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Les enjeux contemporains poussent vers le déploiement d’un « urbanisme favorable à la santé »

des risques ?

1.2.2 Les enjeux contemporains poussent vers le déploiement d’un « urbanisme favorable à la santé »

À la fin des années 1990, et encore à l’heure actuelle, l’essentiel de l’action de santé publique est d’agir sur les facteurs de risques établis grâce aux contributions de l’épidé- miologie permettant de quantifier des relations exposition- risque et d’évaluer la propor- tion de la population exposée aux facteurs de risques (Le Moal et al., 2010). À mesure que la pollution augmente et que les problèmes se complexifient en matière de santé (pensons à titre d’exemple aux enjeux liés à l’exposition à long terme de faibles doses, à un cocktail de polluants ou à des perturbateurs endocriniens) d’environnement et d’en- jeux climatiques, des études parviennent à mettre en évidence les effets de la pollution des milieux (air, eaux, sols, espaces intérieurs) sur la santé des populations. En ce qui concerne plus précisément le milieu urbain, de nombreux travaux éclairent désormais sur l’influence de certains choix relatifs à l’aménagement des villes, les formes urbaines ou encore les modes de transports, sur le développement de certaines pathologies, comme les affections respiratoires mais aussi certaines maladies chroniques comme l’obésité, le diabète ou les maladies cardiovasculaires (Frumkin et al., 2004 ; Barton, 2009 ; Chaix,

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PRemièRe PaRTie – Chapitre 1 2009). Des influences positives de l’environnement de vie sur la santé ont également été mises en évidence, comme par exemple les avantages sanitaires et autres bénéfices liés à la pratique du vélo (Praznoczy, 2012). De nombreuses études s’intéressent également aux effets bénéfiques des espaces verts urbains (Heritage et al., 2018 ; Manusset 2012 ; Vida, 2011 ; Tzoulas et al., 2007) et révèlent les avantages que la présence de la nature peut offrir tant en termes d’opportunités d’activité physique (Bauman et Bull, 2007), d’ambiances urbaines (rafraichissement, dispersion des polluants, etc.) (Canorel, 2009 ; Pascal et al., 2019), ou de bénéfices psychosociaux (réduction du stress, effets sur la dépression, etc.) (Manusset, 2012). Il nous faut toutefois remarquer, comme l’observait déjà Jane Jacobs dans les années 1960, que malgré ces multiples bénéfices, les espaces verts ne sont pas systématiquement et mécaniquement des lieux de vertu, et les dysfonctionnements de certains espaces publics en proie au vide ou à l’insécurité invitent les aménageurs à dépasser les logiques déterministes et à s’intéresser aux pratiques sociales et au vécu des habitants (Jacobs, 2012 [1961], p.105).

À mesure que les connaissances scientifiques démontrent les liens entre choix d’amé- nagement du territoire et santé des populations, il devient évident que le secteur sani- taire ne peut pas répondre à tous les enjeux, et qu’il est nécessaire que les responsables politiques de tous les secteurs et de tous les niveaux prennent conscience des consé- quences de leurs décisions sur la santé. C’est ce qu’affirme notamment la Charte d’Ot- tawa (1986) qui préconise d’agir sur les lieux de vie et qui a impulsé le mouvement des Villes- Santé engagées dans la prise en compte de la santé dans les politiques locales (Le Goff et Sechet, 2011). Malgré ces multiples incitations, les enjeux de santé sont encore rarement pris en compte dans les documents de planification et les projets d’aména- gement. C’est l’objet des démarches d’urbanisme favorables à la santé mise en avant par l’OMS depuis une vingtaine d’années (Barton et Tsourou, 2000). Il s’agit de mettre en avant un type d’urbanisme qui tend à promouvoir la santé et le bien- être des popu- lations tout en respectant les trois piliers du développement durable et en portant les valeurs de coopération intersectorielle et de participation que l’OMS défend par ailleurs dans sa politique « la santé pour tous » (ibid.). Depuis, de multiples tentatives ont émergé pour soutenir l’intégration des enjeux de santé dans les politiques d’aménagement. Par exemple, l’École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP) a publié un guide pour agir pour un urbanisme favorable à la santé (Roué le Gall et al., 2014) dans lequel les auteurs suggèrent des outils (des matrices et des critères) qui permettent de questionner et d’évaluer la prise en compte des déterminants de la santé dans les choix d’aménage- ment. Le guide défend le déploiement d’une démarche articulée autour de cinq axes dans laquelle les choix d’aménagement permettraient (ibid., p.31) :

1) de réduire les polluants, nuisances et autres agents délétères,

2) de promouvoir des comportements ou styles de vie sains des individus,

3) de contribuer à changer l’environnement social en proposant des espaces de vie agréables, sécurisés et favorisant le bien- être des habitants,

4) de corriger les inégalités de santé en termes d’accès à un cadre de vie de qualité et d’exposition aux polluants,

5) de soulever et gérer autant que possible les antagonismes et les possibles synergies Si l’on devine les intentions de ces propositions, il nous faut remarquer que les notions mobilisées, par leur polysémie, nécessiteraient d’être problématisées. Ainsi, que signi-

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fient et que peuvent contenir les termes « cadre de vie de qualité », « espaces de vie agréables et sécurisés » ou encore le « bien- être » ? Bien évidemment, le guide comprend des critères et des catégories plus précises pour chacun de ces axes, mais il s’appuie sur des données biostatistiques et épidémiologiques classiques, tout en confortant l’in- dividualisme méthodologique (en se focalisant sur les comportements par exemple) ce qui peut sembler en décalage avec les valeurs de la Promotion de la santé (OMS, 1986) pourtant défendues par ailleurs1.

Au regard de toutes ces contributions, deux séries de questionnements s’offrent à nous. Tout d’abord, nous observons à travers les catégories déployées dans le champ de l’urbanisme favorable à la santé mais aussi plus largement dans la manière d’appréhen- der les questions de santé environnementale, une tendance à emprunter des logiques essentiellement défensives, centrées sur des facteurs de risques connus et opérant dans une logique déterministe et de rationalité biomédicale (exposition à des polluants, risques liés aux comportements individuels, configurations de l’environnement social, etc.) (Remvikos, 2019). Certes, les agressions environnementales contre lesquelles elles s’opposent sont toujours très préoccupantes, mais imaginons la situation idéale illusoire de faire disparaître intégralement toutes les sources de pollution d’un milieu urbain et les facteurs pouvant influencer négativement certains comportements de santé, pourrions- nous alors considérer que l’on se trouve en présence de territoires favorables à la santé et au bien- être des populations ? Par ailleurs, ce milieu de vie qui opère sur la santé des populations par le biais de multiples influences, semble comme séparé de considéra- tions sociales et humaines de l’expérience même de vivre dans un lieu. Là encore, une telle lecture nous permet- elle d’appréhender ce qui fait santé ou même bien- être pour les habitants d’un territoire ?

1.2.3 Santé environnementale et différentes conceptions

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