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3.3. Les Dane-zaa et le gouvernement fédéral canadien

3.3.2. Revendications territoriales et contestations

Ainsi que nous venons de le voir, les Dane-zaa, par la signature du Traité 8 censé garantir leurs droits fondamentaux de chasse, de pêche et de piégeage, se trouvent pris sous la houlette du gouvernement fédéral canadien par le truchement de la Loi sur les Indiens

67 promulguée en 1876. À la suite de ce Traité, la Fort Saint John Beaver Band, nouvellement renommée, fut dans l‟obligation de proposer un emplacement afin qu‟une réserve où elle pourrait s‟établir soit créée. Ses membres choisirent le lieu connu sous le nom de Suu Na

Chii K’ Chi Ge, « The Place Where Happiness Dwells » (Ridington, 1988 ; Ridington

2012 : 32 ; Ridington, 2013 ; Roe, 2003 : 116 ; Hennessy, 2010 : 298), un site de rassemblement estival d‟une grande importance culturelle pour l‟ensemble des Dane-zaa de Colombie-Britannique qui retrouvaient là leurs proches, chassaient l‟ours, le chevreuil, cueillaient des baies et dansaient les Tea Dance (Roe, 2003 : 121 ; Doig River First Nation, 2007). Lors d‟une de nos discussions, une aînée s‟est souvenue du cercle de danse : en mettant ses mains l‟une au-dessus de l‟autre, elle me désigna la profondeur du sillon – une vingtaine de centimètres – creusé par les danseurs pas après pas (Journal de terrain II, 16 août 2012). Suu Na Chii K’ Chi Ge, baptisée Montney Reserve, du nom du chef Montney (Madaay ), était un espace de « 18,168 acres of rolling prairies, seven miles north of Fort St. John », situé sur la route qui mène à Doig River et qui fut enregistré le 11 avril 1916 sous le nom d‟I.R. #172 (Roe, 2003 : 116).

Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement canadien fit pression pour que Montney Reserve soit cédée. Il parvint à ces fins car le 22 septembre 1945, l‟endroit était déclaré en vente ou à louer (Roe, 2003 : 116; Aah Nane, Doig River First Nation TLE News, 2012). Trois ans plus tard, en 1948, le Département des Vétérans en devint le propriétaire et y installa les soldats revenus du front; une action d‟autant plus fructueuse puisqu‟en 1949, d‟importants gisements de pétrole et de gaz naturel y furent découverts32. L‟année suivante, les Dane-zaa, placés devant le fait accompli, furent contraint de s‟installer à Alááʔ Sat d (Peterson‟s Crossing)33 sur la Beatton River à quinze kilomètres de l‟actuelle communauté de Doig River (Doig River First Nation,

32 Le site internet de Doig River, Dane Wajich, Dane-zaa stories and songs : Dreamers and the land, propose

une version contraire : c‟est la découverte, en 1940, de gisements de pétrole et de gaz naturel qui précipita la cession de Montney Reserve.

33 Alááʔ Sat d , « Where the raft is » porte le nom anglais de Peterson‟s Crossing en raison du trappeur et

marchand Ernie Peterson qui, dans les années 50, possédait un commerce sur une des collines au sud de la rivière où il échangeait diverses denrées contre des fourrures. La tradition orale nous dit qu‟il vivait dans une grotte creusée à l‟aide de ses propres mains avant de bâtir son magasin. On peut encore accéder à ce dernier aujourd‟hui grâce au même chemin forestier de terre battue que les Dane-zaa utilisaient à l‟époque et admirer ce qui reste de l‟ancienne bâtisse en rondins de bois (Journal de terrain I, 24 juin 2012 ; Journal de terrain II, 3 septembre 2012 ; Ridington, 2013 : 289).

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2007). Il fallut ensuite attendre trente ans pour que les membres de l‟ancienne Fort Saint John Beaver Band, séparée à partir de 1978 en Doig River First Nation (I.R. #206) et Blueberry River First Nation (I.R. #205), puissent accéder à la justice. Au cours des années suivantes, les Dane-zaa et en particulier, l‟ancien chef, actuel conseiller de Doig River, Gerry Attachie, rassemblèrent des informations et constituèrent un dossier puis allèrent déposer leur plainte contre le gouvernement canadien sous le titre : « JOSEPH APSASSIN,

Chief of the Blueberry River Indian Band, and JERRY ATTACHIE, Chief of the Doig River Indian Band v. HER MAJESTY THE QUEEN IN RIGHT OF CANADA as presented by the Department of Indian Affairs and Northern Development and the Director of the Veteran’s Land Act » auprès de la Cour fédérale en 1988 qui rejeta, même au terme de la session

d‟appel en 1993, leur réclamation (Ridington, 2013 : 310 ; Roe, 2003 : 116). Les poursuites judiciaires se soldèrent en 1995 par la décision de la Cour Suprême canadienne qui trancha en faveur des Dane-zaa; ils reçurent une compensation de 147 millions de dollars canadiens pour la perte de leur ancienne réserve et des droits sur les ressources minérales présentes sur cet espace (Roe, 2003 : 117; Doig River First Nation, 2007). Cette somme permit de construire des infrastructures à Doig River dont le centre communautaire ainsi que le terrain de rodéo où se déroule chaque année, à la fin du mois de juillet, le Doig River Rodeo34 (Doig River First Nation, 2007).

