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Il existe au Québec ce qu’on appelle des processus de consultation et d’harmonisation visant à concilier l’exploitation forestière avec les autres utilisations de la forêt incluant l’occupation et l’utilisation du territoire par les Premières Nations. Ces mécanismes ont été mis en place au tournant des années 2000 à la suite d’une révision de l’ancien régime forestier. Or, ce type de mécanisme n’est pas unique en son genre. Au cours des années 1990, les Premières Nations et les acteurs du secteur forestier ont exploré et expérimenté divers mécanismes de cogestion des ressources naturelles similaires partout au Canada et ailleurs dans le monde (Beckley, 1998; Beckley et Korber, 1996; McGregor, 2000; Natcher, 2001; Notzke, 1995; Pinkerton, 1993). Par exemple, Beckley et Korber ont examiné une expérience de cogestion en Saskatchewan s’étant déroulée à la fin des années 1990 et impliquant une entreprise forestière (Mistik) ainsi que plusieurs communautés autochtones. L’entreprise avait mis en place un comité aviseur afin de consulter la population sur les méthodes de gestion et de planification. Beckley et Korber ont observé que l’entreprise avait largement dépassé les exigences légales en matière de participation publique : « In several communities, board recommendations on cutblock size, cutblock and road location, and even harvest levels are being incorporated into Mistik’s annual operating plans. This results in changes in field level forest management to accommodate local community concerns » (Beckley et Korber, 1996 : 11). Par contre, ils ont remarqué que les représentants des communautés locales percevaient le comité comme un « point de départ » et non comme étant le « point d’arrivée » : « They hope the boards will evolve from advisory board to institutions with decision-making authority » (Beckley et Korber, 1996 : 11). Par conséquent, les auteurs ont conclu que « the success

or failure of the process will only become apparent with the passage of more time » (l’auteur qui

souligne, Beckley et Korber, 1996 : 14).

Pour sa part, McGregor a examiné les efforts du ministère des Ressources naturelles de l’Ontario pour impliquer les Premières Nations dans la planification forestière au sein d’un processus formel appelé « cartographie des valeurs autochtones » (Aboriginal values mapping). Selon McGregor, ce processus représente « one of the main mechanisms for representing [traditional knowledge] in forest management planning in Ontario » (McGregor, 2013 : 414). En 2000, elle avait conclu que ce mécanisme de cartographie avait donné peu de résultats étant donné la nature institutionnelle et systématique de certains enjeux (p. ex., idées préconçues chez les planificateurs forestiers

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concernant les valeurs autochtones) et que cela « will take some time to resolve » (McGregor, 2013 : 415). Dans un chapitre de Reclaiming Indigenous Planning dirigé par Walker et al. (2013), McGregor concluait à nouveau que les enjeux étaient demeurés sensiblement les mêmes en s’appuyant notamment sur les conclusions d’autres études similaires plus récentes comme celles de Larose (2009) et de Sapic et al. (2009).

Enfin, les travaux de recherche d’Hugo Jacqmain ont porté sur un modèle de gestion jumelant les connaissances traditionnelles cries aux connaissances scientifiques dans le cadre de la planification forestière : « la communauté crie de Waswanipi a développé un outil de gouvernance permettant de traduire leurs besoins d’utilisation du territoire dans les plans d’aménagement » (Jacqmain et al., 2012 : 631). Jacqmain et ses collègues ont remarqué par contre que peu de cas ont montré des résultats aussi appréciables. Ils mentionnent au moins cinq conditions essentielles qui expliqueraient selon eux le succès des Cris :

 Un accord spécifique définissant la place des Cris dans le processus de gestion;

 La volonté et l’ouverture d’esprit de la communauté locale et des gestionnaires non autochtones de collaborer ensemble, d’engager un dialogue interculturel, d’échanger des connaissances et d’embrasser des questions éthiques telles que la confidentialité des connaissances et les droits de propriété intellectuelle;

 Un mandat clair pour les deux parties de collaborer au processus participatif (c’est-à-dire l’approbation officielle des gouvernements autochtones et non autochtones) dans un contexte neutre;

 Les connaissances de la communauté autochtone sur le sujet d’intérêt (caribou); et

 Les opportunités politiques à mettre en œuvre et surveiller les alternatives de gestion proposées. (Adapté et tiré de Jacqmain et al., 2012 : 639)

