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Au tout début de la partie numérique de ce manuscrit, nous avons dressé un aperçu des méthodes de simulation et souligné que, bien qu’extrêmement précieuses, les méthodes résolues à l’échelle de la particule – celles-là même que nous utilisons en ce moment – s’avèrent beaucoup trop coûteuses en temps calcul pour être utilisées dans des configurations industrielles. Il est nécessaire dans ce cas de recourir à des modèles continus où la suspension est assimilée à un fluide homogène possédant des lois constitutives spécifiques. Nous avons par exemple déjà évoqué le SBM ("Suspension Balance

Model") de Morris et Boulay (1999). Dans ce modèle, le tenseur des contraintes particulaires Σp est

modélisé par Σp= −η ˙γQ + 2ηηrE (9.1) avec Q = ηpn   1 0 0 0 λp2 0 0 0 λ3p   (9.2)

où ηpn est la viscosité normale et λ p

2 et λ

p

3 sont des paramètres d’anisotropie λ

p 2 = Σ p y yp xx et λ3p= Σpzzp

xx. L’exposant p est là pour rappeler que ces paramètres sont calculés à partir du tenseur

particulaire Σp.

Du fait de l’absence de données expérimentales, Morris et Boulay (1999) proposent des coeffi- cients d’anisotropie constants λp2 ≈ 0,8 et λ3p≈ 0,5. Le SBM repose sur l’idée que le comportement global de la suspension est contrôlé par la contrainte particulaire Σp. Cependant, cette hypothèse

est actuellement controversée et la nature exacte du tenseur des contraintes à introduire dans le modèle reste incertaine. En particulier, Lhuillier (2009) et Nott et al. (2011) ont montré qu’il serait théoriquement nécessaire de considérer un tenseur s’apparentant plutôt à la contribution du contact à la contrainte particulaire, à savoir Σc, plutôt que Σp. Cette possible faille théorique dans le SBM n’a

en fait que peu de conséquences sur les capacités prédictives du modèle et ce, pour deux raisons. La première tient au fait que les paramètres d’anisotropie sont choisis par Morris et Boulay (1999) de manière à retrouver certains résultats expérimentaux de migration. Du coup, leur origine physique exacte est de peu d’importance pour les prédictions du modèle. La seconde est que – comme nous l’avons montré – la contrainte de contact est la contrainte prédominante dans les suspensions concentrées et que l’hypothèse Σp

≈ Σcest relativement correcte.

Dans cette partie, nous exploitons nos résultats de simulation pour étudier les paramètres du SBM, à savoir la viscosité normale et les paramètres d’anisotropie. Le but reste toujours d’étudier le rôle du frottement sur ces grandeurs mais aussi de contribuer à analyser si le choix de la contrainte de contact dans le modèle est plus pertinent que la contrainte particulaire. Les mesures expérimentales directes des paramètres du SBM sont très peu nombreuses (Dbouk et al., 2013; Zarraga et al., 2000) car il est nécessaire de caractériser simultanément les trois composante normales du tenseur de contrainte. De surcroît, il n’existe pas d’arguments théoriques solides pour déterminer si les expériences mesurent effectivement Σp– comme on le suppose généralement – ou la contribution

du contact Σcou encore un autre tenseur.

Les résultats obtenus pour les paramètres d’anisotropie λp2 = Σpy yp xx et λ p 3 = Σ p zzp xx sont

présentés en Fig. 9.12 pour des particules non-frottantes (µd=0) et frottantes (µd=0,5). Pour les

particules non-frottantes, nos simulations sont proches de celles de Yeo et Maxey (2010b) avec une évolution linéaire modérée de ces paramètres. Le frottement a ici un effet assez modeste et ne contribue qu’à une légère augmentation de λp2 et λp3. Les valeurs obtenues restent dans tous les cas proches de celles utilisées dans le SBM. Cependant, les calculs suggèrent que les λpi ne sont pas constants et qu’il existe une dépendance en φ.

Du point de vue expérimental, le paramètre λp2 augmente linéairement avec φ mais avec des valeurs sensiblement supérieures à celles prédites. Au contraire, les λp3 mesurés sont quasiment constants autour de 0,5 qui est la valeur introduite par Morris et Boulay (1999) dans leur modèle pour expliquer l’absence de migration en écoulement torsionnel.

La Fig. 9.13 présente des résultats similaires mais pour les paramètres d’anisotropie de contact, définis par λc

2= Σcy ycxxet λc3= Σczzcxx. Ces paramètres – qui n’existent pas dans le modèle original –

sont censés remplacer les λpi usuels dans l’éventualité où la contrainte de contact devrait être utilisée en lieu et place de la contrainte particulaire dans le SBM. Sur cette figure sont également ajoutés les points expérimentaux de Dbouk et al. (2013). Ce sont les mêmes que ceux déjà présentés en Fig. 9.12 dans la mesure où il n’est pas clair s’ils représentent plutôt Σpou Σc.

