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Tableau 5.3 Fréquence de la participation nehirowisiw aux tables de GIRT de Lanaudière et de la Mauricie de 2010 à

CHAPITRE 6. DISCUSSION GÉNÉRALE

6.1 L ES DIFFÉRENTS CHEMINS ET CHANTIERS DE LA COLLABORATION

La première étude de cas s’étalait sur la période de 1990 à 1996 et portait sur une démarche chapeautée par l’Association Mamo Atoskewin Atikamekw (AMAA) qui visait à intégrer l’aménagement faunique dans l’aménagement forestier. Cette association poursuivait le travail entamé par le Conseil de la Nation atikamekw (CNA) et le Conseil Attikamek-Montagnais (CAM)

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dans le cadre de la négociation territoriale globale. La démarche comportait deux volets. Le premier consistait à cataloguer les connaissances territoriales des Nehirowisiwok à l’aide des technologies de géomatique les plus avancées de l’époque (Aski Nipi). Le second visait à élaborer une série de mesures à incorporer dans l’aménagement forestier afin de prendre en compte les « milieux de vie » des Nehirowisiwok ainsi que les habitats fauniques dans la planification et l’aménagement forestier. L’AMAA a tenté de convaincre le ministère de modifier son Règlement sur les normes d’intervention en intégrant les mesures élaborées, mais sans succès. L’AMAA a essayé par la suite de convaincre les entreprises forestières, mais encore une fois, ce fut un autre échec. Les facteurs expliquant la tournure des événements sont nombreux : le manque de volonté politique (autant de la part des autorités nehirowisiwok que gouvernementales), le manque chronique de ressources financières de l’AMAA, la présence d’une démarche parallèle très similaire (Table de concertation sur le développement durable) et le fait que l’industrie ait refusé de participer au projet pilote de GIR (voir chapitre 3). Dans le cadre de cette recherche, cette période est définie comme une phase de prise de conscience des impacts de l’aménagement forestier sur l’occupation et l’utilisation du territoire par les Nehirowisiwok (trappeurs, chasseurs, familles) où le projet de GIR représentait alors une des premières formulations concrètes des solutions possibles pour atténuer les impacts négatifs. En somme, bien que dans les années 1990 il n’y ait pas vraiment de mécanisme formel pour collaborer avec les communautés autochtones dans le cadre de la planification forestière, et outre le mécanisme de négociation territoriale globale, l’AMAA, avec son modèle de GIR, représentait vraisemblablement l’une des premières initiatives soutenues de la part des Nehirowisiwok pour collaborer avec les acteurs du secteur forestier dans le cadre de la planification et de l’aménagement forestier. De plus, bien que le modèle de l’AMAA n’ait pas été adopté au début des années 1990, il a fortement inspiré la mise en place des mesures d’harmonisation à la fin des années 1990.

La seconde étude de cas a exploré la collaboration entre les Nehirowisiwok et les entreprises forestières au sein du processus de consultation et d’harmonisation de 1999 à 2013. Souvent décrit comme une « consultation distincte » avec l’industrie forestière, le processus d’harmonisation représente le principal moyen de prendre en compte les préoccupations et les intérêts des Nehirowisiwok dans la planification forestière. Il représente toujours à ce jour le principal mécanisme pour accomplir cet objectif. Il s’agit de rencontres en face à face où les planificateurs forestiers négocient directement avec les chefs de territoire et les familles concernées les mesures d’harmonisation à intégrer dans la planification afin de concilier les différents besoins. Les cartes géographiques représentent le principal outil dont se servent les parties pour négocier ces

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mesures. Les principaux effets immédiats (ou mesures) sont les mesures d’harmonisation comme telles qui influent directement la planification forestière (l’emplacement des coupes, la taille des coupes, etc.) et les mesures compensatoires. Ces dernières ne relèvent pas tant de la planification forestière, mais elles jouent un rôle clé dans l’occupation du territoire par les Nehirowisiwok, soit en la préservant et voir même en la renforçant notamment par la création de nouveaux chemins pour favoriser l’accès à certaines portions du territoire. Cette étude de cas a permis aussi de montrer comment le cadre de la collaboration a évolué dans le temps et pourquoi. Ce point est approfondi un peu plus loin.

