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Chapitre 3 Processus de création d’un parc national au Nunavik

3.3 Publication du Plan directeur provisoire

Un autre jalon important quant à la définition du territoire du parc national, le Plan directeur provisoire est produit en 2008 par le MDDEP Ce document fait état des décisions du ministère quant au concept d’aménagement proposé pour le parc national, relativement à la superficie, au zonage, aux activités proposées et à la mise en valeur du parc. Constituant le premier plan de planification officiel du projet de parc national, alors nommé « parc des Lacs-Guillaume-Delisle-et-à-l’Eau-Claire », ce document est basé en grande partie sur le recensement d’études présentées par l’ARK sur le territoire du projet de parc dans un document nommé État des connaissances, publié en 2007, tel que confirmé par l’extrait suivant : « L’analyse des données présentées dans l’État des connaissances permet de cibler les secteurs fragiles et ceux à plus fort potentiel pour la mise en valeur. Il est alors possible d’établir le périmètre optimal du parc afin que ce dernier réalise pleinement sa vocation » (MDDEP, 2008a : 5).

Le plan directeur provisoire est construit en trois sections, soit « La situation actuelle », « L’analyse de la situation et le diagnostic », et « Le concept de conservation et de mise en valeur ». Ainsi, la première partie du texte est une présentation relativement objective du contexte légal dans lequel s’inscrit la création du parc, de même que des études réalisées sur le territoire du projet de parc. Le MDDEP, tel qu’exposé précédemment, justifie la démarche de création du parc pour la poursuite de deux objectifs, soit de respecter les accords prévus par l’entente Sanarrutik et la Stratégie québécoise sur les aires protégées, établissant à 8% l’objectif de superficie en aires protégées sur le territoire québécois. En première partie du document, une section est réservée pour décrire l’utilisation actuelle des terres, indiquant certaines contraintes à la mise en place d’un parc, notamment l’activité minière et le potentiel hydroélectrique : « L’activité minière est permise dans le secteur de la rivière Nastapoka. Des activités d’exploration minière étaient d’ailleurs en cours au moment de la rédaction du présent document »

(Ibid. : 11) ; « le Québec s’est engagé à évaluer le potentiel hydroélectrique au nord du 55e parallèle. À cette fin, six rivières possédant un fort potentiel ont été ciblées, dont la rivière Nastapoka, qui coule dans le territoire à l’étude et qui prend sa source dans les lacs des Loups Marins » (Ibid. : 12).

La présentation des connaissances sur le site projeté du parc expose les données existantes sur les éléments naturels et culturels d’importance, permettant de cibler les « composantes des patrimoines naturel et culturel représentatives des régions naturelles ainsi que des éléments rares ou fragiles qui méritent une attention particulière » (Ibid. : 19). Si les composantes du « patrimoine naturel » sont principalement issues des travaux scientifiques, la description du patrimoine culturel inclut quant à elle des sites historiques – notamment des sites de rencontre avec les baleiniers et d’anciens postes de traite des fourrures – de même que certains sites archéologiques. Il est par ailleurs mentionné dans le texte que « Les consultations effectuées auprès des Inuits et des Cris au cours des travaux de planification n’ont pas permis de découvrir d’aires sacrées à l’intérieur du territoire » (Ibid. : 17).

La seconde partie du document est celle qui présente le plus grand intérêt pour les objectifs de notre étude de cas. Les auteurs y présentent la superficie du projet de parc, qui exclut presque entièrement le bassin versant de la rivière Nastapoka. Cette exclusion est justifiée dans le texte comme étant due à des contraintes relatives à l’utilisation du sol, les principales étant l’existence de titres miniers actifs et le potentiel hydroélectrique de la rivière Nastapoka. À noter que, quoique le Plan directeur provisoire du MDDEP soit largement basé sur les données présentées dans l’État des connaissances (ARK, 2007) (Figure 14), lequel considérait la rivière Nastapoka et son littoral parmi les quatre « aires d’intérêt », cette zone du territoire à l’étude n’est que très peu mentionnée dans la première partie du texte. Aucune mention n’est faite par exemple de la valeur paysagère du site, alors que l’ARK avait ciblé l’« aspect esthétique » comme l’une des caractéristiques particulières de ce secteur (ARK, 2007 : 175). La valeur paysagère est pourtant prise en compte par le MDDEP, qui stipule que « l’aspect esthétique et panoramique de certains sites a également été pris en considération. Le territoire présente toutefois des contraintes dont il faut tenir compte au moment de déterminer la limite du parc de même que de planifier sa mise en valeur » (MDDEP, 2008a : 19). Sur le point esthétique, il est donc prévu que « l’unité de paysage des cuestas hudsoniennes constituera le principal facteur d’appel du parc national des Lacs-Guillaume-Delisle-et-à-l’Eau-Claire » (Ibid. : 20).

