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Les inégalités sociales et environnementales et leurs effets sur la santé : approches par les disparités statistiques

des risques ?

1.4 Les inégalités sociales et environnementales et leurs effets sur la santé : approches par les disparités statistiques

et apports des théories récentes sur la justice sociale

1.4.1 Le constat aggravé des inégalités sociales

et territoriales de santé en France

La reconnaissance de l’existence de causes structurelles inéquitables, injustes et évi- tables dans les différences observées dans l’état de santé au sein d’une population n’est pas récente et a été portée à de multiples niveaux politiques. « Non seulement les dispa- rités physiques entre les individus ne sont pas fondées, de manière absolue, en nature, dans une sorte d’essence biologique de l’être humain, mais elles sont aussi déterminées par les inégalités que la société institue » (Fassin et al., 2000, p.13). Dans l’identification et la compréhension des inégalités sociales de santé, la France a joué un rôle pionnier dans les années 1820 avec les travaux de certains médecins et épidémiologistes comme Louis- René Villermé qui, s’appuyant sur les premières statistiques de mortalité au domi- cile a mis en évidence le rôle de la pauvreté comme cause première de mortalité dans les arrondissements parisiens. Mais de cette avance, Didier Fassin faisait remarquer qu’il est surprenant que la France « soit aujourd’hui [le pays] où ces inégalités sont à la fois les plus profondes et les moins reconnues en Europe de l’Ouest, alors même que la notation de son système de santé la situe au premier rang mondial » (Fassin, 2008, p.34). En 1990, Evans et Stoddart écrivaient : « il existe un écart grandissant entre la compréhension des déterminants de la santé et la priorité que les politiques de santé accordent à l’appareil de soins ». 15 ans plus tard, l’OMS créé une commission spécifique pour travailler sur les déterminants de santé, commission qui admet dans un rapport de 2009 que les poli- tiques économiques et sociales déterminent en grande partie les chances qu’a un enfant de se développer pleinement et de mener une vie épanouie (Commission des détermi- nants sociaux de la Santé, 2009). La lutte contre les inégalités figure parmi les priorités absolues de nombreuses politiques de santé comme le montrait par exemple la stratégie de santé publique (2008-2013) (Touraine, 2014). Mais les problèmes d’inégalités n’ont certainement pas disparu en 10 ans, et restent un enjeu explicite de la stratégie nationale de santé (2018-2022)1.

Ces politiques publiques s‘appuient sur les données et connaissances concernant les inégalités sociales de santé qui s’observent dans une infinité de situations (Wilkinson, 2010 : Wilkinson et Pickett, 2010). Nous ne ferons pas l’inventaire de ces données mais nous rappelons néanmoins quelques éléments de connaissances bien établies. Bien évi- demment les inégalités en termes d’espérance de vie sont un indicateur implacable de

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ces inégalités, mais elles ne doivent pas occulter que cette espérance de vie n’a par ail- leurs pas la même qualité pour tous (Lang dans Lang et Ulrich, 2017, p.18).

Pour notre sujet, ce sont également plus précisément les inégalités sociales et territo- riales de santé qui révèlent, pour le dire simplement, des disparités dans l’état de santé des populations en fonction à la fois de déterminants sociaux et de leur lieu de vie. Ainsi, les données de la cohorte « Santé inégalités et ruptures sociales » (Sirs) réalisée auprès d’individus représentatifs de l’agglomération parisienne, montrait que les indicateurs de santé sont globalement plus défavorables pour les personnes habitant dans des quar- tiers défavorisés (Zones urbaines sensibles ou quartiers ouvriers), et ce pour de multiples pathologies et troubles de santé (Chauvin et Parizot, 2009). Dans cette cohorte, les cher- cheurs se sont appuyés sur les données établies par l’Observatoire national des Zones urbaines sensibles (ZUS) et confirment l’existence de conditions de vie critiques dans ces ZUS avec des problèmes largement connus de surpeuplement et de mauvais état des logements. Interrogés sur leurs perceptions de leur cadre de vie, les habitants des ZUS (et dans une moindre mesure dans les quartiers ouvriers) expriment des sentiments néga- tifs sur leur cadre de vie comme le sentiment que la situation de son quartier se détériore, qu’il existe un faible soutien social dans le voisinage, des sentiments d’isolement, et un désir de mobilité résidentielle contrarié par des obstacles économiques.

D’autres études comme la cohorte RECORD sous la direction de Basile Chaix, montre des disparités importantes en matière d’obésité (dont la pression artérielle fournit un indicateur important) en fonction à la fois du quartier de résidence, et du niveau d’ins- truction de la personne (Leal et al., 2011). Cette étude montre par exemple que les situa- tions d’obésité augmentent lorsque le niveau d’instruction diminue, ce qui n’est pas un constat nouveau. En revanche, cette étude suggère également un phénomène « quar- tier » plus fort encore que les disparités individuelles : lorsque le niveau d’instruction moyen du quartier de résidence est faible, les disparités sont accentuées, alors qu’un niveau d’instruction individuel faible est en partie rattrapé lorsque la personne réside dans un quartier au niveau d’instruction moyen plus élevé.

Ces inégalités sociales de santé sont pensées essentiellement dans le langage sta- tistique, dans une perspective descriptive et explicative (Fassin dans Fassin et.al., 2000, p. 123) dont l’intérêt n’est pas contesté. Néanmoins, dans la perspective de l’étude des inégalités sociales et territoriales dont on reconnaît précisément la nature sociale, ces approches quantitativistes méconnaissent la réalité et les pratiques sociales des popu- lations. Pour Didier Fassin toujours, la focalisation du regard sur les « pauvres », « les pré- caires », « les exclus », ou même « les milieux populaires » pose un double problème (ibid., p.127) :

D’une part, en concentrant l’observation sur les dominés, on laisse échapper une part importante des processus de domination, au risque même de redécouvrir une « culture de la pauvreté » [Lewis, 1969], c’est-à- dire des traits culturels inhérents aux catégories défavorisées dont l’analyse conduit implicitement, et parfois explicite- ment, à rendre celles- ci responsables de leur situation. D’autre part, en prétendant simplement rapporter des représentations et des pratiques des classes populaires, on tend à occulter les présupposés des chercheurs eux- mêmes à partir desquels

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PRemièRe PaRTie – Chapitre 1 sont construites ces représentations et ces pratiques caractérisant la « culture du pauvre » [Hoggart, 1970], tels qu’ils s’expriment dans la complaisance à la descrip- tion des aspects les plus misérabilistes ou, au contraire, dans le regard populiste porté sur les pratiques des groupes défavorisés.

1.4.1 Les apports de la sociologie relationnelle

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