La troisième étude de cas qui correspond à la fin de la période à l’étude, soit de 2010 à 2013, examinait la participation des Nehirowisiwok dans les processus de planification forestière concertée. Le processus à l’étude était les tables de gestion intégrée des ressources et du territoire (« tables de GIRT ») de la Mauricie et de Lanaudière. Elles découlent de la récente Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (L.R.Q. c. A-18.1). Ce type de processus se distingue des processus d’harmonisation dans le sens où les participants du processus sont multiples et variés (détenteurs de permis de ZEC, villégiateurs, municipalités, industrie forestière, etc.) où la communauté est représentée par un membre du conseil de bande au lieu de consultations directes auprès des familles nehirowisiwok. Les tables de GIRT sont coordonnées par des instances régionales, c’est-à-dire les Conférences régionales des élues (CRÉ) au départ et maintenant les MRC. Leur mise en place s’inscrit dans une volonté du ministère de décentraliser la gestion forestière en confiant la détermination des objectifs locaux d’aménagement aux « régions ». Outre les consultations publiques, les tables de GIRT sont l’outil privilégié du ministère pour tenir compte des préoccupations sociales et économiques lors de l’élaboration des plans d’aménagement forestier. Les Nehirowisiwok ont participé de façon plutôt continue aux travaux des tables de GIRT depuis leur implantation vers la fin de l’année 2010. Bien que leur participation affecte peu les recommandations adoptées par les membres des tables puisqu’ils participent en tant qu’observateurs, les retombées demeurent multiples et significatives. Par exemple, les informations échangées lors des rencontres ont permis aux représentants nehirowisiwok d’en apprendre davantage sur le nouveau régime forestier. Par ailleurs, la coexistence des processus d’harmonisation permettant déjà aux Nehirowisiwok de négocier des mesures dans le cadre la planification forestière expliquerait en partie la décision des Nehirowisiwok de collaborer aux travaux des tables de GIRT en tant qu’observateur.

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6.1.1 Les autres chemins empruntés par les Atikamekw Nehirowisiwok

Cette recherche n’a pas pu examiner en profondeur l’ensemble des voies empruntées par les Nehirowisiwok durant ces 25 dernières années. En effet, les Nehirowisiwok ont également eu la responsabilité de planifier et d’aménager le territoire. En guise de premier exemple, il y a les plans d’aménagement forestier que produisait le Service forestier atikamekw du CNA dans le cadre du Programme d’aménagement forestier des terres indiennes (PAFTI). En effet, ce programme fédéral réservé aux communautés autochtones a permis aux Nehirowisiwok de prendre en charge dans un premier temps la planification et l’aménagement du territoire forestier délimité à l’intérieur des « réserves indiennes ». Bien qu’il ait s’agit au départ de très petites superficies, le PAFTI a été modifié afin de permettre aux Nehirowisiwok d’étendre progressivement leur rôle en dehors de la réserve, surtout en matière de travaux sylvicoles non commerciaux (p. ex., le reboisement). Suite à une révision du régime forestier, les contrats et les conventions d’aménagement forestier ont été introduits afin de pouvoir déléguer aux communautés locales, incluant les communautés autochtones, la responsabilité de la gestion d’une partie du territoire public. Les trois Conseils des Atikamekw ont ainsi obtenu de telles responsabilités qu’ils ont confiées à leur tour à leurs « services forestiers ». Bien qu’ils s’agissaient encore de petites superficies à gérer comparativement aux territoires confiés aux bénéficiaires de CAAF, on ne peut pas affirmer que, durant ces 25 dernières années, la participation des Nehirowisiwok à la planification forestière s’est strictement limitée à être « informé » et/ou « consulté ». Un dernier exemple qui illustre bien cela est le Conseil d’Opitciwan qui dirige une scierie7 en partenariat avec l’entreprise Produits Forestiers Résolu.

