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Tableau 1.1 Évolution du régime forestier québécois selon Blais et Boucher (2013)

1.2 P RINCIPAUX CONCEPTS

1.2.1 Gestion et gouvernance forestière

L’un des concepts clés de la présente étude est celui de la gestion forestière. En s’inspirant de la classification initiale proposée par Evelyn Pinkerton, Beckley et Korber (1996) distinguent huit fonctions génériques de la gestion de n’importe quelle ressource naturelle :

Tableau 1.2 Fonctions génériques de la gestion des ressources naturelles

Collecte de données et analyse (« Data gathering and analysis ») Planification à long terme – 20 ans (« Long-term planning - 20 years ») Allocation des ressources (« Harvest allocation decisions - how much ») Planification à court terme – 5 ans (« Short-term planning - 5 years »)

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Mise en œuvre – Plan annuel des opérations (« Implementation - annual operating plans ») Renforcement de la réglementation (« Enforcement of regulations »)

Suivi et surveillance (« Monitoring »)

Élaboration des politiques (« Policy decision-making »)

Beckley et Korber (1996) ont utilisé cette opérationnalisation du concept pour évaluer une expérience de cogestion impliquant des communautés de la province de la Saskatchewan et une entreprise forestière. Ils reconnaissent toutefois que cette méthode a ses limites puisque les acteurs ont des intérêts divergents à vouloir collaborer. Ils ajoutent qu’il faut aussi prendre en compte le degré de satisfaction des acteurs pour évaluer les résultats atteints par l’entremise de la collaboration. Nous reconnaissons toutefois que cette approche possède aussi ses propres limites (Diduck et Sinclair, 2002).

Les mécanismes de gouvernance représentent pour leur part les moyens concrets pour coordonner et canaliser la collaboration dans les processus décisionnels appartenant à l’une de ces parties de la gestion. Cette définition de la « gouvernance » nous l’empruntons à Lemos et Agrawal (2006). Ces auteurs définissent la gouvernance environnementale comme :

(…) un ensemble de processus réglementés, de mécanismes et d’organisations à travers lequel les acteurs politiques influencent les actions environnementales et leurs résultats. La gouvernance n’est pas la même chose que le gouvernement. Elle comprend les actions de l’État et, en addition, elle englobe aussi les acteurs tels quel les communautés, les entreprises, et les organisations non gouvernementales4 (Lemos et Agrawal, 2006 : 298).

Autrement dit, dans le cadre de cette étude, les mécanismes de gouvernance forestière représentent l’ensemble des processus et des organisations, formels et informels, à travers lesquels l’État5 et les

groupes non gouvernementaux tels que les communautés locales et l’entreprise privée collaborent

4 Citation originale : « (...) set of regulatory processes, mechanisms and organizations through which political

actors influence environmental actions and outcomes. Governance is not the same as government. It includes the actions of the state and, in addition, encompasses actors such as communities, businesses, and NGOs. »

5 Bergeron définit l’État comme « une formation juridique souveraine, datant d’environ quatre siècles, qui

est le résultat d’un ensemble de forces politiques en action se dégageant d’une formation, large comme l’empire ou dispersée comme la féodalité, après en avoir neutralisé la puissance; et dont les forces qui lui avaient donné naissance ont institué, puis centralisées pour former une entité politique distincte qui peut entrer en relations d’indépendances et d’égalité avec d’autres entités du même type » (Bergeron, 1993 : 149). Bergeron souligne que « ses éléments constitutifs sont, au minimum une collectivité humaine, fixée sur un territoire déterminé et unifiés sous l’égide d’une organisation politico-juridique propre, réglementant, moyennant son privilège exclusif de l’usage de la force, de façon générale et virtuelle la quasi-totalité des intérêts globaux et fondamentaux de cette collectivité » (Bergeron, 1993 : 150). Le gouvernement renvoie à l’une des quatre fonctions principales de l’État; les autres fonctions étant la législation, l’administration et la juridiction.

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pour gérer la forêt. La dimension informelle permet d’inclure plus explicitement dans la définition des processus plus « souples » qui ne découlent pas nécessairement d’un cadre légal tel que le régime forestier québécois (p. ex., la certification forestière). De nouvelles expressions ont également émergé pour référer à ce phénomène relativement nouveau. On peut penser ici notamment à la « gestion forestière participative », à la « gouvernance collaborative » ou à l’« aménagement forestier durable ».

