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La Peace River Country où est installée la communauté dane-zaa de Doig River est une zone de faible élévation, au pied des Montagnes Rocheuses (Tse nachii, « Big Rocks ») dont l‟on peut apercevoir les sommets en se dirigeant vers la West Moberly First Nation, à environ deux heures à l‟ouest. Pas de grands pics rocheux ni de monts abrupts mais de petites collines bombées en pente douce qui dominent des vallons peu profonds. Le tout forme la physionomie d‟un territoire appartenant géographiquement à la zone de prairie et dont l‟attitude ne dépasse pas les 1000 mètres. Cet espace vallonné est irrigué par un imposant réseau hydrographique. Aux grands bassins que sont les lacs Fraser, le réservoir Williston, Cecil Lake, Charlie Lake et Chinchaga Lake s‟ajoutent les rivières aux eaux ferrugineuses dont la Peace River, la Doig River, la Beatton River44, la Blueberry River, la Chinchaga River – qui prend sa source en Alberta –, la Prophet River et la Sikanni River au nord.

Il s‟agit d‟un milieu pour l‟essentiel forestier composé de marais, de tourbières où poussent le thé du labrador (Rhododendron groenlandicum) et des espèces d‟arbre caractéristiques telles le bouleau, sapin, épinette, saule, et le peuplier-faux tremble – ce dernier étant particulièrement abondant – et de baies comme l‟amélanchier, la viorne trilobée (pimbina), le bleuet et la canneberge. La prairie est le second milieu présent et elle devait autrefois recouvrir une grande partie de la zone comme le suggère le toponyme dane- zaa N tl‟uk (« End of the Flats ou « End of the Prairie ») sur l‟Osborne River au nord de la communauté.

44 La rivière Beatton, comme bien d‟autres, doit son nom à Franck ou Johnny Beaton respectivement père et

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La région a toujours été renommée pour son gibier abondant ; une réputation qui a traversé les frontières. Parmi les cervidés, l‟orignal (Alces alces) est le plus répandu et le plus chassé tout comme le cerf de Virginie (Odocoileus virginianus) qui n‟hésite pas à s‟aventurer jusque dans les champs de céréales pour se repaître des premières moissons. Le wapiti (Cervus canadensis) est également présent mais reste rare et timide ; le caribou (Rangifer tanrandus) quant à lui se déplace le long de sa route migratoire plus au nord. Parmi les autres animaux emblématiques, on compte l‟ours noir (Ursus americanus), le grizzly (Ursus arctos horribilis), le castor (Castor canadensis), le lynx (Lynx canadensis), les martres et le porc-épic (Erethizon dorsatum) qui, lui aussi, tend à se raréfier. Pour en apercevoir, il est plus sage de se rendre dans des lieux davantage isolés comme les montagnes.

4.1.2. Les exploitations pétrolières et gazières

Depuis que le premier puits a été creusé en 1942, les compagnies pétrolières et gazières n‟ont cessé d‟étendre leurs exploitations jusqu‟à devenir une des composantes majeures du paysage. Les prophéties de Charlie Yahey qui, dans les années 60, affirmait que des « allumettes géantes » et des « serpents géants » allaient envahir le territoire dane-zaa se sont réalisées : les derricks noir charbon dans les champs de colza et de céréales ou au milieu des peupliers se balancent dans un mouvement éternel et imperturbable ; les oléoducs et les gazoducs serpentent à travers bois ; et c‟est sans compter les odeurs de souffre qui soulèvent le cœur dès que l‟on s‟en approche à pied ou en véhicule et les vrombissements assourdissants des ventilateurs. La nuit tombée, on repère les installations de l‟œil grâce aux tours de combustion des gaz dont les flammes se détachent dans le ciel noir.

Les Dane-zaa expliquent cette présence grâce aux histoires léguées par leurs ancêtres qui continuent de les guider dans leur présent et leur futur. Charlie Yahey déclarait que le pétrole était la graisse des Animaux Géants que Tsááyaa tua et envoya sous terre. De nos jours, certains membres de Doig River affirment que ces derniers sont réapparus sous la forme des compagnies de pétrole et des installations qui polluent et contaminent humains et

81 animaux tout en détruisant le paysage. Même Mosquito Man a trouvé sa place : « Now I turn Mosquito Man into the Health and Safety inspector for the pipeline company. He‟s going to bug till you get it » (Dane-zaa 10, 6 septembre 2012). Selon ce même participant, Tsááyaa devrait revenir pour nettoyer le territoire de la présence de ses Animaux Géants modernes.

Placés devant les faits accomplis, les Dane-zaa ont dû s‟accommoder de la présence des compagnies de pétrole et de leurs activités sur leur territoire. Mais ils ont également su réagir en créant une zone45 laquelle oblige les compagnies pétrolières souhaitant se lancer à la recherche de nouveaux gisements à consulter les communautés au préalable. Malheureusement, à en croire plusieurs des membres de Doig River, cette consultation reste hypothétique : « when we ask them not to drill, they do it anyway » ainsi que le disait la conseillère Madeline Oker.

