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Dans l’Hexagone, les formes de politiques sportives publiques qui font la pro- motion de la « diversité culturelle » sont absentes en tant que telles, mais les disposi- tifs sont repris sous le vocable générique de « Politique de la Ville » ou de « lutte contre l’exclusion », dont le but est d’atténuer les effets sociaux des discriminations.

196 Officiellement, et pour l’instant237

, on ne reconnaît pas l’existence de « communau- tés » sur le territoire national238 ; on ne parle pas de « minorités ethniques », car tout individu n’est pas d’abord « black, blanc, beur », il s’identifie comme appartenant en premier lieu à la nation. C’est pourquoi les actions et les dispositifs publics d’intégration par le sport s’adressent à des quartiers, des territoires ou des popula- tions « en difficulté » et non à des groupes ou des « minorités ethniques ». Cela veut dire que les immigrés ne bénéficient pas d’un soutien spécifique des pouvoirs publics parce qu’ils sont immigrés mais, éventuellement, parce qu’ils rencontrent des pro- blèmes sociaux et/ou économiques. Pour ne prendre que ces deux exemples, la Dynamique Espoir Banlieue, lancée par le gouvernement Sarkozy en 2008, cherche notamment à développer l’accès aux sports et à la culture des habitants des quartiers « populaires », en valorisant les démarches innovantes et le travail éducatif. La convention de partenariat entre la Fédération Française de Football et plusieurs entreprises du secteur privé, signée en 2006 suite aux évènements de novembre 2005, se fixe pour objectif de promouvoir un dispositif de prise en compte du football dans les quartiers dits « sensibles », en développant l’égalité des chances et la lutte contre les discriminations par l’insertion professionnelle des jeunes chômeurs. On le voit, ces actions volontaristes relèvent d’une discrimination positive qui, en prenant en considération les désavantages socio-économiques et territoriaux des individus, vise l’établissement d’une égalité réelle entre les citoyens français grâce à l’équité. Autrement dit, il s’agit d’instaurer des « inégalités justes », conformes aux principes républicains, reposant sur un traitement différencié et préférentiel ; c'est-à-dire des inégalités profitables à l’ensemble de la société (Rawls, 1987), dans le sens où elles favorisent les plus démunis. En-dehors du sport, ce mode de discrimination positive concerne des domaines aussi variés que la politique de l’emploi, l’aménagement du territoire, les règles électorales ou la politique éducative.

237 Le projet de N. Sarkozy d’inscrire le respect de la diversité dans le préambule de la Constitution

n’ayant fort heureusement pas abouti ! Voir notamment l’article paru dans Le Monde le 05 mars 2008 : « La diversité dans la Constitution : danger ! ».

238 L’article premier de la Constitution de la République française indique que : « La France est une

République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».

197 3.3.1 – Secret de polichinelle…

Le « républicanisme français » se révèle néanmoins paradoxal dans le rapport de ses principes à la réalité. En effet, il est beaucoup plus souple que l’on ne veut bien le croire face au traitement des phénomènes ethniques et culturels. Par exemple, en dépassant les prises de position partisanes, nous observons que les mesures de « discrimination compensatoire » mises en œuvre dans le cadre de la « Politique de la Ville » sont, en réalité, des « dispositifs détournés » (Schnapper, 2002) pour traiter des inégalités socio-ethniques surtout vécues par les populations immigrées, d’origine étrangère ou considérées comme telles, et très souvent relé- guées dans des territoires urbains fortement enclavés239. La politique des ZEP, ZUP et ZUS, relancée en lien avec la « Politique de la Ville », s’appuie d’ailleurs sur le nombre d’étrangers et d’immigrés pour caractériser, objectivement, la situation d’un secteur géographique où il faudrait intervenir socialement240. Relever la proportion d’étrangers et d’immigrés apparaît de prime abord très problématique, dans la me- sure où cela revient à désigner ces populations comme responsables/coupables des problèmes sociaux. Au contraire, ne pas le faire conduit à ignorer la question, certes épineuse, de la difficulté que connaît actuellement la France à intégrer certaines per- sonnes issues de l’immigration (HCI, 2011).

