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Dans une étude récente, Boyer et al. (2011) ont cherché à unifier la rhéologie des suspensions et des granulaires. Leurs travaux ont montré que les suspensions denses confinées ont un comporte-

ment global viscoplastique semblable aux milieux granulaires et que leur rhéologie est décrite par un unique paramètre Iv. Ce nombre visqueux s’écrit Iv= η ˙γ/Ppoù Ppest une pression de confinement.

Ce paramètre Iv peut être vu comme le rapport entre un temps caractéristique de cisaillement

˙γ−1 et un temps caractéristique visqueux η/Pp. Il est analogue au nombre inertiel I utilisé dans

les granulaires secs I = a ˙γpρp/Pp. En utilisant une cellule de mesure à pression imposée, Boyer

et al. (2011) montrent que le coefficient de frottement effectif µ et que la fraction volumique φ

sont contrôlés uniquement par Iv, soit µ = µ(Iv) et φ = φ(Iv) et ce, quelle que soit la pression de

confinement. Dans leur travail, seules des suspensions très denses (φ&0,45) – et donc de très petits nombres visqueux Iv– sont étudiées.

Cette section est dédiée à la comparaison de nos simulations avec les résultats expérimentaux de Boyer et al. (2011). Dans l’expérience, la pression de confinement Pp est imposée en appliquant

une force normale à la suspension via une plaque poreuse. Afin de s’approcher au mieux de cette configuration, il semble légitime d’identifier la pression de confinement expérimentale à la contrainte normale Σpy y. Plus précisément, nous avons considéré Σ

p

y y et Σcy y et trouvons un

meilleur accord avec les résultats expérimentaux en choisissant Pp = Σcy y. Ceci peut représenter

un élément supplémentaire allant dans le sens d’une caractérisation de la contrainte de contact par les expériences. Ainsi, en définissant Iv = η ˙γ/Σcy y dans les simulations, nos résultats de calcul

s’avèrent globalement suivre une courbe unique φ = φ(Iv), comme attendu d’après Boyer et al. (2011).

Evidemment, pour les régimes denses, nous avons Σpy y≈ Σcy y et la considération de Σcy y à la place de

Σpy yn’apporte que peu d’améliorations.

La Fig. 9.15 montre nos résultats en termes de φ(Iv). La courbe noire est celle proposée par Boyer

et al. (2011) pour fitter leurs résultats expérimentaux :

φ = φm

1 + In v

(9.5) avec φm=0,585 et n=0,5. La courbe verte en pointillés est un fit de Eq. (9.5) sur nos calculs et fournit

plutôt φm≈ 0,64 et n ≈ 0,4. Les points de simulation présentés compilent en fait l’ensemble de nos

différents résultats en termes de fractions volumiques, rugosités, coefficients de frottement, raideurs, etc. et seul l’aspect frottant/non-frottant a été identifié sur le graphique par un code couleur différent.

Fig. 9.15 – Fraction volumiqueφ en fonction de Iv pour des simulations avec des particules non-

frottantes (rouge) et frottantes (en bleu). La ligne noire représente un ajustement des résultats expérimentaux de Boyer, soit Eq. (9.5) avecφm=0,585 etn=0,5. La ligne verte en pointillés est une

régression des simulations, soit Eq. (9.5) avec φm=0,64 et n=0,4.

qui confirme la loi proposée par Boyer et al. (2011). Pour les régimes dilués cependant, il existe un écart entre nos calculs et les mesures, écart qui augmente avec Iv. Rappelons que ces résultats

expérimentaux sont obtenus dans le cadre de suspensions assez denses avec Ivdans la gamme 10−6

∼10−1 alors que nos simulations sont cantonnées à des nombres visqueux beaucoup plus grands 10−1∼101. Il est donc légitime de questionner la validité de la loi expérimentale aux très grands I

v. Les

résultats de calcul montrent que Eq. (9.5) reste valide mais avec des paramètres légèrement ajustés en régime plus dilué avec φm ≈ 0,64 et n ≈ 0,4. La relation Eq. (9.5) est obtenue de manière semi-

empirique en considérant la divergence de la viscosité près de la fraction volumique maximale et il est possible que les suspensions très diluées ne puissent être correctement modélisées par des lois obtenues à travers le comportement près du blocage. Le fait que notre régression fournisse φm

0,64, qui est la valeur φr c pde l’arrangement aléatoire le plus compact, est probablement fortuit.

