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Les riverains en tant qu’acteurs : le modèle organisationnel comme enjeu stratégique de l’action

organisationnelle de l’action collective.

3.3 Les riverains en tant qu’acteurs : le modèle organisationnel comme enjeu stratégique de l’action

collective.

Cette sous-section tente d‟explorer le modèle organisationnel du collectif d‟habitants pour essayer de saisir la stratégie d‟acteurs dans la conduite d‟une action collective mobilisant un public hétérogène.

À travers leurs nombreuses publications sur le blog du collectif « Sauvons les Longs Champs », nous avons pu observer que les acteurs associatifs étaient préoccupés par le souci de mettre en place une organisation qui soit à la hauteur des ambitions fixées par le collectif d‟habitants. L‟idée est non seulement de formaliser le mouvement, mais aussi de procéder à une rationalisation organisationnelle permettant de garantir l‟efficacité de l‟action collective. Ainsi, lors d‟une réunion des habitants, l‟Interviewé 1 lançait cet appel :

Et maintenant ? On a besoin de vous !18

Nous allons essayer de nous organiser dans une structure cohérente qui pourra faire face aux défis à venir. Concrètement, nous allons devoir essayer d'être force de proposition et surtout être un contre-pouvoir vis-à-vis de la métropole. Il va donc falloir connaître les parties financières, techniques et humaines du dossier.

18 Extrait des déclarations de l‟Interviewé 1, disponible sur le blog du collectif « Sauvons les Longs Champs » :

Il va falloir étudier des dossiers, calculer, mesurer, rédiger, mais aussi aller enquêter sur le terrain, rencontrer des habitants ainsi que des industriels.

Bref, il y a du pain sur la planche ! Et il y en a pour tout le monde !

Cette déclaration nous rappelle la conception de la rationalisation évoquée en début de ce chapitre, « […] Elle regroupe ainsi les démarches intellectuelles et les actions visant à assurer la meilleure adéquation possible entre ressources matérielles, techniques et humaines nécessaires pour parvenir au résultat escompté grâce à la mise en œuvre d’une méthode rationnelle reposant sur l’observation, l’expérimentation et le calcul comparatif » (Bouillon, 2009 : 7).

À travers cette déclaration ci-dessus, l‟acteur associatif met l‟accent tout d‟abord sur la structure organisationnelle, puis sur la nécessité de bien connaître les différents aspects du dossier de la ligne B, afin de peser dans les discussions avec les élus. Bref, c‟est un appel pour l‟entrée dans le « monde réel », qui permettrait d‟extirper le conflit de ce que certains sociologues assimilent aux « comportements pathologiques, qui s’expliqueraient soit par l’irrationalité de ceux qui se mobilisent, soit par la maladresse des acteurs dominants » (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001 : 49).

La question de l‟irrationalité a alimenté les réflexions sociologiques destinées à expliquer les conflits d‟aménagement. D‟ailleurs, certains philosophes comme Rousseau avaient fait le rapprochement entre l‟incompétence du citoyen et l‟irrationalité. Peut-on qualifier un collectif d‟irrationnel du simple fait de l‟hétérogénéité des identités socio-professionnelles de ses membres ? Et d‟une manière générale, ce sont les revendications des riverains qui sont perçues comme irrationnelles. Certains aménageurs vont plus loin et parlent des réactions instinctives guidées par la défense d‟un intérêt particulier, etc. Se dépouiller de ces jugements nécessite une forme de rationalisation organisationnelle, qui constitue l‟étape primordiale de l‟action collective. Dans l‟une de ses présentations lors de la réunion de quartier en décembre 2007, le membre du collectif « Sauvons les Longs Champs » faisait comprendre aux riverains que dans la première phase de contestation, la question d‟organisation est très importante : « Organisons-nous ! » lançait-il en préambule avant de poursuivre : « un groupe s’était formé dans l’urgence, fondé sur des réactions spontanées d’habitants, sans réelle organisation, ouvert à tous, mais sans réelle publicité autour, aidé par les associations existantes » (« Le métro aux Longs Champs », 16/01/2008, annexe 7, vol. 2).

Aussi, il disait qu‟il y avait la «nécessité de formaliser les choses » « nécessité d’appeler tous les volontaires à se joindre à nous ». Il a ensuite déroulé son argumentation pour expliquer la nécessité de mettre en place une organisation formellement établie. D‟après son raisonnement, plusieurs raisons expliquent ce besoin d‟organisation.