Figure 14 : Aires d'intérêt pour le parc (1-Rivière Nastapoka et littoral ; 2-Lac Guillaume-Delisle ; 3-Lac à l'Eau Claire ; 4-Petit lac des Loups Marins et lac des Loups Marins) (ARK, 2007 : 173)

Les auteurs justifient par ailleurs la décision relative aux limites du parc par l’étendue projetée de celui- ci : « [La limite] englobe des éléments représentatifs des régions naturelles des Cuestas hudsoniennes et du Plateau hudsonien et couvre une superficie de 15 549 km². Cela fera à terme le plus grand parc du Québec » (Ibid. : 24). Par rapport à la limite initiale de 1992 (Figure 10), celui-ci est agrandi, au profit par exemple de populations fauniques pour lesquelles le MDDEP consent à un « ajout » à la zone protégée, selon l’extrait suivant :

À l’extrême est du projet de parc, le territoire inclut la tête du bassin versant de la rivière Nastapoka avec notamment le Petit Lac des Loups Marins et le Lac d’Iberville. Cet ajout au territoire mis en réserve initialement en 1992 permettra d’assurer en partie la protection de la population des phoques communs d’eau douce présente dans le secteur (Ibid. : 24). En comparant les limites proposées en 2008 avec celles réservées en 1992, le MDDEP projette l’image d’une « augmentation » de celles-ci, dans un parc décrit comme « vaste », « le plus grand du Québec », bénéfique pour les « espèces à grand domaine vital » (Ibid. : 24). Ce discours diffère des critiques qui lui seront portées, lesquelles, nous le verrons, comparent plutôt la superficie proposée à la totalité du territoire à l’étude tel que défini en 2006 et incluant le bassin versant de la Nastapoka.

Ensuite, les limites proposées permettent d’éviter les conflits d’usage liés aux projets d’utilisation du territoire, évitant par le fait même de négocier avec le Ministère des Ressources naturelles et de la faune (MNRF) pour les territoires consentis à Hydro-Québec et les compagnies minières. Ces négociations avaient d’ailleurs été déclarées comme impossibles par le MNRF à l’ARK en 2006, lorsque les limites du territoire avaient été augmentées :

Jobie Crow asks if Hydro-Québec is delegated by the Québec Government to pursue this hydro project of if Hydro-Québec acts on its own. Michael Barrett answers that the MNRF looks after lands, mining and hydro. It reserves places for hydroelectric development and mining projects. If a certain place is blocked by the MNRF for a certain purpose, other ministries cannot change the situation (ARK, 2008 : 145).

De fait, en excluant non seulement les zones réservées par le MNRF sur le territoire du parc national, mais bien la majorité du bassin versant de la Nastapoka, le territoire effectivement protégé pourrait être mieux protégé des « menaces pour la conservation », notamment les projets miniers prévus près de l’embouchure de la rivière Nastapoka :

Par ailleurs, l’exploitation des ressources minières à la périphérie du parc projeté pourrait avoir des impacts négatifs à l’intérieur de ses limites. En effet, en bordure du projet de

parc, des titres miniers sont actifs et des activités d’exploration ont lieu. Cependant, comme ils sont situés dans un bassin versant qui n’est pas inclus dans le projet de parc, les risques sont amoindris (MDDEP, 2008a : 27).

Enfin, la lecture du Plan directeur provisoire illustre bien le contexte des engagements politiques du gouvernement provincial de l’époque, qui, tel qu’exposé précédemment, peuvent apparaître contradictoires. D’une part, le Premier ministre s’engage de plus en plus à faciliter l’accès aux ressources nordiques pour les compagnies minières, jetant alors les prémisses de ce qui deviendra officiellement le Plan Nord en 2011 (Lessard, 2008). D’autre part, une pression de plus en plus grande semble s’exercer sur le gouvernement par rapport à son objectif de protéger 8% de la superficie totale du Québec, prévu pour 2008 et pour lequel la création d’un grand parc national nordique contribuerait grandement – notons que le pourcentage d’aires protégées à l’époque était d’environ 5% (Québec, 2008). La protection des milieux nordiques concorde par ailleurs avec une vision de ceux-ci comme à l’état sauvage, peu touchés par l’activité humaine : « Le territoire du projet de parc national des Lacs- Guillaume-Delisle-et-à-l’Eau-Claire est caractérisé par un environnement naturel presque inaltéré. Il convient donc que sa mise en valeur soit faite en respectant cette richesse intrinsèque, peu courante dans le monde moderne » (Ibid. : 39). Cet état de préservation des milieux naturels est attribué à la bonne gestion par les populations locales :

Le territoire visé par cet immense parc situé à l’est de la baie d’Hudson […] se démarque également par sa diversité culturelle. En effet, les Inuits et les Cris ont su y cohabiter afin de se partager les ressources et d’assurer leur subsistance.

Respectueux de la fragilité des écosystèmes de la région et des activités traditionnelles pratiquées par les Inuits et les Cris, le présent plan directeur provisoire préconise une approche qui s’appuie sur le principe de précaution en matière de développement. Par ailleurs, en confiant la gestion de ce parc aux Inuits du Nunavik, le gouvernement du Québec s’assure que sa mise en valeur respectera leur vision et leurs valeurs, lesquelles sont profondément ancrées dans leur culture (Ibid. : 49).

La collaboration avec les populations locales est l’un des points sur lesquels la démarche du gouvernement du Québec s’appuie fortement pour que le projet soit vu comme acceptable par les acteurs consultés. Ce point sera d’ailleurs, tel que démontré au prochain chapitre, félicité par plusieurs intervenants aux audiences publiques.