Fondée à la fin des années 1990, elle illustre une autre facette très importante une autre forme partenariale de collaboration dans la planification et la gestion forestière qui n’a pas pu être étudiée en profondeur dans le cadre de cette recherche. Par ailleurs, il serait intéressant de creuser davantage les différences et les similitudes entre les processus d’harmonisation impliquant cette coentreprise versus les entreprises non autochtones.

Enfin, le processus de négociation avec les gouvernements fédéral et provincial représente actuellement le moyen privilégié pour les Nehirowisiwok de redéfinir leur place dans un régime forestier adapté comparable à celui des Cris. Toutefois, on peut se demander si les échecs répétés de la négociation ne représenteront pas un facteur potentiel pouvant mener les Nehirowisiwok à emprunter de nouveaux chemins encore peu explorés à ce jour (les poursuites judiciaires, la

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médiation et l’arbitrage) que d’autres nations autochtones (Cris, Innus, Micmacs) n’ont d’ailleurs pas hésité à fouler par le passé.

6.1.2 Les chemins inexplorés

Si on demande aux Nehirowisiwok s’ils ont atteint l’ensemble des objectifs qu’ils se sont fixés en regard de leur participation à la planification forestière, ils diront certainement qu’il reste encore beaucoup de chemins à faire. Avec un peu de recul, on peut constater qu’ils ont expérimenté à peu près toutes les facettes inimaginables de la planification et de l’aménagement du territoire. De la responsabilité d’élaborer les plans d’aménagement forestier à celle de l’appliquer sur le terrain et voir même négocier et réviser les plans élaborés par les entreprises forestières, les Nehirowisiwok sont devenus progressivement des acteurs incontournables en matière de gouvernance forestière et territoriale pendant la période à l’étude.

Toutefois, on retrouve au moins un aspect clé que les Nehirowisiwok n’ont toujours pas expérimenté à ce jour et c’est ce que certains appellent le « renforcement de la réglementation » (« regulation reinforcement ») (Beckley et Korber, 1996). Bien que ce fût le point de départ de leur mission, ils n’ont jamais participé directement à l’élaboration des normes, des règlements et des lois qui encadrent le processus de planification forestière. Plus encore, les premières modifications apportées à la Loi sur les forêts pour tenir compte de la « réalité autochtone » représentent de toute évidence des réactions à des « pressions extérieures » où d’autres acteurs autochtones de la scène canadienne ont lutté dans les arènes judiciaires pour faire reconnaître leurs droits (Calder et al. c.

Attorney-General of British Columbia, [1973]; R. c. Sparrow, [1990]; Delgamuukw c. Colombie- Britannique, [1997]).

Pour l’instant, les processus de « consultation distincte » menés par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs sont la principale porte d’entrée formelle que les Nehirowisiwok détiennent pour s’exprimer ponctuellement sur de tels aspects de la gestion forestière. Par contre, lorsque ce processus « formel » suscite trop d’insatisfactions, nous avons vu que les Nehirowisiwok n’hésitent pas le boycotter ou à emprunter d’autres moyens (p. ex., la désobéissance civile) pour faire avancer leur cause (chapitre 2).

En somme, il appert que les Nehirowisiwok ont privilégié certaines voies à d’autres au cours de la période à l’étude, que ce soit la négociation, la collaboration ou la contestation, pour atteindre leurs propres aspirations en matière de planification forestière. Il importe ainsi de souligner que la

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collaboration représente pour les Nehirowisiwok une voie parmi d’autres afin de faire reconnaître leurs intérêts et leurs préoccupations.

6.2I

NTERPRÉTATION SYNTHÈSE

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