Certains auteurs remettent en question la distinction entre gouvernement et gouvernance, car le gouvernement serait par définition un modèle « traditionnel » de gouvernance, tout comme la « gestion communautaire » (Ostrom, 1990) ou les régimes privés tels que les concessions forestières (Howlett et al., 2009). Une façon d’éviter une possible confusion terminologique est de recourir au terme de processus de collaboration à acteurs multiples afin de distinguer les modèles de gouvernance traditionnels et les nouveaux. En reprenant à cet effet les travaux d’Agrawal et Lemos (2007) sur la gouvernance environnementale, on peut distinguer trois principaux groupes d’acteurs traditionnels : l’État, le secteur privé et la société civile/communauté. Ainsi, les modèles traditionnels de gouvernance impliquent seulement l’un des acteurs à la fois tandis que les processus de gouvernance « hybrides » impliquent au moins deux des trois principaux acteurs. Dans le contexte de l’administration publique, les partenariats publics-privés sont un exemple d’une gouvernance à acteurs multiples. Chaque type hybride peut également se subdiviser en différents sous-types. Par exemple, Fikret Berkes (1994) a développé une échelle de cogestion entre l’État et la communauté distinguant plusieurs formes de cogestion allant des processus d’information et de consultation à la délégation des fonctions de gestion. Les travaux du politicologue Thierry Rodon (2003) déclinent également différents scénarios de partenariat à l’intérieur de ce modèle général. Enfin, les Premières Nations possèdent leurs propres institutions de gouvernance (Beaudoin et al., 2015; Lacasse, 2004; Wyatt, 2004). Le but n’est pas d’avoir une discussion étendue sur les systèmes de gouvernance autochtone6. En fait, plutôt que de définir les Premières Nations strictement en

termes de « communauté » selon le cadre conceptuel usuel du système de gouvernance, les relations entre les Autochtones et non autochtones méritent d’être comprises en prenant en compte l’existence a priori de différents systèmes de gouvernance. Cela permet selon nous d’éviter le piège de conceptualiser les Premières Nations comme n’importe quelle autre partie prenante (voir à cet

6 Voir entre autres Berkes (1991), Feit (2005), Lacasse (2004), Nadasdy (2003) et Wyatt (2004), pour ne

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effet von der Porten et de Loë, 2014; Smith et Bombay, 1995). Le prochain point définit les principales formes que peuvent prendre les rapports entre les groupes d’acteurs à l’étude.

1.2.2 Classification des rapports entre les Premières Nations et le secteur forestier

Les rapports entre les Autochtones et les non-Autochtones peuvent prendre différentes formes dans le contexte de la gouvernance territoriale et des ressources naturelles. Par exemple, Rodon circonscrit les rapports entre les Autochtones et l’État à l’intérieur de quatre scénarios de cogestion possibles : la cooptation, la transaction, l’autonomisation et le malentendu. La cooptation consiste au « partage des fonctions de gestion, mais pas de l’autorité de gestion », elle canalise « les énergies et les ressources des groupes autochtones » et « [limite] le choix des décisions des Autochtones » au cadre propre de la société dominante (Rodon, 2003 : 144). La transaction « renvoie à l’interaction entre deux groupes culturels distincts » et permet la prise en compte des valeurs et des aspirations de chacun des groupes menant « à la création d’une culture de gestion propre aux institutions de cogestion » (Rodon, 2003 : 145). L’autonomisation réfère au « contrôle du territoire et des ressources » par les Autochtones. Enfin, le malentendu (conflit) demeure « l’un des reflets de l’incompatibilité des normes politiques et philosophiques des sociétés autochtones et canadiennes » et « ne peut être qu’un mode transitoire puisqu’il empêche toute collaboration entre les acteurs » (Rodon, 2003 : 147). Pour leur part, Hickey et Nelson (2005) discernent quatre types de partenariats pouvant unir un groupe autochtone et une entreprise forestière : les coentreprises, les protocoles d’entente, les relations contractuelles et les ententes de collaboration commerciale (2005 : 15). Les travaux de Wyatt et al. (2010a) proposent une classification pour circonscrire la collaboration entre les Autochtones et le secteur forestier incluant les ententes, les partenariats économiques, les études sur l’utilisation et occupation du territoire, l’influence sur la prise de décision (consultation et participation) ainsi que les tenures forestières.

À partir de ces études, on peut dégager différents types de rapports entre les Premières Nations et les autres acteurs du secteur forestier. Commençons par la séparation ou l’absence de relations. En effet, c’est une réalité sociologique importante méritant d’être prise en compte. Cela peut comprendre aussi une rupture dans la relation dans le temps. Ensuite, on retrouve la cooptation et ce que d’autres définissent comme l’« assimilation » ou l’« intégration » des Autochtones dans la société dominante. Elle représente une forme de manipulation de la participation autochtone par un autre groupe. C’est également la conception la plus répandue des relations entre les Premières Nations et le reste des Canadiens. Par la suite, il y a la collaboration. Elle peut être définie comme des relations négociées où deux groupes joignent leurs ressources pour atteindre un but commun

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(Gray, 1989). Par la suite, puisque le terme autonomie nous semble plus ou moins propice pour déterminer les rapports entre deux groupes culturels distincts, nous préférons parler d’une relation de coexistence dans un contexte où deux groupes reconnaissent mutuellement les différences entre leurs systèmes de connaissances, de gestion et de gouvernance (McGregor, 2011; Wyatt, 2004; Stevenson et Webb, 2003). Enfin, l’opposition ou la contestation renvoie à des pratiques diverses, dont la désobéissance civile (p. ex., les manifestations et les blocus), le refus de collaborer, les campagnes de sensibilisation ainsi que les actions plus formelles telles que le recours aux processus juridiques (Maclean et al., 2015).

Tableau 1.3 Rapports entre les Premières Nations et les acteurs du secteur forestier

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