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Chapitre 2 Le Nord québécois, le Nunavik et le(s) projet(s) du siècle

2.5 Retour aux sources à Umiujaq

Le village d’Umiujaq a été fondé en 1986 suite au déménagement d’une partie de la population de Kuujjuarapik aux abords du Lac Guillaume-Delisle (aussi nommé Tasiujaq ou Richmond Gulf3), selon des modalités incluses dans la CBJNQ et où des terres de catégorie I étaient déjà prévues (Martin, 2001). Lors d’un référendum tenu en 1982, 52% des Inuit de Kuujjuarapik ont voté en faveur du déménagement. Le village d’Umiujaq a ouvert officiellement en 1986, mobilisant le déplacement de 280 personnes depuis Kuujjuarapik (Martin, 2001).

Les raisons évoquées par les personnes ayant décidé s’établir à Umiujaq sont documentées principalement dans la thèse de Martin (2001). La plus importante a d’abord été de se rapprocher de meilleurs territoires de chasse et de pêche, et par la même occasion des activités liées au mode de vie traditionnel, dans un endroit où plusieurs avaient le souvenir d’avoir vécu avec leurs parents (Martin, 2001 ; TNI, 2018). La relocalisation leur permettait également de vivre plus paisiblement et fuir les problèmes « urbains » de Kuujjuarapik, tels que la drogue, l’alcool et la violence, de même que la population nombreuse et multiculturelle (Martin, 2001 ; Kunuk et Diamond, 2013).

Selon Martin (2001), les raisons évoquées pour le déménagement sont d’ordre culturel et historique, et s’insèrent dans un mouvement de « retour aux sources » déjà entamé dans le cas de la création de certains villages tels qu’Akulivik. La sédentarisation du Nunavik, tel que mentionné précédemment, s’est effectuée en suivant l’installation de missions et de postes de traite sur le territoire, et ce, pas nécessairement sur des sites de campement établis. Ce mouvement de « retour aux sources » est ainsi « porté par un discours qui indique une volonté d’inverser le processus de perte du mode de vie traditionnel qui s'est intensifié avec le processus de sédentarisation et l’accroissement démographique des communautés » et s’effectue vers des sites de chasse connus et exploités par les Inuit exprimant le désir de se reloger (Martin, 2001 : 117). Dans le cas d’Umiujaq, la proximité de la ressource faunique

3 Malgré l’existence d’un toponyme inuktitut pour le Lac Guillaume-Delisle, le toponyme francophone sera utilisé dans le

texte et la cartographie afin d’en simplifier la compréhension, puisque « Tasiujaq » est un nom très commun en inuktitut, et les toponymes anglais et français étaient les seuls utilisés à l’époque de la création du parc. Il en va de même pour le Lac-

était également un argument pour justifier le déménagement, le territoire étant plus riche en gibier que celui de Kuujjuarapik4 (Martin, 2001).

Le relogement vers Umiujaq peut toutefois être vu de façon assez controversée, en raison du résultat très serré au référendum et de familles qui, dans certains cas, se sont dissociées puisqu’une partie avait décidé de demeurer à Kuujjuarapik et l’autre, de migrer vers Umiujaq (TNI, 2018). Par ailleurs, certains résidents de Kuujjuarapik ont vu comme une « fuite » le déménagement de certaines personnes face au projet Grande-Baleine qui était alors envisagé, selon les entrevues menées par Martin (2001). Le développement hydroélectrique et les études d’avant-projet auraient pu, selon le même auteur, engendrer des répercussions importantes sur le mode de vie, par la mise en place d’emplois salariés, de même que l’arrivée massive d’employés du sud, d’alcool, de drogues, et une pression plus grande sur la ressource faunique (Idem). Enfin, le relogement peut également être interprété comme une stratégie de reprise de pouvoir sur l’histoire locale :

Le déménagement est donc une stratégie collective de reprise de contrôle de l'historicité. L'histoire inuit doit être écrite, semblent dire ces répondants, et ils veulent désormais en être les seuls auteurs. Cette prise de possession de l'histoire s'exprime, dans le discours des acteurs, par l'affirmation de la nécessité de sauvegarder, si ce n'est de retourner à un mode de vie et à des valeurs traditionnels (Martin, 2001 : 129).

Selon Canobbio (2009), la communauté d’Umiujaq « avait aussi misé sur une démarche de valorisation de son patrimoine environnemental » en s’installant dans un secteur déjà ciblé et inventorié par Parcs Canada comme un lieu éventuel pour installer un parc national (2009 : 188-189). En tant que village « tout neuf », l’accueil touristique peut en effet être facilité à Umiujaq. La communauté d’Umiujaq est par ailleurs toujours portée par un discours de proximité avec le mode de vie traditionnel, discours qui cadre bien avec les objectifs d’un parc national :

Umiujaq, fondé en 1986 par une poignée d’Inuits qui ont quitté leur village d’origine pour laisser derrière eux les bouleversements liés au chantier de la Baie-James, a été bâti sur des valeurs communautaires et traditionnelles fortes. Les problèmes sociaux sont moins nombreux dans ce jeune village que dans d’autres, comme Puvirnituq ou Kuujjuaq, nous disent beaucoup de Qallunaat et d’Inuits qui les ont visités. Et c’est entre autres pour cette raison que le Nunavik axe principalement sa stratégie de développement du tourisme

4 Cet argument m’a été confirmé par un certain nombre de personnes sur le terrain dans le cadre de discussions informelles,

alors qu’une partie de la population du village d’Umiujaq était réunie près de la plage pour attendre le retour d’hommes partis chasser le béluga.

autour d’Umiujaq ainsi que des villages de Kangiqsujuaq et Kangiqsualujjuaq, encore plus au nord, chacun étant aussi situé près d’un parc national (Girouard, 2017 : s.p.).

Conclusion

En résumé, ce chapitre visait à cerner le contexte dans lequel notre étude de cas s’insère, par un survol historique, politique et social de la région depuis les années 1960 principalement. Par l’étude de sources secondaires, nous pouvons identifier des relations changeantes avec les gouvernement fédéral puis provincial, marquées toutefois par une certaine inégalité dans les échanges, où les Inuit se voyaient parfois accessoires à des objectifs géostratégiques d’occupation territoriale, notamment au cours de la Guerre Froide et de la Révolution tranquille. À partir de la fin des années 1960, un discours d’autonomie économique et politique émerge chez les Inuit suite au succès du mouvement des coopératives : ce mouvement s’oppose, dans le sillage des négociations de la CBJNQ, à un second groupe, militant celui-ci pour des négociations avec le gouvernement provincial devant mener à une plus grande autonomie de gestion. La signature controversée de la CBJNQ en 1975 a contribué à creuser cette division, mais résulte d’autre part en la mise en place d’institutions régionales ayant le pouvoir de gérer les revendications territoriales et la production de savoirs, notamment par la mise en valeur du patrimoine. Dans le contexte plus local d’Umiujaq, le patrimoine culturel est vécu par la poursuite d’activités associées au mode de vie traditionnel, le choix du site pour le village s’insérant dans un mouvement de « retour aux sources ».

Chapitre 3 Processus de création d’un parc national au