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3.2. La population Dane-zaa

3.2.2. Changements et événements récents

Parmi les changements dignes de mention, notons l‟adoption du cheval, comme moyen de déplacements sur le territoire. Autrefois, les déplacements sur le territoire se faisaient principalement à pied, accompagnés des chiens employés pour le transport des biens matériels, puis à dos de cheval, à partir de son introduction à l‟arrivée des Blancs ou encore en charrette tractée par une équipe de chevaux dès les années 50 (voir aussi McIlwraith, 2012). Les ainés ont largement mentionné l‟usage des chevaux comme moyen de transport majeur pour eux-mêmes et le matériel, leur utilisation pour la chasse et le transport de la viande découpée. Tout le monde montait à cheval, jeunes et vieux, hommes et femmes ; ma mère adoptive se rappelait un soir son enfance et m‟expliquait qu‟elle l‟employait chaque jour. À l‟époque, nombreux étaient ceux qui en possédaient. Depuis, les chevaux ont été remplacés par les véhicules motorisés.

I was a kid we move around with pack horses, they carry us around, they carry babies around, all, with pack horses and saddle horse (Dane-zaa 2, 22 juillet 2012).

When I was a kid, when I was just a baby, when I was born over there, they didn‟t have wagon so they had horses heh? We rode horses and pack horses. So when I was born, I guess my mom just packed me, instead of riding a horse, she packed me (Dane-zaa 3, 24 juillet 2012).

And then, I think around 1956 or so, something like that, they start get team wagons and stuff like that so… They got better mode of transportation (Dane- zaa 3, 22 juillet 2012).

Un autre changement majeur concerne très certainement le territoire lui-même, soit son étendue et ses délimitations. Ainsi que me l‟expliquait un des responsable du département « land » du centre communautaire, il est difficile de déterminer avec précision les frontières du territoire traditionnel des Dane-zaa de Doig River car celles-ci, comme au sein d‟autres

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groupes autochtones du Canada, sont toujours en renégociation selon les besoins et les événements. Cet espace était divisé entre plusieurs familles élargies qui avaient chacune leurs lieux privilégiés. Dans ses travaux, Robin Ridington mentionne deux communautés principales : les Tsi‟be Wadanéʔ (« Peuple de la tourbière »), nommés d‟après la vaste tourbière qui s‟étend à l‟ouest de Doig River, et les Lhuuge L (« Suckerfish people ») dont le nom provient de ce poisson jadis abondant qu‟ils pêchaient dans les eaux de Charlie Lake (Ridington, 2013 : 3, 5). En plus des Tsi‟be Wadanéʔ composé des familles Askoty, Makadahay, Pouce Coupe, Oker, Wolf, Azuki et Miller, les répondants m‟ont aussi mentionné les Hadaah Wadanéʔ (« Peuple de l‟orignal ») qui proviennent de Moose Creek à l‟est et regroupe les familles Davis et Acko, ainsi que les Taache Wadanéʔ (« Peuple du milieu ») dont le nom évoque la situation géographique, coincée entre les deux précédentes communautés. Il rassemble les familles Attachie et Dominic. Le premier de ces trois groupes voyageait sur une route nord-sud : de Chinchaga Lake17 (Gut nachii, « Big Spruce ») proche de l‟actuelle frontière albertaine où il se rendait en automne pour le quitter au printemps ; il descendait alors en direction de Peterson‟s Crossing (Aláá? Sat d ) en passant par Moig Flat18, Big Camp (Tsazuulh Saahgáe, « Big Timber Creek »19) et Two Lakes, pour ne nommer ici que les sites d‟importance. Les Hadaah Wadanéʔ et Taache Wadanéʔ, quant à eux, se rendaient à Sweeney Creek (Wen Sahgae) en Alberta en passant par Moose Creek (Hadaa zaahgaah) durant l‟été pour revenir à l‟automne en Colombie- Britannique, plus particulièrement à partir de la sédentarisation forcée à Peterson‟s Crossing. Les quatre groupes devaient certainement se retrouver à Suu Na Chii K’ Chi Ge, « The Place Where Happiness Dwells » durant la période estivale20.

En 1918, au terme de la Première Guerre mondiale, les vétérans canadiens revinrent dans leur pays d‟origine avec dans leurs bagages les germes de la grippe espagnole qui

17 Chinchaga Lake est aussi nommé Lake Post en raison d‟un ancien poste de traite construit dans la région.

Depuis Chinchaga il est possible de se rendre par voie de sentier aussi loin que High Level/Assumption en Alberta. Les Dane-zaa s‟y rendaient notamment pour rendre visite à leurs proches.

