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La rationalisation : entre démarche volontaire et tyrannie de la perfection pour le collectif d’habitants

organisationnelle de l’action collective.

3.1 La rationalisation : entre démarche volontaire et tyrannie de la perfection pour le collectif d’habitants

De manière très succincte, le Larousse en ligne définit la rationalisation16 comme le

« perfectionnement d’une organisation en vue de son meilleur fonctionnement. » Dans le monde des entreprises, le « Perfectionnement » pourrait être interprété comme l‟optimisation des processus de production en vue d‟un meilleur rendement. Depuis un certain nombre de décennies qui peuvent remontrer à la Révolution industrielle, la rationalisation constitue un

16 Larousse en ligne, disponible sur ce lien :

https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/rationalisation/66645, Dernière consultation, 22-10-2018

facteur déterminant l‟efficacité de toutes formes d‟organisation sociale. Chez les dirigeants d‟entreprises et des organisations, la rationalisation est devenue une sorte de leitmotiv. Aujourd‟hui, compte tenu de la rude concurrence entre les entreprises, la rationalisation constitue l‟élément moteur qui détermine la compétitivité d‟une entreprise. Et au même titre que les entreprises et les autres organisations, les acteurs associatifs et les leaders des mouvements sociaux ont pris conscience que la rationalisation organisationnelle participe à la réalisation des objectifs qu‟ils se fixent. D‟où la nécessité d‟explorer ce concept pour essayer de saisir son importance dans une action collective telle que la contestation contre le métro aérien.

Par ailleurs, même si la définition du Larousse en ligne nous semble assez claire, elle ne permet pas de rendre compte de toutes les déclinaisons de la notion de « rationalisation ». C‟est pourquoi il nous semble plus pertinent de faire recours aux travaux de Jean –Luc Bouillon, qui interroge la rationalisation de manière approfondie. En effet, il propose de conceptualiser la rationalisation « comme un triple processus intégré d’optimisation, de codification et de justification des activités, se matérialisant au travers de rapports sociaux et économiques, de relation de pouvoir et de différentes formes de régulations sociales par lesquelles se coordonnent les activités humaines » (Bouillon, 2009 : 7).

Cette conceptualisation de la rationalisation représente un intéressant outil d‟analyse des modes d‟organisation du collectif des riverains, en ce sens qu‟elle permet d‟établir le lien entre ces différents volets de la rationalisation et les modes d‟organisations de ce collectif des riverains. Pour Jean-Luc Bouillon,

La rationalisation comme optimisation prend place dans le cadre du processus général d’intensification et d’élargissement de l’emprise de la « rationalité en finalité » mis en évidence par M. Weber (Weber, 1995 : 55). Elle regroupe ainsi les démarches intellectuelles et les actions visant à assurer la meilleure adéquation possible entre ressources matérielles, techniques et humaines nécessaires pour parvenir au résultat escompté grâce à la mise en œuvre d’une méthode rationnelle reposant sur l’observation, l’expérimentation et le calcul comparatif ». (Bouillon, 2009 : 7).

En effet, s‟agissant du premier volet de la conceptualisation qui considère la rationalisation comme processus d‟optimisation, l‟analyse des modes d‟organisations du collectif d‟habitants

nous a permis de comprendre que les acteurs associatifs ont essayé de mettre en adéquation leurs ressources humaines, matériels et techniques avec les objectifs de leur mobilisation – empêcher la construction d‟un viaduc au cœur du quartier et obtenir un tunnelier. Et même si nous n‟avions pas assisté aux moments forts de la mobilisation et aux réunions des acteurs associatifs, nos entretiens et les comptes rendus des groupes de travail montrent que cette « […] méthode rationnelle reposant sur l’observation, l’expérimentation et le calcul comparatif » était l‟une de leurs préoccupations majeures. Comme nous le verrons dans nos prochains paragraphes, les prises de positions des acteurs associatifs se faisaient sur la base des connaissances acquises à travers une collecte des informations variées, et des études comparatives sur les principales interrogations que soulève la construction d‟une ligne de métro.

Par ailleurs, Jean-Luc Bouillon indique que : « […] parallèlement et de manière plus fondamentale, la rationalisation repose sur une démarche de codification, c’est-à-dire d’objectivation de l’organisation ou de l’ensemble social considéré par l’usage de l’écriture. L’écriture permet la pensée rationnelle (Goody, 1979 : 102) […]. Rationnaliser signifie en définitive écrire et décrire l’organisation et le social, les réifier (Lukàcs, 1960), c’est-à-dire les mettre en règles et en procédures formalisées ». (Bouillon, 2009 : 7). Là également, nos entretiens et les autres documents du corpus nous ont permis d‟appréhender que la question de la formalisation s‟est imposée dès les débuts de la contestation. Car, par expérience ou par imitation, les acteurs associatifs ont conscience que la mise en place d‟un modèle organisationnel formalisé pourra donner du sens et de la visibilité aux actions à mener. Certes, il y avait une forme de souplesse dans la mise en place de groupes de travail des acteurs associatifs, mais des lignes directrices et les objectifs ont été définis pour optimiser le travail collaboratif de ce public hétérogène.

« Enfin la rationalisation implique un processus de justification, dont l’objectif est d’expliciter et surtout d’argumenter le caractère rationnel des choix et des procédures mises en place pour optimiser l’activité en référence à une logique d’action, une « grandeur » (Boltanski, Thevenot, 1991) « ou plus largement à une idéologie fonctionnant comme moyen de légitimation de l’autorité » (Ricœur, 1997 : 32 ; in Bouillon, 2009 : 7).

La justification est l‟une des questions fondamentales abordées dans l‟ouvrage de Luc Boltanski et Laurent Thevenot. Au fil des années, la justification s‟est érigée comme l‟un des principes fondamentaux de toute forme d‟organisation sociale. Et nous pouvons dire que c‟est

le recours à la rationalisation qui fait appel à ce « devoir » d‟explicitation et de justification. À cet égard, l‟examen des différentes actions entreprises par les collectifs d‟habitants permet de comprendre que « le caractère rationnel des choix [...] » était l‟une de leurs préoccupations majeures.

À l‟instar des autres penseurs, Jürgen Habermas souligne que « […] la rationalisation définit un cadre pour l’action, elle constitue une mise en œuvre de la rationalité qui renvoie moins à une forme ou à un état des savoirs qu’à « la manière dont des sujets capables de parler et d’agir appliquent ces savoirs » (Habermas, 1987 : 24 ; in Bouillon, 2009 : 8).

Comme nous venons de le voir, les travaux de Jean-Luc Bouillon nous ont permis de comprendre les différentes déclinaisons de la notion de rationalisation, à travers laquelle nous essaierons d‟examiner les différentes actions menées par les riverains pour obtenir un tunnelier au centre de leur quartier.

Il convient à présent de nous pencher sur la notion de « l’action collective », qui constitue l‟un des volets de la problématique de ce chapitre.

3.2 L’action collective : entre nouvelles perspectives

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