Il est intéressant de constater que l’accord entre λc

isimulés et mesurés est largement amélioré. Il y

a en particulier une très bonne corrélation pour λc

3qui est trouvé relativement constant et proche de

0,5 pour toutes les fractions volumiques. La valeur de λc

2est également plus proche des expériences

même si l’évolution semble différente puisque les λc

2calculés diminuent avec φ. Comme pour les λ

p i,

l’effet du frottement sur les λc

Fig. 9.12 – Paramètres d’anisotropie λp2 (a) et λp3 (b) en fonction de la fraction volumique pour µd=0 et µd=0,5. La rugosité réduite vaut ξr ug=5.10−3. Sont également présentées des simulations

de Yeo et Maxey (2010b) (µd=0) et des mesures de Dbouk et al. (2013). Les lignes en pointillés

représentent les valeurs utilisées dans le SBM de Morris et Boulay (1999).

Fig. 9.13 – Paramètres d’anisotropie de contactλc2(a) etλc3(b) en fonction de la fraction volumique pour les coefficients de frottement µd=0 et µd=0,5. La rugosité réduite vaut ξr ug=5.10−3. Sont

également présentées des mesures de Dbouk et al. (2013) (les mêmes qu’en Fig. 9.12). Les lignes en pointillés représentent les valeurs utilisées dans le SBM de Morris et Boulay (1999).

et Boulay (1999) dans leur modèle. Le fait que les paramètres λc

i soient en bien meilleur accord avec

les expériences que les λipest troublant. Toutefois, ce résultat seul n’est pas suffisant pour conclure sur le fait que les expériences mesurent la contrainte particulaire de contact plutôt que la contrainte particulaire totale.

La viscosité normale ηpn et la viscosité normale de contact ηcn obtenues par simulation sont

présentées en Fig. 9.14 avec des mesures de Dbouk et al. (2013). Ces données expérimentales sont dupliquées sur les deux figures Fig. 9.14(a) et Fig. 9.14(b) du fait de l’incertitude récurrente sur leur signification physique. Des résultats de simulation de la littérature (Yeo et Maxey, 2010b) sont également proposés (disponibles uniquement pour ηpn et sans frottement), résultats avec lesquels nos calculs s’accordent bien.

ment avec le frottement, comme cela était déjà le cas pour la viscosité relative de cisaillement ηr.

Seule la prise en compte du frottement (µd=0,5) dans les simulations permet de retrouver un bon

accord avec les mesures, que ce soit pour la viscosité normale ηpn ou la viscosité normale de contact

ηcn. Il s’agit encore une fois d’une preuve supplémentaire du rôle important que revêt le frottement dans les suspensions concentrées.

Le rapport ηc n/η

p

n peut être évalué à partir de ces résultats et l’on trouve que ce dernier est

relativement constant pour φ&0,3 avec ηc n/η

p

n ≈ 0,8, valeur qui n’est d’ailleurs que peu modifiée

par le frottement. Ceci confirme encore une fois que la contrainte de contact semble prédominer dans les suspensions denses.

Morris et Boulay (1999) proposent une corrélation empirique pour la viscosité normale qui est donnée par ηpn= Kn µ φ/φ m 1 − φ/φm ¶2 (9.3) avec Kn=0,75 et φm=0,68. Pour des questions de clarté, nous n’avons pas tracé cette courbe sur la

Fig. 9.14, mais si tel avait été le cas, cette loi aurait été très proche des résultats de simulation pour des particules non-frottantes, c’est-à-dire une sous-estimation forte de la viscosité expérimentale. Un fit de ηpnpour nos résultats frottants (µd=0,5) fournit plutôt Kn=1,69 et φm=0,61.

Fig. 9.14 – Viscosité normale ηpn (a) et viscosité normale de contact ηcn (b) en fonction de la

fraction volumique pour µd=0 et µd=0,5. La rugosité réduite vaut ξr ug=5.10−3. Des simulations

de Yeo et Maxey (2010b) (µd=0) sont ajoutées en (a). Les points expérimentaux de Dbouk et al.

(2013) sont identiques en (a) et en (b).

La pression particulaire de contact peut être exprimée en fonction de ηc npar Πc= ηcnη ˙γ 1 + λc 2+ λc3 3 (9.4) d’où Πc

∝ ηcn. Il est apparent d’après Fig. 9.14(b) que Πc croît nettement avec le frottement, d’un

facteur 2 entre µd=0 et µd=0,5 à φ=0,4. Comme nous l’avions souligné auparavant en §9.4, cette

augmentation de Πctraduit une élévation du niveau de force normale exercée sur les particules.