Les dégâts sur le territoire sont partout visibles et fort nombreux. On ne compte plus les sites ancestraux et historiques autochtones perturbés, voire carrément rasés.

Hum, destroyed all you said this river that the main thing, „cause there used to have an oil across huh, back in Peejay they had, used to call it the dam there, oil site was just you know, they had a dam. It was a good fishing in there. When you sit and watch you can see the coming out over this thing. They remove that dam because it‟s an environmental hazard but it‟s been there for years so yeah, when they pull that all out, it pretty much changed that all river there so now there‟s like barely any fish over there so I don‟t even fish in Peejay anymore, I used to. Yeah, hum totally destroy that (Dane-zaa 5, 21 août 2012).

45 Chaque communauté dane-zaa de Colombie-Britannique possède une zone de consultation. Dans les limites

de celle de Doig River, les chiffres sont éloquents : 8156 puits de pétroles et de gaz ont été creusés. 1/3 de l‟espace est composé de terres privées (Journal de terrain, 23 juillet 2012). Ici s‟arrêtent les informations que je peux communiquer, le reste étant classé confidentiel.

Figure 6 : Pipeline près de Chinchaga. Paul Bénézet (2012).

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À cela s‟ajoute les exemples de pollution et de contamination provoquées par des équipements obsolètes laissés à la rouille et au temps. Les habitants de Doig River, en contact quotidien avec leur territoire, ont participé à de multiples études de terrain organisées par la communauté afin de documenter la dégradation de l‟environnement et construire des dossiers, preuves à l‟appui, dans l‟espoir d‟imposer normes et règlements aux compagnies d‟exploitation (Oker, 2008). Plusieurs des participants se sont exprimés sur la question.

One time I was hunting too, hum I was shooting deer and I don‟t know, I‟ve never seen that on a deer but it looked like it had it. Likes, his eyes here, and he was breathing here... looks like this. I didn‟t eat that one [...] It was like, I don‟t know, he like he‟s a mutated. He mutated, he‟s... Like I‟ve never seen a breathe out of the like, he was like their eyes here and there was a sled here and it opened, here on his nose like this. „Cause I shot him and he‟s lying, he‟s breathing, he‟s doing that. I ended up taking that to the SPCA. Yeah almost like that (Dane-zaa 5, 21 août 2012).

I think that, sometimes if you get a moose right? Sometimes it looks like it‟s sick, it‟s got, spots on the liver and… It‟s probably got infected by the Oil and Gas heh. Sometimes you see that. And too animals, they‟re probably like human beings to get disease sometimes. But since the Oil and Gas I think huh, it probably cost a lot of, lot of damage to the wildlife. (Dane-zaa 3, 24 juillet 2012).

If you stay close to the oil well and sleep in it, of course you gonna get high, because of the gas. The animals they breathe the same air that we‟re breathing and they get high and pretty soon they get addicted to it. They hang around the oil wells. And all these, they get disease up from these, these huh contaminated soil, water, we have lots of pictures of them, this, that oil spell that we have caribou eating that moss they dig in there, they‟re going nuts „cause they get high, among these gas (Dane-zaa 9, 4 septembre 2012).

Oh yeah like huh, like there‟s when you got to skin it if you kill, they‟ll be, like spot on him that shouldn‟t be. It just tells us that he‟s no good and he damaged up him. The hair will be pulling off you know when you go to skin it, you pull like this and the skin, the hair falls off, there‟s something wrong (Dane-zaa 13, 10 septembre 2012).

And out on the land is huh, when you see water running, like clean water and it‟s huh, good to see but nowadays with all the activities around, around our community, there‟s not too many place that maybe a few place that you can go out and see, out on the land, you see clear water but you have to nowadays what does, you have to think “should I drink it or leave it?”. But usually I drink it

83 because even myself I just, what do you come, I make sure, what do you come where this creek is running, I wanna know. I think ahead where it‟s coming from. If there is any like activity, well sites that connected to the water (Dane- zaa 12, 9 septembre 2012).

Ces dégâts menacent non seulement la santé des Dane-zaa mais également la relation qu‟ils entretiennent avec leur territoire et les animaux car le gibier abattu que l‟on constate malade n‟est pas consommé mais laissé sur place. Dans le même temps, les compagnies de pétrole et de gaz fournissent de nombreux emplois aux membres de la communauté, souvent essentiels dans certains cas et les routes sont employées pour la chasse. Il y aurait un juste équilibre à trouver et c‟est pourquoi les Dane-zaa élèvent leurs voix afin d‟être considérés comme des partenaires et non comme victimes du développement économique de la région.

4.2. Le territoire : espace de vie, lieu d’échanges