La mise en place d‟une organisation permettra tout d‟abord au collectif de nouer le dialogue avec Rennes Métropole. Puis une fois que le dialogue aura été établi, le collectif pourra avoir des éléments de réponses lui permettant de comprendre le dossier métro.

Ensuite, à partir des éléments de réponses obtenus et décryptés, le collectif pourra être critique vis-à-vis des solutions préconisées par la Métropole. Dans un contexte de conflit d‟aménagement comme celui-là, les riverains doivent mobiliser un registre de savoirs pour émettre des critiques bien fondées.

Et en fin, le collectif devra « proposer autre chose » : car l‟une des raisons de la mobilisation des riverains était de trouver une alternative au métro aérien.

Par ailleurs, la constitution d‟une organisation formalisée a aussi pour objectif de permettre au collectif de communiquer efficacement avec les médias. En effet, d‟une manière générale, les riverains sont conscients que les médias ont un rôle important à jouer dans les situations conflictuelles liées à l‟aménagement du territoire. D‟où la nécessité de savoir communiquer. Et cette communication ne doit pas se limiter aux seuls médias et acteurs institutionnels, mais aussi et surtout avec les habitants du quartier. Car la suite de la mobilisation dépend des actions info-communicationnelles envers les riverains et à tous ceux qui sont susceptibles de s‟intéresser au projet de la ligne B.

Nous proposons de reprendre point par point les arguments de l‟acteur associatif. En effet, contrairement aux réunions d‟information, le dialogue nécessite une certaine organisation qui consiste à désigner quelques personnes pour établir le contact avec le maître d‟ouvrage. Car il serait difficile de concevoir un dialogue dans une salle remplie: « Les réunions de travail c’est en petits comités, ce n’est pas devant quatre cents personnes qu’on va réussir à se mettre d’accord » (Interviewé 1, annexe 1, vol. 2).

Cet extrait renvoie aux travaux des sociologues de l‟action collective, tel que Mancur Olson, qui avait abordé la question de la « cohésion et efficacité des petits groupes ». Dans son ouvrage « Logique de l’action collective », Mancur Olson s‟est appuyé sur des travaux empiriques comme celui de John James19 pour étudier les dimensions et comportement du

groupe. Dans ce travail empirique, les hypothèses de Mancur Olson ont été testées en s‟appuyant sur des témoignages des leaders de groupes ayant des années d‟expériences de réunions en comités. L‟un de ces leaders de groupes observait que « Nous nous sommes aperçus […] que les comités devraient être petits si l’on désire qu’ils soient agissants, et relativement grands si l’on attend d’eux des points de vue, des avis, etc. » (Olson, 1965 : 76). Par ailleurs, dans son analyse de « dimensions et comportement du groupe », Mancur Olson mobilise les travaux du sociologue Georges Simmel, qui a énoncé que « les petits groupes pouvaient agir avec plus de décision et utiliser leurs ressources plus efficacement que les grands groupes. […] les petits groupes à organisation centripète rassemblent et utilisent toutes leurs énergies alors que dans les grands groupes, les forces restent beaucoup plus souvent virtuelles » (Olson, 1965 : 77).

Ainsi, dans le cadre de la mobilisation des riverains des Longs Champs, nous pouvons dire que l‟idée de l‟organisation en petits groupes de travail est une forme de clairvoyance des acteurs associatifs qui, par expérience nous semble-t-il, savent que le travail en petits comités est plus efficace que les réunions de groupes pléthoriques. Car, d‟après Mancur Olson,

quand le nombre des participants est élevé, l’assistant moyen sait bien que ses efforts ne pèseront pas lourd sur l’issue de la discussion et qu’il sera affecté par la décision prise en réunion à peu près de la même manière qu’il ait ou non apporté du soin à l’étude des problèmes à résoudre. Par conséquent, le participant moyen ne se donnera pas la peine d’étudier les questions avec la minutie qu’il aurait apportée s’il avait à décider seul. (Olson, 1965 : 75).