La seconde loi constitutive s’applique au coefficient de frottement effectif µ (à ne pas confondre avec le coefficient de frottement dynamique µddu matériau) et défini par

µ = τ/Pp (9.6)

avec τ la contrainte de cisaillement τ = ηrη ˙γ. Ici encore, la pression Pp sera assimilée dans nos

simulations à la contrainte Σc

y y. Boyer et al. (2011) proposent de modéliser la loi de frottement par

la somme d’une contribution hydrodynamique µhet d’une contribution de contact µc par

µ(Iv) = µ1+ µ2− µ1 1 + I0/Iv | {z } µc + Iv+ 5 2φmI 1/2 v | {z } µh (9.7)

Les valeurs µ1=0,32 ; µ2=0,7 et I0=0,005 sont issues de résultats en milieu granulaire.

La Fig. 9.16 présente de la même manière que précédemment le coefficient de frottement effectif

µ(Iv). Les résultats de simulation se regroupent encore autour d’une courbe unique et ce, malgré

la diversité des configurations en termes de rugosité ou de coefficient de frottement par exemple. Comme pour φ(Iv), l’accord avec la loi expérimentale de Boyer (courbe noire) est plutôt bon malgré

cet écart récurrent constaté aux grands Iv. Encore une fois, il est possible que celui-ci provienne

de l’extrapolation de la loi expérimentale en régime dilué. La courbe verte en pointillés est une proposition d’un modèle qui sera décrit un peu plus loin.

Dans le but d’étudier cette loi de frottement dans les régimes dilués, nous avons analysé séparément la contribution hydrodynamique et de contact, respectivement définie par

µh=η hη ˙γ Σcy y (9.8) µc=η cη ˙γ Σcy y (9.9) Ce découpage est naturel du point de vue simulation mais reste très difficile expérimentalement. Ces deux contributions prises séparément peuvent ainsi être comparées aux expressions de µhet µc

proposées dans Eq. (9.7).

Les résultats de simulation sont présentés en Fig. 9.17(a) et Fig. 9.17(b) pour la partie hydrody- namique et la partie contact. Il apparaît d’après la Fig. 9.17(b) que la contribution de contact µcest en

bon accord avec le modèle Eq. (9.7). Notons que comme les Ivexplorés restent grands (en particulier,

Iv≫ I0), Eq. (9.7) se simplifie en µc≈ µ2=0,7. Cette bonne corrélation est intéressante car la valeur de

µ2est issue d’expériences en milieux granulaires. Ceci signifie que la contribution de contact dans un

granulaire ou une suspension diluée reste similaire. Le coefficient de frottement effectif de contact

Fig. 9.16 – Coefficient de frottement effectif µ = τ/Σcy y fonction de Iv pour des simulations avec

des particules non-frottantes (rouge) et frottantes (en bleu). La ligne noire représente un ajustement des résultats expérimentaux de Boyer, soit Eq. (9.7) avec φm=0,585. La ligne verte en pointillés est

le modèle Eq. (9.12) avec φm=0,64 et n=0,4.

donnant que µ2≈ 0,8 – en tout cas pour ces valeurs fortes de Iv. Même à φbul k=0,5, le régime n’est

pas encore assez dense pour pouvoir proposer un modèle plus fin de µcsur toute la gamme de I vet

seule la valeur haute µ2peut être déduite des simulations présentes.

Pour des suspensions diluées ou semi-diluées, la contribution la plus importante provient de l’hydrodynamique comme l’indique clairement la Fig. 9.17(a) (noter la différence d’échelle avec Fig. 9.17(b)). En fait, le modèle Eq. (9.7) prédit l’égalité µc

= µh pour Iv ≈ 10−1, soit φ ≈ 0,45.