Nonobstant le refus affiché de prendre en considération l’origine des per- sonnes, les politiques d’intégration par le sport – c’est un secret de polichinelle –, qui s’inscrivent dans le cadre général des politiques sociales dites de « discrimination positive territoriale » (Calvès, 2004), permettent de toucher, sans les nommer explici- tement et, surtout, sans les désigner exclusivement, les membres de groupes qui, dans d’autres pays, notamment anglo-saxons, seraient appréhendés comme des minorités ethniques. D’une part, ces politiques demeurent parfaitement conformes,

239 Prenons l’exemple des « quotas méritocratiques » : 5% des places dans les classes préparatoires

réservées aux meilleurs élèves des lycées des quartiers difficiles (Lagrange, 2010). De prime abord, ils prennent en compte un double critère, le lieu de résidence et le mérite. Il n’y a donc pas, pense-t- on, de « discrimination positive » sur la base d’un critère ethnoculturel. Toutefois, il s’agit bel et bien d’une allocation indirectement ethnoculturelle au mérite dès lors qu’en pratique la moitié de la popula- tion de ces territoires de l’exclusion et de la relégation est composée d’immigrants d’origine africaine et turque. Sur le plan strictement éthique, le caractère indirect a cependant de l’importance. Dans le sens où elle est indirecte, l’allocation n’est pas un droit réservé à un groupe ou une minorité (La- grange, 2010).

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Les autres indicateurs utilisés sont notamment le taux de chômage, le revenu fiscal moyen, les problèmes de santé, le taux d’échec scolaire et le taux de délinquance (Choffel, 2006).

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du moins dans leur élaboration, aux principes républicains : elles reposent non pas sur la prise en compte de l’origine de leurs bénéficiaires, mais uniquement des ca- ractéristiques socio-économiques moyennes des habitants du quartier où ils résident. D’autre part, dans la mesure où les familles immigrées sont plus souvent que d’autres logées dans ce qu’on appelle les « quartiers sensibles »241, qu’elles sont,

bien plus que les autres, des familles nombreuses242, et que leurs enfants sont, plus que d’autres, sans diplôme et touchés par le chômage de masse243

, il est certain qu’elles se trouvent être, de fait, des destinataires proportionnellement privilégiés de ces politiques d’intégration par le sport244

. Par exemple, les Turcs constituent, avec les Algériens et les Marocains, l’un des groupes de migrants les plus concentrés dans les ZUS. Selon l’Observatoire National des Zones Urbaines Sensibles (2004), la population turque des ZUS représente 35,8% de la population turque métropoli- taine. Par ailleurs, les familles anatoliennes sont parmi celles qui comptent, en moyenne, le plus grand nombre de personnes, avec une prédominance des mé- nages de cinq et six individus (Rollan & Sourou, 2006). Une part relativement impor- tante (17%) des travailleurs turcs est touchée par le chômage, et leur niveau de qua- lification est globalement bien plus faible que celui des actifs d’origine maghrébine (Rollan & Sourou, 2006).

Finalement, vue sous cet angle, la territorialisation de la « discrimination posi- tive » dans le domaine sportif apparaît d’une certaine façon comme le prélude à son

ethnicisation. Autrement dit, les mesures socio-sportives de « discrimination posi-

tive » sont des politiques « détournées » et « indirectes » de gestion des « risques

241 Selon le Haut Conseil à l’Intégration (2011), un immigré sur cinq vit actuellement dans une ZUS,

soit près d’un million de personnes. La proportion d’immigrés y est 2,5 fois supérieure à la moyenne nationale (18,3% contre 7,3%). Bien entendu, ces chiffres ne prennent pas en compte les enfants d’immigrés nés en France, et devenus, de ce fait, des Français. Pour 4,6 millions d’habitants de ces quartiers en 2004, un quart fait partie de ménages dont la personne de référence est étrangère.

