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En principe, respecter ses principes humanitaires contribue à l’obtention des résultats plus efficaces dans la mise en œuvre de l’action humanitaire (Brauman, 2017; OCHA, 2008). Toutefois, si cette affirmation est de plus en plus vérifiée dans les situations de conflits internationaux et non internationaux, elle le demeure moins dans le cas des conflits terroristes. En effet, le respect des principes humanitaires par les organisations ne garantit pas que les groupes armés (souvent désordonnés) accepteront l’obligation de les laisser agir en toute liberté conformément au droit humanitaire international. Il est donc téméraire de fonder les opérations humanitaires sur le respect strict des principes lorsqu’on n’a pas la possibilité de dialoguer avec les acteurs en face. En outre, les dispositions des humanitaires stipulent qu’elles doivent dénoncer les cas de violations des droits humains (Schloms, 2005). Or, les organisations intervenant au Burkina Faso sont dans une posture où « rechercher et préserver l’acceptation peut exiger que les organisations restent silencieuses au sujet des abus des droits de l’homme. Car, faire entendre sa voix pourrait créer des risques de sécurité sur le terrain ou entraîner l’expulsion de l’organisation» (Humanitarian Practice Network, 2010, p. 73). En d’autres termes, l’acceptation des organisations peut être compromise par les groupes armés si elle dénonce leurs abus ou l’organisation risque d’être expulsée du territoire national si elle dénonce des abus venant des autorités. En conséquence, elle ne pourra plus assister les populations vulnérables, mais se taire sur des éventuels abus serait une manière de les cautionner selon Schloms. Une décision complexe, car, « une organisation pourrait se sentir obligée de s’exprimer contre les

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atteintes aux droits humains, mais au risque d’écourter son assistance et à l’avenir de ne plus pouvoir agir contre les abus » (Humanitarian Practice Network, 2010, p. 74) tout comme MSF a été expulsé en Éthiopie en 1985 après avoir dénoncé l’instrumentalisation de la famine par les autorités ou ces 13 ONG expulsées du Soudan pour leurs attitudes contraires aux dispositions des autorités (Matei, 2016).

Les organisations ont un autre choix qui est celui de collaborer avec les autorités, mais cela signifie que ces organisations ont perdu leur neutralité dans le conflit et ont donc choisi leur camp. Ce choix est plus ou moins bénéfique, car il permet à l’organisation d’avoir une protection armée, des facilités dans la mise en œuvre de ses actions et à l’autorité d’avoir de la légitimité vis-à-vis des instances internationales comme l’explique Schloms (2005). Une position totalement assumée par les structures déconcentrées de l’État interrogé sur le terrain, qui n’ont d’ailleurs pas le choix du fait de leur affiliation à la fonction publique. Cependant, sur le terrain, toute organisation étatique ou proche de l’État est une cible potentielle des groupes armés. Collaborer avec les autorités de l’État signifie aussi courir le risque de subir une attaque des groupes armés qui n’hésitent pas à s’en prendre violemment aux personnes ou organisations suspectées de collaborer avec le gouvernement.

Tout compte fait, pendant que certaines organisations estiment se méfier de cette collaboration, d’autres prétendent que c’est cette collaboration qui traduit leur légitimité sur le terrain des opérations.

5.2.2 Négociation ou pas de l'accès humanitaire avec les terroristes Au Burkina Faso, bien que les organisations jouissent de leur principe d’indépendance opérationnelle, il leur est formellement interdit d’entamer des négociations avec les groupes armés. Une interdiction formalisée par des lois nationales précédemment citées et des dispositions internationales qui ne cautionnent les négociations que si le conflit est déclaré international ou non international. De ce fait, toute organisation qui entamerait des négociations d’accessibilité avec les groupes terroristes risque de se voir expulsée par les autorités nationales pour violation des lois en vigueur ou d’être accusée de collusion avec les groupes armés avec le risque d’être frappée par les sanctions américaines conformément aux lois antiterroristes. Une expulsion qui priverait les populations d’une assistance, bien que les besoins humanitaires soient croissants. La négociation avec les groupes armés pourrait aussi supposer qu’ils bénéficient de l’assistance humanitaire pour se soigner, se nourrir et perpétuer le conflit. Mais, cette négociation a l’avantage de permettre aux organisations d’avoir un champ d’intervention plus large pour sauver plus de vies sans subir d’agressions comme cela a lieu dans les conflits terroristes afghan et somalien (TEMPS, 2015).

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Ne pas négocier avec les groupes armés maintient le personnel humanitaire dans une psychose constante, à cause des attaques imprévisibles. Négocier ou ne pas négocier revient aux organisations de choisir entre la légalité et la possibilité de sauver plus de vies. Car, sur le terrain, si certaines organisations humanitaires internationales évoquent des avantages en négociant avec les groupes armés pour la mise en œuvre de l’action humanitaire, pour les ONG de développement il est préférable d’agir dans la légalité. Reste à savoir comment négocier avec des groupes qui n’ont pas une hiérarchie connue avec laquelle les organisations pourraient négocier. Pour la gestion de ce dilemme, les organisations humanitaires restent attacher à leurs cadres éthiques en évitant toute négociation. Elles choisissent donc la légalité pour la gestion de ce dilemme en référence au cadre éthique. En prenant cette décision, les organisations choisissent aussi de ne pas compromettre les possibilités qu’elles ont pour assister les personnes affectées. Ce qui témoigne d’un haut attachement à l’impératif humanitaire. Les raisonnements affectif et introverti ont donc été privilégiés pour la gestion de ce dilemme.