Cet extrait s‟apparente à l‟une des remarques faites par l‟acteur associatif lors de notre entretien, « […] C’est qu’on faisait, c’est qu’on forçait aussi le tour de table, parce que s’il y a plus de huit, neuf personnes, il y avait des gens qui ne disaient rien. Et donc après ce qui est important, ce que les gens s’expriment. On force le tour de table, en disant vous, vous pensez quoi ? Vous, vous pensez quoi ? Pour éviter d’entendre toujours les grandes gueules quoi » (Interviewé 1, annexe 1, vol. 2). D‟où cette structuration organisationnelle en plusieurs groupes, dont l‟un des premiers objectifs est de chercher à comprendre les arguments du maître d‟ouvrage, pour être « capable d’être critique vis-à-vis des solutions proposées par les élus locaux, et en même temps proposer des alternatives ».

De ce qui précède, il nous semble évident que pour s‟ériger en une « opposition » crédible et forte de propositions vis-à-vis des élus, le collectif d‟habitants doit définir leur propre organisation interne. C‟est ainsi que l‟acteur associatif réitérait l‟appel à l‟organisation en ces termes :

« Proposition d’organisation : Ceci n'est qu'une proposition. Ce n’est pas une structure figée,

elle va bouger dans le temps ».

Ces deux premiers points nous laissent comprendre que l‟acteur associatif se préoccupe de la flexibilité dans la constitution des groupes de travail. D‟où ce besoin de simplicité qui aurait pour but de mobiliser un maximum de volontaires. Nous notons aussi une forme de prudence langagière dans son appel à l‟organisation : « ceci n’est qu’une proposition », une énoncée policée qui évite toute forme de brutalité et d‟autorité.

L‟objectif de cette flexibilité organisationnelle est « d’avoir des personnes travaillant sur chaque problématique. Tout le monde peut participer à un ou plusieurs groupes et en changer aussi souvent que nécessaire. Chaque groupe pourra s'organiser à sa guise » comme l‟indique le responsable du groupe d‟études « tracé et insertion ».

Cette volonté de mettre en place un modèle organisationnel souple et flexible aurait pour objectif de faciliter l‟inclusion des riverains dans ces lieux d‟exploration commune des solutions dans un contexte de conflit d‟aménagement.

Poursuivant son intervention lors de la réunion de quartier, l‟acteur associatif lançait à nouveau : « Nous avons besoin de vous ! » « Vous êtes intéressés pour participer ? ». «Vous avez la motivation nécessaire ? », «Vous avez envie de faire une action pour le quartier ? », « Repérez les groupes qui vous intéressent et faites-vous connaître à la fin de la réunion de son animateur. Aucune compétence n’est nécessaire si on a la motivation ».

À ce stade, nous sommes dans une phase de la mobilisation citoyenne en faveur d‟une action collective pour le quartier. L‟auto-organisation des groupes de travail renvoie à une forme de la responsabilisation des riverains souhaitant s‟impliquer pour apporter leurs contributions dans la structuration et la définition des stratégies d‟actions. Cela suppose que chaque groupe thématique est libre de définir son organisation de travail.

« La motivation est plus importante que la compétence !!! ». Cette déclaration de l‟acteur associatif est un message assez fort adressé aux riverains. Nous entendons par là que chaque personne peut être utile pour le collectif d‟habitants, peu importe le niveau de sa qualification. Autrement dit, chaque proposition serait la bienvenue. C‟est seulement la motivation qui

compte, car la mobilisation doit s‟inscrire dans la durée. En nous appuyant sur les travaux de Christian Le Moënne sur la communication organisationnelle dans le monde de l‟entreprise, cet appel à mettre en place un modèle organisationnel a pour objectif d‟enclencher un processus d‟engagement des riverains dans l‟action collective orientée vers la préservation de l‟environnement et leur cadre de vie.

Et comme on le note dans cette déclaration, les acteurs associatifs exprimaient leur crainte sur l‟éventualité d‟une démobilisation des riverains en ces termes : « […] et puis même de faire en sorte que les gens restent mobilisés, puisqu’on voit que le temps ça va être long, et qu’on peut être démobilisé » (Interviewé 1, annexe 1, vol. 2). Or, c‟est justement cette capacité à rester mobilisé qui doit être l‟une des forces du collectif pour réussir à infléchir le choix des élus.