242 Dans l’Hexagone, la taille des ménages de la population immigrée est globalement plus importante

que celle de la population française : 3,1 personnes contre 2,3 personnes. Néanmoins, on remarque de fortes variations selon les nationalités. Ainsi, quand le nombre moyen de personnes par ménage est de 2,4 pour les Espagnols et les Italiens, il s’élève à 4 pour les Marocains et à 4,2 pour les Turcs (Rollan & Sourou, 2006).

243 Par rapport à l’absence de diplômes, selon le Haut Conseil à l’Intégration (2011), l’écart entre im-

migré et non immigré pour les 15-29 ans est de 17 points dans les ZUS (37% contre 20%) et de 16 points en-dehors des ZUS (26% contre 10%). Concernant le taux de chômage des immigrés de quinze ans ou plus, en 2009, il était environ deux fois supérieur à celui des non immigrés de la même tranche d’âge : 16% contre 8,5% (INSEE, 2009).

244 Ce constat est aussi vrai dans bien d’autres domaines des politiques sociales dites de « discrimina-

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ethniques » dans les quartiers dits « sensibles », et les populations d’origine turque, par leur implantation géographique, sont implicitement concernées. C’est en ce sens que ces mesures font ressortir les contradictions et limites du républicanisme « à la française ».

3.3.2 – … et « double jeu » institutionnel

En France, à la différence des pays anglo-saxons et notamment des Etats- Unis, la loi interdit formellement de prendre en compte des critères religieux, « ra- ciaux », « ethniques » ou « phénotypiques » dans le cadre de l’élaboration des poli- tiques publiques en général245, et des politiques sportives en particulier. Cependant, la coïncidence objective relevée ci-dessus a favorisé le développement, localement, d’un véritable « double jeu » institutionnel qui se nourrit principalement du rapport paradoxal des principes à la réalité (Calvès, 2004). A cet égard, la mise en applica- tion des textes instituant les médiateurs sociaux ou les animateurs « socio-sportifs » (Monin & Bouhaouala, 2005), qui s’inscrivent en partie dans les dispositifs de « dis- crimination positive territoriale », est particulièrement éclairante : globalement, on observe une tendance bien affirmée à l’ethnicisation des modes d’intervention. Ce qui veut concrètement dire qu’au sein des services municipaux des grandes métro- poles, la division du travail s’effectue très régulièrement en fonction de l’origine eth- noculturelle des médiateurs et animateurs (Boucher, 2008).

Premièrement, tout se passe comme si les agents chargés du recrutement des jeunes affectés à des fonctions et missions dites de « médiation sociale » ou de « médiation par le sport » adaptaient le profil des salariés embauchés à la composi- tion ethnico-communautaire du milieu d’intervention. Ainsi, dans leur travail commun,

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Signalons néanmoins que depuis le début des années 2000, la reconnaissance officielle des dis- criminations a marqué l’histoire de la condition immigrée, d’un côté en déplaçant la question de l’intégration, de l’autre côté en soulignant le fondement ethnico-racial de certaines inégalités (Fassin, 2002). A ce sujet, il nous faut insister sur le fait que cette prise de conscience des autorités françaises a été impulsée par la construction européenne, et notamment par la directive « RACE » de la Com- mission (Guiraudon, 2004). Dans le domaine du sport et des loisirs, il existe désormais un Comité de lutte contre les discriminations. Institué en mai 2011 par le Ministère des Sports français et composé d’une quarantaine de membres issus des mondes institutionnel, universitaire, sportif, associatif et médiatique, ce Comité est principalement chargé d’enrayer les phénomènes contraires aux valeurs du sport, comme le racisme, l’homophobie et le sexisme. Son action s’inscrit dans le prolongement des mesures déjà prises par le Ministère depuis quelques années (le Livre vert du supportérisme, la Charte de lutte contre l’homophobie, etc.).