18 La linguiste Madeline Oker ne lui connait pas de nom mais la plus proche location, mile 39, se nomme Tse

n deh (« Where The Rock Stands »).

19 Lieu également connu sous le nom de mile 52 sur la Milligan Creek road. Le nom « Big Timber Creek »

évoque l‟imposante forêt dont la majeure partie a brûlé lors de l‟incendie de 1950.

20 Il est extrêmement important de souligner que je ne fais que supposer les limites du territoire ancestral

suivant les informations qui m‟ont été communiquées et qu‟elles sont sujettes à de fréquents changements tout comme les lieux de rassemblements et de campements dont je n‟évoque que quelques exemples.

55 extermina, à travers le monde, entre 70 et 100 millions de personnes, c‟est-à-dire plus que le conflit lui-même. L‟épidémie, qui toucha en premier les jeunes adultes et les femmes en âge d‟enfanter, fit des ravages parmi la population dane-zaa et tua plusieurs des personnes clés de l‟époque : Chief Attachie, Chief Montney (Madaay ), Big Charlie, Yehlhéz h, et le prophète Adíshtl‟íshe (« birchbark », le terme dane-zaa pour « papier ») qui mourut en 1919 à Tsazuulh Saahgáe, (Ridington, 2013 : 253 ; Doig River First Nation, 2007). Suite à la maladie, les Dane-zaa mirent plusieurs années avant de recouvrer une population stable et saine.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le mode de vie des Dane-zaa a été largement perturbé en raison notamment de la construction en 1942 par les forces armées américaines de l‟Alaska Highway qui naît à Dawson Creek (Colombie-Britannique) pour mourir à Fairbanks (Alaska) en passant au sud de l‟actuelle ville de Fort Saint John et traverse le territoire dane-zaa (Ridington, 2012 ; Brody 2004). Anciennement, l‟économie dane-zaa reposait essentiellement sur la chasse de gros et petits gibiers : orignal (hadaa), cerf de virginie (yatunne), caribou (madziih), wapiti (zezuulh), lapin (gaah), perdrix (jiih), castor (tsaaʔ) etc., la cueillette de baies : amélanchier (jijezaa), bleuet, viorne trilobée, canneberge et le piégeage suivant une répartition annuelle mise au jour par Hugh Brody (2004 : 191) : « it can be divided into five activities : the fall dry-meat hunt, early winter hunting and trapping, late winter hunting and trapping, the spring beaver hunt, and summer slack ». Par la suite, l‟économie dane-zaa subit quelques changements : au mode de subsistance habituel sont venues se greffer des sources économiques monétaires. Les villes alentours, comme celles de Fort Saint John, Chetwynd, Dawson Creek ou encore Tumbler Ridge, les fermiers ainsi que les exploitations pétrolières et gazières ont prodigué et continuent de prodiguer de nombreux emplois dans les domaines agricoles, forestiers et miniers.

Au mois de septembre 1950, un autre événement vint une fois de plus affaiblir les Dane- zaa : à Big Camp, lieu de campement important sur la route saisonnière des Tsi‟be Wadanéʔ au nord-ouest de Doig River, se déclara un immense feu dont la lumière fut visible aussi loin que Sweeney Creek, en Alberta. De nombreux Dane-zaa périrent dans

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l‟incendie21 ainsi que tous leurs chevaux ; leurs camps brûlèrent (documents personnels de Madeline Oker consultés le 17 juin 2012 ; Ridington, 2013 : 285). Une aînée de la famille Oker, présente lors de l‟incendie, à ma demande, s‟est souvenue du triste événement durant notre entretien :

Me and mom we got one white horse in there [...] My dad is sick in there, he can‟t walk. September, sometimes, I‟m so sure middle of september, everything dry up, grass, no leaves… And then, one day mom look over there, big smoke coming out and he said “maybe the fire coming this way”. He dress up us and he got little sled from my dad, something happen he gonna take him to the river with that sled. But we saddle up the horse early morning even in... He look this way the fire you can see it. Oh my goodness, just big flame and smoke and mom just cry and I said “I don‟t think you gonna see your parents, grandparents, uncles, again. I bet they all gone”. And after all this, some of them went to Alberta. Just only us we stay. And Pouce Coupe they walk in a farm over there. And all of them they move to huh, Sweeney Creek. After that big fire coming. And after November my step-foster-brother come back, he saddle up the horse. He went over there. Before dinner he come back he said, two boys, he found them in Mile 35, down. There‟s, they nearly make it. Maybe about one mile they could make it but it‟s too late. And there‟s… he found their dead body, horses and pack horse. They went to open place but it‟s too, too much. And after that, he went to store, he, they phone, the only phone they got is a post house. And next day the cops, they all come. What can they do? Take about two weeks up to Two Lake and Mile 57. All the cops maybe, I don‟t know how many cops anyway. And in up here they take sled anyway. Some of them make trail and team horse. He went over there, take him I don‟t know, maybe over a week. And they can‟t find the bodies, my grandparents. But they found it by ravens. Everybody gonna leave, they can‟t find the bodies so Dan Apsassin look north way and he look and there‟s ravens circle around. “Look at that” he said. We check down there and here they are. They gathering together, they got horse pill in there. It‟s must be too much smoke and they, they know where they‟re going, they got horse pill with them. And huh, he just make big hole and put them all together. Sometimes I miss my grandma but what can I do? But they can‟t [find] my other body, of my uncle, he‟s old guy. I think he hunt with horses. And he look all over where he used to go, where he used to… His favorite places. He look all over where he gonna be, nobody, they can‟t find him. It‟s sad but this happen anyway. That‟s why I‟m scared of fire even today (Dane-zaa 7, 1er septembre 2012).

