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La Rochelle : est il possible de résoudre les problèmes de mixité sociale et d’attractivité sans considérer la réalité du

problème d’image et d’identité du quartier ?

Si nous avons mis en évidence certaines contradictions entre enclavement et stigmatisation, les questions de réputation n’étaient pas une surprise pour la collectivité. La ville observe une dynamique résidentielle enrayée dans ce quartier, comme le soulignent le nombre croissant de refus d’attribution de logements sociaux, et une certaine dépréciation de l’immobilier1. Face à ces

constats, l’ambition pour ce territoire serait de rétablir son attractivité, sa mixité et sa cohésion sociale, des notions qui n’ont jamais été complètement problématisées. Le PRU de Villeneuve suit précisément les préconisations nationales de l’ANRU : le schéma consiste globalement à « dédensifier » le cœur du quartier qui concentre les grands ensembles et les populations les moins favorisées, et à requalifier les franges du quartier, en construisant des logements neufs pour des populations plus aisées, dans les secteurs considé- rés les plus attractifs (Epstein, 2013). Le PRU prévoit ainsi la construction de logements dans un parc du quartier, et aux abords des lacs pour proposer des biens avec terrasses et vues sur la nature. À la jonction entre le quartier et le centre- ville, se trouve également le secteur du Parc des Expositions qui pour- rait être transformé en espace urbain mixte comprenant logements, bureaux et quelques commerces.

Les propos recueillis dans l’enquête amènent un autre regard sur la ques- tion de la mixité sociale. Tout d’abord, les habitants du secteur résidentiel ouest, proche du Parc des Expositions, ont déjà le regard tourné vers le centre- ville. Leur récit (Tab. 2) révèle qu’ils fréquentent peu le cœur du quartier de Villeneuve- les- Salines, et ce malgré la vitalité de la vie associative locale ou la proximité des commerces, services et équipements. Alors qu’il existe tout de même une certaine mixité sociale dans ce quartier, au sens statistique et sociodémographique (30 % de la population du quartier qui réside dans des pavillons, et environ 20 % des habitants propriétaires de leur logement), la ren- contre sociale n’opère pas vraiment.

1. En comparaison avec le reste de l’agglomération rochelaise, dont le marché affiche des prix relati- vement élevés

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QUaTRième PaRTie – article intégral 3 Tableau 2 : Frontières symboliques : clivage secteur pavillonnaire /

quartier prioritaire – exemples de verbatims

Thème Sélection de verbatims

des frontières symboliques au sein du quartier : l’exemple du clivage secteur pavillonnaire / Quartier Prioritaire

Je reconnais que des fois je dis quartier Brouages, l’ensemble des maisons là autour, ce n’est pas Villeneuve vraiment. Quand je vois que les gens vont trop tiquer.

Femme 60 ans

Moi je dis plutôt que j’habite vers le Lycée Valin ou le Parc des Expositions. Vous dites ça à un Rochelais… l’image de marque de Villeneuve n’est pas très bonne. Même mon fils qui était au collège, quand il disait qu’il habitait à Villeneuve, il précisait que ça n’était pas dans les immeubles. À part le médecin et la pharmacie, je ne vais pas à Villeneuve, je ne vais pas y faire mes courses. Moi je vais vers Tasdon, c’est des habitudes aussi.

Femme, 63 ans

T’habites où, à Villeneuve ? T’es pas emmerdé ? Non ! Du côté où je suis ça va, du côté des immeubles là- bas faut faire gaffe quand même.

Homme, 64 ans

Le quartier, au sens de l’intervention publique, est défini par les déli- mitations administratives classiques et la zone prioritaire. L’enquête indique que ces délimitations ne correspondent pas au territoire vécu par les habitants. On trouve de nombreuses frontières symboliques, par- fois matérialisées par des repères physiques1, et des expressions d’exclu-

sions mutuelles entre secteurs du quartier, ilots, voir au sein d’un même immeuble (Tab 3). Cette fragmentation sociale s’accompagne aussi d’ex- pressions de sentiments d’injustice (avec la perception d’inégalités de traitement par les pouvoirs publics), un sujet majeur que nous traiterons dans un article à part.

1. Nous insistons sur le fait qu’il n’existe pas de « point noir » au sens sécuritaire du concept, car à mesure que l’on avance vers les espaces désignés par les uns, les autres renvoient à d’autres lieux plus problématiques.

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Tableau 3 : autres frontières symboliques au sein du quartier, zone prioritaire exemples de verbatims

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des frontières symboliques au sein du quartier : l’exemple des clivages entre secteurs et ilots

J’ai une copine qui habite les immeubles en face là juste à côté de l’école Profit, et une autre en face d’Intermarché. Là ça va encore… mais plus loin là- bas, vers le centre, il y a des jeunes qui traînent… enfin ça va c’est pas non plus les banlieues de Marseille, mais bon…

Femme, 62 ans

Les 200 c’est un coin où j’habiterais pas… on a l’impression que tous les cas désespérés ils sont

regroupés ici, je sais pas si c’est fait exprès, alors surtout ici au 45-47, j’y vais jamais en plus parce que je connais personne qui habite là- bas […] On a l’impression que c’est les bâtiments les plus beaux de Villeneuve… [Le bailleur] m’a dit il faut de la mixité sociale, mais ça n’est pas vrai… vous allez pas mettre le bon petit fonctionnaire là- bas… Chez eux c’est du vent on ne mélange pas les torchons et les serviettes.

Femme, 31 ans

On va à Inter, et là derrière on va promener le chien. Là où j’évite c’est les 400 parce qu’il parait que c’est chaud, nous ici c’est les 800, Périgny 6. C’est les rumeurs du quartier, après je sais pas…

Femme, 69 ans

Moi j’aime beaucoup les 400, là où il y a l’économat et le port… parce que je trouve que c’est là qu’il y a le plus d’histoire, c’est celui qui a le plus d’âme.

Homme, 56 ans

Chaque fois que nous avons tenté de remonter l’explication d’un phénomène (par exemple lieux investis ou évités, regards portés sur le cadre de vie, etc.) nous avons retrouvé systématiquement des questions d’image, de réputation, et d’injustice. Ces résultats nous ont conduit à considérer les projets urbains sur le territoire sous l’angle d’une cou- ture urbaine et sociale. La réalisation de projets polarisants tels que les logements neufs dans le parc ou avec vues sur les lacs, ou celui du Parc des Expositions pourrait amplifier l’effet de fragmentation sociale et de décrochage de certaines zones du quartier. Pourtant, la relation entre rénovation urbaine et amélioration de la réputation du quartier n’est pas démontrée d’un point de vue sociologique. Nous avons donc fait la pro- position à la collectivité d’imaginer « l’histoire que l’on aimerait raconter de Villeneuve demain », et de chercher ce qui pourrait renforcer la fierté d’y habiter. Il ne s’agit pas d’un simple exercice de communication, mais d’une réflexion sur la vision d’avenir du territoire comme un cadre pour guider les opérations urbaines (Ville de La Rochelle, 2018).

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