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Après la victoire de la gauche aux élections présidentielles de mai 1981, la première loi significative en matière d’immigration fut celle du 9 octobre de la même année (loi n° 81-909), supprimant le régime dérogatoire des associations étrangères institué par le décret-loi du 12 avril 1939, qui subordonnait la création de ces asso- ciations à l’autorisation du ministre de l’Intérieur. Cette modification juridique, qui n’avait en réalité rien de nouveau, dynamisa assez logiquement la constitution d’organisations de type consulaire, émanations officielles des pays d’émigration, souvent héritées des mouvements d’indépendance, mais également la fondation de clubs villageois ou organisés par nationalités, qui ont notamment développé, fré- quemment avec l’aide des associations communistes203

, des activités physiques et sportives à destination de leurs adhérents. Par exemple, on remarque que les asso- ciations et clubs de football de l’immigration turque ont connu un essor principal après la législation de 1981204, et ce grâce au soutien du gouvernement d’Ankara ou

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Comme le note à juste titre M. A. Schain (2001), le parti communiste français, acteur à vocation universelle, a constitué un élément institutionnel clé dans le processus d’affirmation identitaire de plu- sieurs communautés immigrées. Dans les quartiers populaires, il a réussi la mobilisation des ouvriers immigrés en mettant l’accent sur des avantages collectifs plutôt qu’individuels, ce qui allait bien à l’encontre des principes républicains. Dans les régions à forte concentration d’immigrés, le PCF a créé des clubs fondés sur l’« identité ethnique ouvrière ».

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En ce qui concerne les immigrés portugais, M.-C. Volovitch-Tavares (2002) constate également que le début des « années Mitterrand » fut une période tout particulièrement favorable au dynamisme des associations lusitaines. Ainsi, si en 1981, on comptait déjà 630 associations portugaises, elles passèrent à 850 en 1984. Les équipes de football, parfois qualifiées par les pouvoirs publics de « communautaires » (Pereira, 2010), étaient notamment soutenues par les organisations de loisirs liées au PCF ou à la CGT et par les banques portugaises.

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de certaines organisations d’opposition telles que les Loups Gris ou Millî Görüş qui voyaient dans le mouvement associatif immigré un levier pour peser sur le débat po- litique interne à la Turquie (Rigoni, 2005). D’autant qu’à la même époque, le coup d’état militaire dans le pays d’origine avait engendré une fuite vers la France de nombreux syndicalistes, opposants politiques, militants autonomistes kurdes et mili- tants du mouvement de la paix et des droits de l’homme qui étaient déjà impliqués dans des associations en Turquie (Petek-Şalom, 2005).

Mais cette proposition, une fois adoptée par le Sénat, ne pouvait que s’accompagner d’un changement de mode de représentation politique des classes populaires dans la société civile, avec l’introduction du critère de l’« origine eth- nique » et l’insistance sur les avantages collectifs plutôt qu’individuels à travers le soutien aux associations organisées sur une base nationale. D’autant qu’à la même période, les premières vagues de l’immigration ont bien compris que les associa- tions, et plus particulièrement les clubs sportifs205, pouvaient attirer les jeunes géné- rations (surtout les garçons) et ainsi éviter que se produise l’acculturation totale des enfants. Pour les plus âgés, il était important de protéger le groupe dans sa diffé- rence, en préservant l’identité familiale traditionnelle, villageoise et ethnico-nationale. Par exemple comme l’observe S. Akgönül au sujet des Turcs, et ce comme en Alle- magne mais avec quinze ans de décalage : « (…) il n’y a pas d’association sportive

qui n’est qu’association sportive, (…) il y a toujours un lien avec autre chose. (…) il y a le foot mais aussi la salle de prière, et la salle de prière n’est que très rarement centrale. (…) C’est une manière de canaliser la jeunesse turque, pour pouvoir l’encadrer dans le cadre du sport, mais pour l’emmener à autre chose, à l’identité turque (…) »206

. Dans les « quartiers populaires » de Strasbourg et de Mulhouse, des clubs de football ont été créés spontanément à partir de l’origine turque des prati- quants, et ces derniers ne se recrutaient pas en fonction de leur lieu de résidence – en l’occurrence, le quartier ou la cité –, mais plutôt selon leur appartenance reli- gieuse ou nationale (Gasparini & Vieille-Marchiset, 2008).

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A partir du début des années 1980, les jeunes issus de l’immigration ont trouvé dans l’industrie du sport et du spectacle des références positives leur permettant de renverser la stigmatisation. L’identification au monde du sport, et notamment du football, fut d’autant plus facile que, parmi ses vedettes, beaucoup étaient « issues de l’immigration » et du même milieu social qu’eux (Noiriel, 2007).

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La stratégie politique de la gauche au pouvoir, dont la législation du 9 octobre 1981 sur les associations étrangères semble représenter l’un des premiers résultats, associée à l’installation définitive des familles immigrées dans l’Hexagone et aux en- jeux de transmission entre les générations, a donc créé des conditions favorables à une plus grande visibilité des « identités ethniques » à la fois dans l’espace public, dans l’espace associatif sportif et au sein des quartiers des villes. C’est à partir de ce moment-là que le « repli communautaire » des immigrés a fait son apparition dans la bouche des commentateurs de l’actualité (Bouvet, 2007), individus globalement issus des groupes sociaux les plus favorisés économiquement et culturellement, ce qui a sans doute eu une incidence non-négligeable sur la recrudescence de l’hostilité à l’égard des étrangers et des immigrés dans une fraction des classes populaires (Noi- riel, 2007).