21 Ce sont les familles qui composent le groupe des Tsi‟be Wadanéʔ qui ont le plus souffert. À Doig River par

exemple, comparé aux familles Davis ou Attachie (plus de dix membres chacune), les Oker ne sont plus que cinq et les Askoty seulement deux frères. Les Pouce Coupe et Makadahay ne sont plus très nombreux également.

57 La population dane-zaa contemporaine s‟étend au nord-est de la Colombie-Britannique aussi bien qu‟au nord-ouest de l‟Alberta et est très sujette au métissage avec d‟autres groupes ethniques, tels les Slavey, les Cris et les Blancs 22. En Colombie-Britannique, entre 2500 et 3000 personnes sont divisées en huit communautés, membres de la Treaty 8 Tribal Association et dont les bureaux sont situés à Fort Saint John : Fort Nelson First Nation, Prophet River First Nation, Halfway River First Nation, Blueberry River First Nation, Doig River First Nation, Saulteau First Nation, West Moberly Lake First Nation et finalement McLeod Lake First Nation. En Alberta, la population dane-zaa s‟élève à environ 1800 personnes réparties dans quatre communautés, soit Clear Hills, Horse Lake, Boyer River et Child Lake23. Comme j‟ai pu l‟entendre au cours d‟une entrevue avec un aîné : « native people somehow they‟re all related heh » (Dane-zaa 2, 9 août 2012) et, en effet, les Dane- zaa de Colombie-Britannique et d‟Alberta, autrefois une seule et même population, partagent toujours plusieurs traits culturels dont la langue, toutefois marquée désormais par de légères différences régionales comme celles qui peuvent exister entre par exemple les communautés Innus de la Côte-Nord québécoise (Journal de terrain II, 1er juillet 2012 ;

Vincent, 2003 : 34).

La dispersion des groupes dane-zaa est documentée par la tradition orale. Cette histoire s‟intitule Aht’uutl tahsalats ou « Dog Piss on Arrow War » (voir Annexe B pour la version complète) et relate un événement qui s‟est déroulé bien avant l‟arrivée des moniyaas sur les territoires dane-zaa. Divers groupes autochtones, dont les Dane-zaa, s‟étaient rassemblés au sein d‟une grande prairie – le récit précise à K‟e che mege (Saskatoon Lake) au nord de Beaverlodge en Alberta – avec la volonté affirmée de faire la paix entre eux. Un matin, plusieurs personnes prirent la décision de partir à la chasse et, pendant qu‟ils discutaient du lieu où ils comptaient se rendre, un chien urina sur une des flèches posées sur le sol avec les arcs. Les hommes, occupés à palabrer, ne s‟en rendirent pas compte mais une femme, témoin de l‟accident, les en informa. En colère, le propriétaire de la flèche saisit son arc et

22 Deux des membres de Doig River sont Cri et Dane-zaa. L‟un deux porte d‟ailleurs le nom d‟Apsassin qui,

en cri, signifie « petit ». Plusieurs femmes de la communauté ont des Euro-canadiens pour conjoint.

23 J‟ai eu l‟occasion de visiter cette dernière communauté et d‟en rencontrer quelques membres lors d‟un

grand rassemblement proche d‟High Level le 1er juillet 2012 et auquel participaient plusieurs nations athapascanes de Colombie-Britannique, d‟Alberta et des Territoires du Nord-Ouest.

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en décocha une au chien qui traversé de part en part s‟effondra raide mort. Ce fut ensuite au tour du propriétaire lésé de l‟animal de se venger de la femme en la tuant à son tour. Une guerre sanglante éclata et les survivants s‟enfuirent dans plusieurs directions (Ridington, 2013 : 72 à 75).