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Une étude du bien être dans son cadre de vie en partant du vécu des habitants

1.1 Les apports de la phénoménologie et du pragmatisme dans cette recherche

L’étude des liens entre santé, bien- être et cadre de vie pourrait être menée de mul- tiples façons. Mais dans l’ensemble très hétérogène de concepts et disciplines entre lesquels nous avons cheminé, il nous semble percevoir un point de convergence et de tension important : il s’agit fondamentalement de la valeur que l’on accorde aux diffé- rents types de savoirs mobilisés pour étudier le sujet. Mais nous avons souhaité prendre une autre voie pour cette recherche, en cherchant l’expérience vécue des habitants comme point de départ de l’étude. C’est une posture épistémologique qui conduit à dépasser les conceptions dualistes opposant corps et esprit et à se débarrasser des a priori objectivistes conférant « à la science et aux connaissances scientifiques une valeur telle que toute notre expérience vécue du monde se trouve d’un seul coup dévalorisée » (Merleau-Ponty, 1948). Sans avancer trop loin dans des considérations philosophiques qui nous dépasseraient, nous comprenons qu’il ne s’agit pas simplement de voir comment juxtaposer les savoirs de l’expertise avec les savoirs de l’expérience pour reconstituer une image totale de la réalité. Grâce à des inspirations issues de la phénoménologie et du pragmatisme, il nous a été donné de comprendre que l’on ne peut ni opposer, ni hié- rarchiser ces savoirs, et qu’il nous faut au contraire réaliser qu’ils ne disent pas la même chose sur un sujet.

La phénoménologie que l’on associe souvent aux écrits de Husserl1 cherche glo-

balement à rétablir l’accès à la vérité par l’expérience, et le retour aux choses mêmes

1. Ou de Hegel qui entendait fournir une explication de la nature et de la vie telles qu’elles s’offrent à nous dans l’expérience non- scientifique du monde (De Waelhens, 1954)

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(De Waelhens, 1954). Il ne s’agit ni d’un concept ni d’une école de pensée, mais d’une manière d’accéder aux choses, une approche qui rejette les constructions théoriques posées sur le monde (et nécessairement extérieures), et qui défend l’expérience vécue comme approche de la connaissance (ibid.). Husserl passe par la notion de « monde de la vie » (Lebenswelt en allemand) qui désigne le monde tel qu’il se donne à nous, par opposition au « monde exact » construit par les sciences modernes (Farges, 2006). Les méthodologies et conceptions scientifiques « objectivistes » prétendent à une forme de neutralité des connaissances scientifiques et tendent à donner des représentations uni- verselles d’une réalité, avec la finalité de faire émerger des modèles abstraits, expliquant dans une logique simpliste des relations mécaniques de cause à effet (Blanchet, 2009). Le but de la phénoménologie n’est pas d’opposer ces deux mondes ni la science à l’ex- périence comme si elles pouvaient être comparées, mais de comprendre que le raison- nement scientifique rationnel pose un voile sur le monde, et ne voit plus qu’il procède de lui. Pour Maurice Merleau- Ponty, il ne s’agit nullement de nier la valeur de la science, mais de combattre « le dogmatisme d’une science qui se prendrait pour savoir absolu et total » (1948). Avec sa phénoménologie de la perception, Merleau- Ponty propose de rendre justice « à tous les éléments de l’expérience humaine et en particulier à notre perception sensible » que la pensée rationnelle et cartésienne considère habituellement comme un simple « commencement de science encore confuse » (ibid.).

ainsi, pour étudier ce qui fait bien- être dans son cadre de vie, il nous semble que cette mise à distance du monde par la science et l’objectivisme pourrait nous écarter « du monde tel qu’il est ». Nous avons donc trouvé dans la phénoménologie une inspi- ration pour étudier le cadre de vie, tel que les habitants en font l’expérience, avant le jugement et la pensée rationnelle des différents experts.

D’autres approches comme la philosophie pragmatiste poursuivent d’autres objec- tifs que la phénoménologie, mais nous offrent d’autres inspirations qu’il nous semble légitime de mettre en perspective avec la phénoménologie. Évidemment, le passage de la phénoménologie au pragmatisme ne peut se faire par une simple transposition de concepts d’un champ à l’autre, mais l’on peut trouver des intérêts communs, en par- ticulier un attachement pour l’expérience comme point de départ de la connaissance. Le pragmatisme n’a pas un intérêt uniquement au regard des questionnements ontolo- giques que nous soulevons au sujet du bien- être dans son cadre de vie. Nous trouvons dans des écrits comme ceux de John Dewey des prolongements concrets comme l’idée que la démocratie pensée comme un idéal institutionnel extérieur à nous, nous fait pas- ser à côté de la démocratie comme expérience avec les interactions qui se jouent en permanence dans toutes les relations sociales (Dewey, 2006 [1939]). Il y a dans le prag- matisme, des positions philosophiques variées et notre propos n’est pas d’en maîtriser tous les courants, mais de citer certains points caractéristiques de cette pensée qui nous ont semblé utiles dans cette recherche. L’article de Richard Shusterman (2010) sur les principes qui jouent un rôle important dans le pragmatisme nous offre à ce titre des repères importants. Il nous permet notamment de nous situer hors du cartésianisme et de comprendre la nature changeante, ouverte et contingente de la réalité, et d’accorder à l’action et à la pratique, appréhendées en totalité et avec le contexte, le primat de notre attention (ibid.). Le pragmatisme remet en question le dualisme corps- esprit et

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deUxième PaRTie – Chapitre 1 les chiffres comme élément de connaissance objective. Si les sciences nous coupent du monde et évacuent les affects premiers qui nous permettent pourtant de nous connecter aux choses réelles, il s’agit de rétablir toute sa valeur aux qualités des choses, que l’on ne peut aborder que par l’expérience. En somme, pour notre étude du bien- être dans son cadre de vie, nous tenterons d’abandonner les lectures quantitativistes pour s’attacher aux qualités, et emprunter la voie des savoirs esthétiques que l’on ne peut capter que par l’expérience vécue des choses.

il s’agit d’une originalité de cette recherche si tant est que l’on puisse la relier au champ de la santé publique, tant nous opérons un virage conceptuel et épistémolo- gique en proposant de passer par l’expérience vécue des habitants pour aborder le bien- être dans son cadre de vie.

1.2 Des enquêtes de type ethnographique pour recueillir le

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