Ainsi, cette étude de cas se penche à son tour sur l’expérience des Nehirowisiwok (« Atikamekw »). Au contraire des Cris, les Nehirowisiwok demeurent toujours à la poursuite d’une entente dans le cadre du processus de négociation territoriale qui s’est amorcé au début des années 1980. Par conséquent, il n’existe toujours pas d’entente similaire à la Convention de la Baie-James entre les Nehirowisiwok et les gouvernements du Canada et du Québec. Cela signifie que le régime forestier québécois représente le cadre législatif de la participation nehirowisiw au sein du processus de planification forestière. C’est dans ce contexte que les Nehirowisiwok participent depuis près d’une quinzaine d’années à la planification forestière par l’entremise du « processus d’harmonisation ». À l’instar du processus de cartographie des valeurs autochtones du ministère des Ressources naturelles de l’Ontario, l’objectif du processus d’harmonisation consiste à échanger de l’information sur les opérations forestières et à négocier des compromis et des « mesures d’harmonisation » pour atténuer leurs impacts sur l’occupation et l’utilisation du territoire par les Atikamekw Nehirowisiwok (Wyatt, 2004 et 2006). Par contre, c’est avec l’industrie forestière que

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les Nehirowisiwok ont dû collaborer et non avec l’État. En effet, l’élaboration des plans d’aménagement forestier (PAF) était la responsabilité des entreprises forestières jusqu’à l’adoption de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier en 2010.

Dans le cadre de cette thèse, le processus d’harmonisation est entendu comme un processus de collaboration émergent et dynamique dans le temps (voir chapitre 1). De plus, nous avons remarqué que peu d’études ont porté sur ce processus à ce jour à l’exception des travaux de Stephen Wyatt (Wyatt, 2004). Ainsi, il nous semble opportun de poursuivre le travail entamé il y a maintenant déjà 10 ans de cela. Le but de l’étude est de répondre à certaines questions qui demeurent sans réponses concernant la collaboration en tant que nouvelle pratique sociale et tout particulièrement sur son caractère évolutif et ses effets qui demeurent souvent interprétés comme le « cercle vertueux » de la collaboration (Ansell et Gash, 2007). Par rapport au processus d’harmonisation, on se demande s’il a donné les résultats attendus et satisfaisants pour l’ensemble des acteurs impliqués? De plus, est-ce que le processus d’harmonisation a évolué depuis sa mise en place? Et si oui, comment et quels sont les principaux facteurs externes et internes qui ont marqué son évolution? Enfin, quels sont les conditions favorables et les obstacles aux efforts de collaboration?

En somme, cette étude vise à (1) décrire les principales caractéristiques du processus d’harmonisation selon les acteurs, les modalités du processus ainsi que ses principaux effets; (2) examiner dans quelle mesure le processus d’harmonisation impliquant les Nehirowisiwok dans la planification forestière a évolué depuis 1990 jusqu’à 2013; (3) identifier et décrire les changements qui ont marqué l’évolution du processus d’harmonisation; (4) cerner et décrire les facteurs internes et externes qui ont influencé les changements identifiés; et enfin (5) décrire et expliquer les conditions et les obstacles à la collaboration.

Nous avons choisi d’étudier le processus d’harmonisation parce qu’il représente le principal mécanisme formel pour impliquer les Nehirowisiwok (et les autres Premières Nations du Québec sans traités) dans la planification forestière. Les données ont été recueillies grâce à une recherche documentaire et des entretiens semi-directifs. La recherche documentaire s’est déroulée principalement sur Internet et au Centre documentaire du Conseil de la Nation atikamekw (CNA). Les données collectées sont principalement des rapports d’activités, des comptes rendus, des procès-verbaux, des documents d’information, des articles de journaux et quelques ouvrages universitaires (Wyatt 2004 et 2006; Houde, 2012; Poirier, 2000). Les processus d’harmonisation demeurent par contre très peu documentés. Par conséquent, les entretiens semi-dirigés représentent

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le principal corpus sur lequel s’appuient les analyses. Vingt-quatre entretiens ont été menés variant en durée (de 40 à 180 minutes). Parmi les répondants de l’étude, on trouve 6 représentants de l’industrie forestière, 6 représentants du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) et de 3 à 4 représentants (nehirowisiw et consultant non nehirowisiw) par communauté nehirowisiw (voir tableau 4.1). Les participants ont été sélectionnés en fonction de leur expérience du processus d’harmonisation. Une liste de questions a été élaborée afin de guider l’entretien et a été adaptée en fonction de l’interlocuteur rencontré. Les principaux thèmes abordés étaient : Quel est votre rôle dans le processus d’harmonisation? Quel est l’objectif du processus d’harmonisation? Comment fonctionne-t-il? Quels sont les impacts que vous avez observés? Est-ce que des modifications ont été apportées au processus depuis que vous y participer et si oui, pourquoi? Est-ce que le processus a influencé vos relations avec les représentants de l’industrie forestière et du ministère responsable de la gestion forestière et si oui, comment?

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