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Cependant, l’enjeu de notre travail est aussi de montrer que la réalité obser- vée reste beaucoup plus complexe que celle qui vient d’être trop rapidement décrite. En effet, il ne faudrait pas croire que l’adhésion à une équipe turque est uniquement perçue et conçue par les immigrés comme un signe arbitraire d’une commune desti- née. Nous verrons que l’adhésion aux clubs de football étudiés apparaît comme le symbole motivé d’un mode caractéristique d’existence collective (Bromberger, 1995, 1998) qu’incarnent à la fois le style de sociabilité et la composition de l’équipe. Il s’agira essentiellement ici d’examiner en quoi l’adhésion à une association sportive turque est une manière de marquer son appartenance à un groupement tout en se distinguant, en même temps, d’autres collectifs plus ou moins institutionnalisés, avec lesquels on entretient par définition des rapports d’interdépendance. Dans notre cas, la logique de l’appartenance « communautaire » suivra donc les différents modes d’intégration des individus dans une configuration structurée comme un jeu à l’intérieur duquel subsiste une hiérarchie de plusieurs relations du type « nous et eux » (Elias, 1991). Articulée avec la notion de sociabilité73, l’appartenance devrait nous permettre de replacer le « regroupement sportif » dans un système relationnel de points mouvants. C’est là l’une des conditions pour saisir la dynamique de sa fa- brication.

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Ajoutons néanmoins que les footballeurs turcs entretiennent un rapport aux contraintes et qu’il con- vient de considérer les stratégies qu’ils mettent en œuvre en termes de rationalité inconsciente. La violence symbolique touche donc plus ou moins ces sportifs en fonction de leurs dispositions sociales, leurs positions (sociale et au sein du club), leur fonction dans l’association, leur ancienneté, leur « ca- pital corpo-sportif » et leur trajectoire sociale.

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La « sociabilité » désigne « les formes d’expressions et la régularité des manifestations et des rela-

tions qu’un individu entretient avec autrui dans un domaine constitué objectivable » (Chazel citée par

Mennesson, 1995, p. 231). Si cette définition a le mérite de préciser la notion, elle n’en demeure pas moins incomplète, dans le sens où elle élude totalement la question des représentations que les indi- vidus se font de leur « sociabilité ». Or, on peut légitimement supposer que ces représentations con- tribuent puissamment à la réalité de leurs pratiques de « sociabilité ».

82 3.2.1 – La composition de l’équipe sportive

D’un côté, la composition de l’équipe sportive offre une métaphore particuliè- rement expressive de l’appartenance collective (Bromberger, 1995 ; Faure & Suaud, 1998 ; Lestrelin, 2008). En effet, tandis qu’ils sont tous engagés dans un champion- nat fait de montées et de descentes, et que l’on s’attend, conséquemment, à ce qu’ils recrutent les meilleurs joueurs en fonction de leur niveau de pratique, se profilent, sous des choix qui semblent dictés par la seule recherche de la performance, d’autres conceptions de la communauté sportive. Ainsi, lorsqu’un club s’élève dans la hiérarchie du football de compétition, son taux de pratiquants « originaires de Tur- quie » augmente très souvent. Ne peut-on pas voir, dans ce phénomène, non seu- lement la « trace » d’une histoire façonnée par un courant migratoire, mais aussi le symbole d’une affirmation à la fois motivée et enthousiaste d’une commune apparte- nance ? En même temps, si l’équipe apparaît comme le reflet de la population turque dont elle est le porte-drapeau, la distinction ne devient efficiente qu’à partir du mo- ment où d’autres clubs, engagés dans un jeu de miroirs, représentent, à travers leur composition, des communautés humaines différentes. En ce sens, dans le sport comme ailleurs, l’affirmation communautaire ne fonctionne régulièrement qu’en tant que discrimination réciproque. Ce sont bel et bien là les deux facettes d’une même médaille, participant de la définition du contenu culturel qui circule à l’intérieur d’une association sportive turque.

3.2.2 – Le style de sociabilité

A l’instar du « style de jeu » (Wahl, 1989 ; Beaud & Noiriel, 1990 ; Bromber- ger, 1995, 1998 ; Mignon, 1998), le « style de sociabilité » propre à un club de foot- ball s’impose comme un ressort très puissant d’adhésion au collectif. Cependant, ce mode d’« être ensemble » au sein de l’association (Talleu, 2009) que les membres sportifs comme dirigeants revendiquent ne correspond pas toujours, loin s’en faut, à la pratique réelle de ces derniers, mais plutôt à l’image simplificatrice, enracinée dans la durée, que la collectivité se donne d’elle-même et qu’elle veut donner aux autres. Non pas tant à la manière dont les individus jouent et vivent, mais à la façon dont ils se plaisent à raconter leur « existence collective », en dévoilant, par voie de conséquence, une partie de leur histoire personnelle et de leur « vision du

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monde »74. Dans le cas des clubs de football « turcs » étudiés, nous voudrions es- sentiellement montrer que le « style de sociabilité » – en tant que pratique et repré- sentation – oscille entre un pôle compétitif traditionnel, dont l’intensité varie notam- ment en fonction du « niveau sportif », un pôle populaire et ouvrier, s’inscrivant dans la « culture » d’une classe sociale, et un pôle ethnique et immigré, participant au maintien de la « mémoire collective » (Halbwachs, 1950) d’un groupe marqué par le déplacement géographique de certains de ses membres. Ces trois pôles semblent alors respectivement permettre aux individus de marquer leur appartenance à une « communauté sportive », à une « communauté sociale » et à une « communauté de la migration turque ». Signalons que les grands axes qui se dégagent renvoient, de fait, à une construction idéale-typique du style de sociabilité collective des clubs en question. Cet outil méthodologique élaboré par M. Weber (1965), revu plus tard et quelque peu modifié par A. Schütz (1967), nous offre la possibilité de clarifier et de mettre en ordre la réalité empirique, en dégageant des régularités sociologiques fortes75. Il n’en reste pas moins que cette recette de connaissance, si l’on peut dire, est une image utopique qui reflète de façon approchée et nécessairement approxi- mative le « style de sociabilité » des associations sportives turques76.

4 – De quelques contributions à des problématiques plus géné-