Par ailleurs, notre premier interlocuteur évoquait la mise en place des groupes de travail thématiques, qui étaient proposés aux riverains pour organiser la contestation et définir les modes d‟actions et élaborer des propositions alternatives :

En fait au début, dès début 2008 avant que même la concertation soit mise en place, on s’était organisé en petits groupes thématiques, en disant le nerf de la guerre. Donc on a fait un groupe tracé insertion, un groupe juridique, un groupe écologie, je sais plus ce qu’on a d’autre, enfin on avait cinq groupes comme ça, un groupe communication…vous allez trouver tout sur internet. Le but c’était un peu de creuser les différentes infos […]. (Interviewé 1, annexe 1, vol. 2).

Étant donné l‟objectif de ce chapitre qui est d‟appréhender la rationalisation organisationnelle du collectif d‟habitants, nous avons estimé nécessaire de présenter, ne serait-ce que brièvement (car nous examinerons leurs travaux dans le chapitre 5), ces groupes de travail destinés à identifier les problèmes et à faire des propositions concernant les modes d‟insertion du métro aux Longs Champs. À ce stade d‟analyse, sans aller dans le détail des travaux effectués par chaque groupe, nous pouvons dire qu‟à travers ces différentes thématiques et les objectifs qui leur sont assignés, le collectif a réussi le premier niveau de « l’identification des situations problématiques » (Daniel Cefaï, 2012, 2007, 2001).

- Groupe d‟études sur les tracés et stations

« Objectifs : être capable de discuter des choix des tracés/stations avec la métropole, argumenter et contre argumenter les projets de la métropole ».

- Groupe d‟études en génie civile

« Objectifs : regrouper toutes les contraintes en génie civil ainsi que celles des constructeurs pour alimenter les discussions du groupe « tracés et stations », connaitre les spécificités des différents constructeurs de métro.

- Groupe d‟études financières et juridique

« Objectifs : préparer un argument financier, être capable de fournir des conseils ou avis juridique.

- Groupe d‟études écologiques

« Objectifs : réaliser un dossier complet d’impact écologique des différents tracés. - Groupe d‟études sur les impacts humains

« Objectifs : être capable de fournir un dossier d’impact sur les habitants du quartier (impacts sonores et visuels, impacts sur le prix de l’immobilier, enquête de terrain à la Poterie et à Villejean).

- Groupe communication/logistique/support

« Objectifs : communication avec la Métropole, les habitants, d’autres associations (AUTI) et les médias, permanences physiques d’information aux habitants, aides diverses (distribution de tracts, porte à porte, etc. ». (« Le métro aux Longs Champs », 16-01-2008, annexe 7, vol. 2).

D‟après les comptes rendus des réunions et nos entretiens, la mise en place de ces différents groupes thématiques a pour objectif de se constituer en une opposition crédible et capable de défendre ses points de vue sur le choix du tracé et les modes d‟insertion du métro. Comme nous le verrons, ces différents groupes ont effectué chacun un travail d‟investigation, de collecte d‟information, d‟études de terrain, de comparaisons, etc. C‟est le prix à payer pour devenir un interlocuteur crédible. En outre, ces différents travaux d‟investigations auxquels se sont livrés les groupes thématiques ont pour objectifs de fournir aux habitants des éléments d‟informations fiables afin qu‟ils puissent se forger une opinion sur les enjeux des modes d‟insertion du métro.

Par ailleurs, si nous suivons le raisonnement de notre premier Interviewé, la force du collectif d‟habitants réside aussi dans leur méthode de travail basée sur une pédagogie et une flexibilité

du modèle organisationnel. Aussi, leur force vient du fait qu‟ils ont su afficher une unité jusqu‟à ce qu‟il y ait la création de l‟Association MUSE, due à la divergence des points de vue. (cf. chapitre 5).

En somme, la rationalisation organisationnelle du collectif d‟habitants avait pour but de leur doter des moyens et des capacités d‟actions pour entrer dans l‟arène de la discussion, en vue de « l’exploration commune des mondes possibles » (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001 : 49). Ce faisant le collectif des riverains a pu participer à ce que Daniel Cefaï appelle « la définition des situations problématiques (…) de tester des nouvelles manières de « faire du commun » et de « faire public » (Cefaï, 2012 : 7-48). « Faire du commun » et « faire du public » tels étaient les défis auxquels les riverains étaient confrontés dans la démarche de concertation spécifique relative à la ligne B. Dès lors il convient d‟examiner l‟instance de concertation ayant piloté cette « médiation » impliquant des acteurs avec des stratégies multiples.

Partie II : Postures et jeux d’acteurs

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