’interdire, a-t-il pu apporter aux paysans qui produisent sans polluer ? Plus largement, l’analyse de l’état sanitaire des populations, sujette à l’accélération d’épidémie de l’obésité, de diabète et de cancer, force à s’interroger sur les progrès apportés par les OGM aux citoyens-mangeurs, aux paysans indiens, aux paysans burkinabè ? Il est indéniable que la course au brevet sur le vivant génère de plus en plus de concentration des sociétés transnationales. Quels progrès pour la démocratie apportera le rachat de Monsanto par Bayer et celui de Syngenta par ChemChina ? Comme vous le savez, je siège au HCB depuis sa création. Il ne réunit aujourd'hui plus qu’un club de scientifiques experts en biotechnologies, d’industriels avec lesquels ils travaillent et d’élus souvent mais aux positions pro-biotechnologies bien connues. La composition et le fonctionnement du Comité scientifique du HCB n’a jamais permis l’expression des controverses, et le fonctionnement de son CEES a été modifié pour permettre le retour du lobby pro-OGM démissionnaire, revenu en ordre de marche derrière la société Limagrain, qui cumule plusieurs sièges.

Quelle confiance un citoyen peut-il avoir dans ces petites évaluations entre amis ? Si ces nouveaux OGM échappent à la règlementation, le HCB deviendra certes définitivement inutile, mais casser le thermomètre n’a jamais fait baisser la fièvre.

Vous-même, Monsieur Le Déaut, comment pouvez-vous évaluer les choix scientifiques et technologiques alors que, sur les points fondamentaux de la coexistence et des brevets, vous n’avez pas participé au débat du CEES dont vous faisiez pourtant partie.

Pour les plantes, le brevet sur les gènes est au certificat d’obtention végétale ce que la bombe atomique est à l’opinel. Il est l’outil ultime du totalitarisme technologique auquel les citoyens sont soumis sans le savoir.

Comment se fait-il que 80 % des citoyens ne veulent toujours pas des OGM, ni dans leurs champs ni dans leurs assiettes alors que leurs élus des lois qui les imposeront ? Quelle est cette démocratie dont les élus se moquent des demandes de la société pour ne servir que les intérêts des actionnaires des multinationales ?

Comment se fait-il que la recherche publique concentre l’essentiel de ses ressources vers des biotechnologies en mettant ses moyens au service d’industriels qui captent le bénéfice avec les brevets ? Pourquoi les politiques n’orientent-ils pas au contraire la recherche publique vers une agriculture et une alimentation saine, voulue par les citoyens ? Concernant ce dossier spécifique de nouvelles techniques de manipulation génétique, nos positions sont connues. Elles produisent des OGM qui doivent être évalués et étiquetés comme tel. Ce n’est pas parce que la multinationale française Limagrain en veut, ni parce que Bayer rachète Monsanto, que cadre règlementaire européen et français, déjà minimal doit être assoupli.

Après la contamination de mes champs en 1996, j’ai exploré toutes les voies légales possibles (plainte en 1998, témoignage devant le Sénat, class action aux États-Unis en 1999, etc.). Tout a été classé sans suite. Des essais autour des parcelles de l’agriculteur-promoteur d’OGM, financé par le Conseil régional d’Aquitaine, ont démontré la contamination des semences paysannes. Une plainte en 2007 pour prévenir les risques de contamination à venir puisque le paysan comptait replanter. Le jugement a demandé de placer nos ruches et nos maïs ailleurs. J’ai ensuite participé au Grenelle de l’environnement pour demander une évaluation indépendante et démocratique avec la société civile. J’ai siégé six ans au HCB, dont plus d’un an comme vice-président. Nous attendons désormais la réponse de la Cour de justice de l’Union européenne, saisie par le Conseil d’État à notre initiative sur le dossier des OGM résistants aux herbicides cultivés en cachette en France. Que me reste-t-il pour faire respecter mon droit à produire sans OGM ni brevet ? Que reste-t-il au citoyen pour exercer son droit à choisir une alimentation vivante et non-brevetée ?

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