Ainsi, pour les systèmes dilués, il est primordial d’améliorer la modélisation de la contribution hydrodynamique µh; c’est ce qui fait l’objet des développements suivants.

Fig. 9.17 – Coefficient de frottement effectif hydrodynamique µh (a) et de contact µc (b) en fonction de Iv pour des simulations avec des particules non-frottantes (en rouge) et frottantes (en

bleu). La ligne noire représente un ajustement des résultats expérimentaux de Boyer, soit Eq. (9.7) avecφm=0,585. La ligne verte en pointillés est le modèle Eq. (9.12) avecφm=0,64 et n=0,4.

Nous avions précédemment remarqué en §9.2 que l’approximation ηh

≈ ηr∞ reste très bonne

infinie ηr

∞est facilement accessible et les simulations du chapitre sur les validations ont montré que

cette viscosité pouvait être correctement modélisée par

ηr= (1 − φ

φm

)−[η]φm (9.10)

avec [η] ≈ 2,32 et φm ≈ 0,68. L’approximation ηh ≈ ηr est alors utilisée en combinaison avec la

relation Eq. (9.10) puis est injectée dans Eq. (9.5) pour fournir

µh= Iv µ 1 −φm φm 1 1 + In v−[η]φm (9.11) Notons que lorsque Ivest grand, et en prenant φ

m≈ φm, cette expression se simplifie en

µh= Iv+ [η]φmI1−nv (9.12)

ce qui redonne le modèle de Boyer Eq. (9.7) avec un léger changement d’exposant, soit 1-n=0,6 à la place de 0,5 dans le modèle d’origine. C’est cette loi qui était tracée en Fig. 9.17(a) et Fig. 9.16 (en y rajoutant µc) et qui permet un meilleur accord avec nos simulations pour les fractions volumiques

faibles.

Les résultats précédents Fig. 9.15 à Fig. 9.17 reprenaient l’ensemble de nos simulations pour illustrer le fait que celles-ci se superposaient relativement bien sur une courbe maîtresse unique et ce, indépendamment de la nature des particules (rugosité, frottement, raideur, ...). Bien que l’accord global reste bon, il existe toutefois quelques dispersions et les points ne s’agencent en fait pas exactement sur une courbe unique. En d’autres termes, les calculs suggèrent qu’il existe un effet – limité – des caractéristiques des particules. Parmi les paramètres étudiés, le frottement s’avère jouer le rôle le plus important.

La Fig. 9.18 reconsidère les résultats de φ(Iv), déjà présentés en Fig. 9.15, mais en ne retenant que

les particules non-frottantes (µd=0) et frottantes avec µd=0,5 et une rugosité ξr ug=5.10−3.

Fig. 9.18 – Fraction volumique φ en fonction de Iv pour des simulations avec des particules non-

frottantes (rouge) et frottantes µd=0,5 (en bleu). La rugosité réduite vaut ξr ug=5.10−3. La ligne

noire représente un ajustement des résultats expérimentaux de Boyer, soit Eq. (9.5) avecφm=0,585

etn=0,5.

Les écarts mentionnés précédemment se distinguent assez nettement ici et montrent que, stricto

pas noté dans les résultats expérimentaux de Boyer et al. (2011) d’une part du fait de la difficulté expérimentale de faire varier notablement le coefficient de frottement et peut-être d’autre part, parce que des nombres Iv très faibles sont considérés, régime dans lequel le frottement pourrait avoir un

rôle différent. Il est toutefois intéressant de constater que les simulations avec frottement sont plus proches de la corrélation expérimentale, suggérant que ce frottement est effectivement à l’œuvre dans les suspensions. Ceci est particulièrement le cas pour les fractions volumiques les plus hautes. Une régression sur les résultats µd=0 et µd=0,5 fournit respectivement φm≈ 0,69 et φm≈ 0,62 et donc

une valeur de φmen frottant se rapprochant de la mesure (φm≈ 0,585).