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Véritable évènement national, la victoire de l’Equipe de France de football lors de la Coupe du monde 1998, suivie par plus de vingt millions de téléspectateurs dans l’Hexagone, a été l’occasion rêvée de vanter les mérites du multiculturalisme sportif d’excellence et de la France multiculturelle, « enfin amoureuse d’elle-

même »224. Emmené par A. Jacquet, le « onze tricolore », composé de joueurs pro- venant d’horizons divers – ce qui n’est pas exceptionnel pour une équipe sportive, de surcroît de haut niveau –, a conforté l’image médiatique de la réussite du « métis- sage » et de la richesse de la « diversité culturelle ». Cette Equipe « Black-Blanc- Beur », selon le qualificatif attribué par les médias, était présentée comme un moteur de l’« intégration par le sport » et comme un « symbole positif » de la rencontre entre, d’un côté, une France citadine et multiculturelle (principalement issue des quartiers populaires225) et, de l’autre, une France « éternelle », blanche et rurale, tout droit sortie des « terroirs »226. Les responsables politiques ne s’y trompèrent pas : l’aubaine était suffisamment rare, dans un contexte de crispation sur la question so- ciale et identitaire, pour que ces « figures » de la réussite tant sportive que sociale et économique soient instrumentalisées, et ce dans le but de rassurer l’opinion quant à la capacité de la France à intégrer les populations issues de la migration. Ainsi, pour le conseiller du ministre de l’Intérieur de l’époque : « Zidane a fait plus par ses

dribbles et ses déhanchements que dix ou quinze ans de politique d’intégration »227

. Les discours sur l’intégration par le sport redoublèrent aussi dans la presse, à l’image de ce titre du Monde : « Les banlieues, l’autre vainqueur de la Coupe du

monde »228, ou de celui-ci dans le Nouvel Observateur : « Quand le foot fait la

France »229. De nouveaux dispositifs socio-sportifs étaient par ailleurs lancés dans les quartiers dits « sensibles » par le Ministère de la Jeunesse et des Sports, tandis que la troisième génération du chômage de masse et de la précarisation du travail pointait déjà le bout de son nez. Parmi les actions les plus emblématiques, on peut

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The indépendant, 23 juillet 1998 (article cité par Gastaut, 2006-07).

225 A l’instar de Z. Zidane, L. Thuram, T. Henry, R. Pires et B. Diomède. Comme le souligne néan-

moins à ce propos S. Beaud (2011) : « Les Bleus de 1998 comptent dans leurs rangs des enfants

ayant grandi en cité, mais ils sont largement minoritaires » (p. 151).

226 A l’instar de F. Barthez, L. Blanc, B. Lizarazu, D. Deschamps, C. Dugarry, E. Petit, F. Lebœuf et S.

Guivarc’h. A ce sujet, il faut par ailleurs noter que ces joueurs sont tous issus des classes populaires traditionnelles implantées dans des bourgs ou des petites villes de France (Beaud, 2011).

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Interview de S. Naïr, Le Nouvel Observateur, 24 décembre 1998.

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par exemple citer les « nuits antiracistes de la Coupe du monde » organisées con- jointement par SOS Racisme et le Ministère de la Jeunesse et des Sports, ou encore l’opération intitulée « Cités Foot », pilotée par l’association SINER’J de Saint-Quentin en Yvelines, qui consistait à organiser un tournoi inter-quartiers réunissant 150 équipes de jeunes de 13 ans, tous issus de zones urbaines sensibles (ZUS) (Martel, 2010).

Cependant, avec un peu de recul dans le temps, force est de constater que le slogan rassembleur d’une France « Black-Blanc-Beur » qui gagne, allègrement repris depuis 1998, y compris par des « intellectuels », était non seulement largement trompeur mais également fortement contre-productif. En effet, il passait d’une part sous silence la représentation très faible d’enfants d’immigrés dans l’équipe d’A. Jacquet, tout autant que la surreprésentation d’enfants issus des classes populaires (Beaud, 2011). Ainsi, parmi les vingt-trois joueurs qui ont participé à cette Coupe du monde, il n’y avait que trois enfants d’immigrés (Z. Zidane, P. Vieira et R. Pires), cer- tains autres ne possédant tout simplement pas l’apparence physique des « Français de souche », parce que, pour la plupart, provenant des DOM-TOM (T. Henry, B. La- ma, B. Diomède, C. Karembeu et L. Thuram). Par contre, il y avait de nombreux en- fants issus des classes populaires traditionnelles (F. Barthez, B. Lizarazu, D. Des- champs, L. Blanc, E. Petit, Y. Djorkaeff, S. Guivarc’h, F. Lebœuf, V. Candela, L. Charbonnier…), ayant grandi dans des familles stables et ancrées dans des terri- toires géographiques bien définis (Beaud, 2011). D’autre part, le slogan « Black- Blanc-Beur » s’est révélé contre-productif, dans la mesure où il a contribué, d’autant plus par sa résonance médiatique, à la promotion et à la consécration d’un modèle « raciologico-culturel », du même type (mais de manière symétrique et inverse) que celui qui est actuellement propagé par la droite la plus conservatrice dans toute l’Europe (Reynié, 2011), qui fragmente la société française, la fait vaciller, et qui en- ferme les individus dans leurs particularités, voire dans des destins presqu’écrits d’avance (Castel, 2007). Pour le dire autrement, derrière le slogan « Black-Blanc- Beur » se cachait l’idée du métissage et de l’interculturalité, qui impliquait nécessai- rement de définir les groupes à mélanger en amont et donc de les construire en tant que tels, à l’aide de caractéristiques « primordialistes » et « essentialistes ». On peut

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faire l’hypothèse que cette formule consacrée par la victoire de la France en Coupe du monde 1998 a en partie contribué à l’installation dans l’Hexagone des thèses ra- cistes et populistes de l’extrême-droite230, d’autant qu’elle est rapidement apparue

comme le cache-misère d’un processus illusoire (Blanchard & Bancel, 2003). Depuis lors, J.-M. Le Pen en a d’ailleurs profité pour dénoncer le nombre important de joueurs de couleur noire en Equipe de France de football, tout en y voyant une preuve décisive de la supériorité athlétique – et de son corollaire, l’infériorité intellec- tuelle – des Noirs sur les Blancs231, ce qui relève bien d’une doctrine raciste (Ben- bassa, 2010).