Le British Columbia Treaty Land Entitlement (BC TLE) est une des principales revendications territoriales encore irrésolues aujourd‟hui qui oppose la Doig River First Nation aux gouvernements provinciaux de Colombie-Britannique et d‟Alberta. Tout comme celle de Montney Reserve, les réclamations du BC TLE prennent racine au début du XXe siècle, en 1914, au moment de la création de l‟ancienne réserve Montney. Le Traité 8 stipulait que la taille de la réserve créée suite à sa signature serait proportionnelle à la population, chaque membre recevant 128 acres de terrain (environ 518 m²) (Roe, 2003 ; Ridington et Ridington, 2006a : 104-105). Or, à l‟époque du recensement, les Dane-zaa vivaient encore de façon semi-nomade et bien des personnes n‟étaient pas présentes, ce qui fit commettre aux agents du gouvernement une erreur sur la dimension du territoire alloué :

69 Montney était trop étroite (Aah Nane, Doig River First Nation Treaty Land Entitlement News, 2012 : 8-9).

Le British Columbia Treaty Land Entitlement rentre dans la catégorie des revendications territoriales particulières puisqu‟il se fonde sur « le non-respect des traités ou la mauvaise administration des fonds des Indiens ou des terres de réserves » (Dupuis, 1998 : 81 ; voir aussi Schulte-Tenckhoff, 1997). C‟est en 1999 que la Doig River First Nation dépose son projet, accepté cinq ans plus tard par le gouvernement canadien et six ans plus tard par le gouvernement provincial de Colombie-Britannique. Parallèlement, au cours de l‟année 2005, la Doig River First Nation a complété des études généalogiques, projet auquel participa l‟anthropologue Robin Ridington ainsi que sa conjointe Jillian afin d‟appuyer leurs réclamations. À partir de 2005, les revendications du BC TLE s‟étendent à la province de l‟Alberta. Les lieux et endroits spécifiques concernés par le BC TLE me sont impossibles à communiquer dans ce mémoire en raison de la confidentialité des informations. Tout ce que je peux dire c‟est que ces revendications permettraient de reprendre au gouvernement des espaces familiaux, historiques et identitaires chers aux Dane-zaa situés aussi bien en Colombie-Britannique qu‟en Alberta qui passeraient du statut de terres publiques à celui de terres de réserve.

Depuis une trentaine d‟années, la compagnie Hydro Colombie-Britannique, à la suite du W.A.C Bennet Dam, tente de construire le Site C Dam, projet herculéen de barrage qui serait érigé sur la Peace River au sud-ouest de Fort Saint John. On ne connaît malheureusement que trop bien les dégâts irréparables provoqués par la construction de ces infrastructures (voir Poirier, 2001 et Windsor & McVey 2005) et le Site C Dam n‟échappe pas à la règle. Son installation serait une véritable catastrophe écologique, historique et économique puisque les eaux retenues inonderaient une grande partie de la vallée de la rivière et donc de très nombreuses cultures de céréales et de colza d‟une valeur d‟environ 59 millions de dollars, des sites historiques (Rocky Mountain Fort), ainsi que des terres utilisées pour la chasse et la pêche et des lieux de mémoire d‟une grande valeur culturelle pour les Dane-zaa dont la tombe de Chief Attachie, signateur du Traité 8 qui mourut de la grippe espagnole en 1918 et repose sur un plateau herbeux qui domine la confluence de la

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Peace et de la Halfway River, (Yearwood-Lee, 2007 : 4 ; Attachie et Hoffman, 2010 : 1,2 ; Journal de terrain II, 13 juillet 2012).

Des protestations fermes mais pacifiques tentent d‟enrayer le projet d‟Hydro Colombie- Britannique. L‟une de ces initiatives, la « Paddle for the Peace », se tient chaque année au milieu de l‟été : dans une ambiance festive et joviale, une flotte de canots de couleurs vives prend son départ depuis Bear flat non loin de la tombe de Chief Attachie et descend le cours de la Peace River. Le 14 juillet 2012, pour sa septième édition, l‟événement a rassemblé 800 personnes dont plusieurs membres de la Treaty 8 Tribal Association, des communautés Dane-zaa de Colombie Britannique – comme le chef de la West Moberly Lake First Nation, Roland Wilson – et un invité de marque, l‟environnementaliste David Suzuki, venu de Vancouver pour soutenir le mouvement (Journal de terrain II, 14 juillet 2012).