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Stratégiquement cette approche adoptée par l’ensemble des organisations vise l’acceptation des projets et programmes par les communautés hôtes et bénéficiaires. Ce qui pourrait favoriser une tolérance des organisations par les groupes armés qui infestent la zone. C’est un processus long et complexe qui oblige les organisations à s’adapter aux traditions, aux pratiques culturelles et religieuses de ces communautés sans exprimer de jugements. Ainsi, les organisations font l’effort d’adapter leurs mandats aux aspirations des communautés hôtes, comme la responsabilisation des communautés locales, la réduction de la visibilité pour ne pas attirer l’attention des groupes armés, le développement des thématiques acceptées par les communautés et la promotion des principes humanitaires pour ne pas être la cible des groupes armés. Toutefois, l’acceptation des organisations par les communautés bénéficiaires ne signifie pas leur tolérance systématique par des groupes armés. Ce qui justifie d’ailleurs l’abandon de certaines activités en lien avec des thématiques sur la lutte contre les mariages forcés et précoces, la lutte contre l’excision, les sensibilisations sur le planning familial, la santé reproductive. Ces organisations choisissent d’être flexibles sur l’application de leurs mandats, car les questions relatives au « sexe » sont encore un tabou dans les localités victimes du terrorisme. Ce sont des communautés locales conservatrices dont une majorité juge ces sensibilisations perverses qui vont à l’encontre des normes religieuses et emmènent certains individus de la communauté à se radicaliser au profit des groupes armés. C’est d’ailleurs l’une des raisons de leur combat contre les organisations occidentales qui sont jugées coupables de la perversion de la société. C’est pour cela que la stratégie de réduction ou de l’absence de la visibilité est adoptée par les organisations

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internationales sur le terrain pour ne pas attirer l’attention des groupes armés. Elle se traduit par le retrait des logos des organisations, l’utilisation de véhicules neutres, le remplacement des plaques des voitures de l’État qui sont généralement de couleur rouge par une couleur blanche (couleur des particuliers), afin de pouvoir intervenir sans être ciblé.

Dans le même sens que les répondants, cette approche selon Vinhas (2014) et Roth (2015) cherche à réduire la menace sécuritaire sur le personnel des organisations et les bénéficiaires par l’instauration des relations de confiance avec les acteurs locaux par la transparence des actions menées et la réponse aux besoins réels des populations bénéficiaires (Roth, 2015; Vinhas, 2014). En référence au cadre d’analyse, tous ces efforts de concession faits par ces organisations montrent que c’est la vie des populations affectées qui est au centre des stratégies adoptées, d’où leur très haut attachement à l’impératif humanitaire. Cette approche d’acceptation regroupe principalement les ONG internationales et les organes des nations unies apolitiques qui interviennent avec des programmes d’urgence et de développement pour réduire la vulnérabilité des populations.

Cependant, les différentes stratégies employées pour favoriser l’acceptation sont souvent paradoxales. En effet, par mesure de sécurité les mouvements du personnel international et de certains cadres nationaux sont extrêmement restreints. Ce qui justifie d’ailleurs le transfert du risque aux organisations locales. Alors, comment créer une relation de confiance avec des populations locales si le contact physique est restreint par des mesures sécuritaires, quand on sait que l’acceptation est basée sur une étroite collaboration avec ces dernières (Roth, 2015; Vinhas, 2014) ? En outre, comment savoir si l’intervention répond aux besoins réels des communautés quand on sait que la mise en œuvre pratique des activités est déléguée à du personnel local qui n’est pas permanemment supervisé ? Ces mesures de délégation créent un fossé entre les travailleurs humanitaires et les bénéficiaires selon Roth (2015) et « peuvent miner l’acceptation, car les maisons des expatriés sont transformées en prisons volontaires et peuvent être préjudiciables à l’effectivité de l’accès humanitaire » (Vinhas, 2014, p. 3). Néanmoins, même si la présence effective des cadres du personnel humanitaire auprès des acteurs locaux peut être appréciée par ces derniers pour établir un lien de confiance, cette présence peut aussi être perçue comme une collusion ou une activité de collecte de renseignements par les groupes armés comme le confirme Vinhas (2014). Surtout lorsqu’on sait que des individus s’organisent de partout en groupes armés, avec des attaques de plus en plus arbitraires et une méconnaissance des principes humanitaires sur la base desquels travaillent les organisations humanitaires. A priori, la

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promotion des principes humanitaires permet aux organisations de montrer aux parties prenantes du conflit qu’elles n’ont pas de parti pris. Comme l’explique Audet (2011), les principes humanitaires sont des normes contenues dans la charte humanitaire, que l’acteur humanitaire utilise pour réaliser son mandat qui est de porter assistance aux personnes affectées par un phénomène. Dans le cadre d’un conflit déclaré international ou non international selon le DIH, la promotion des principes humanitaires protège aussi bien l’intégrité physique du personnel, mais permet aussi aux victimes d’avoir accès à l’assistance, car les organisations parviennent à dialoguer avec les belligérants pour faciliter sa mise en œuvre dans les territoires de chaque occupant. Mais, dans le cas spécifique du terrorisme au Burkina Faso, la promotion des principes humanitaires reste un défi immense, car non seulement il n’y a aucune possibilité pour les organisations de discuter des procédures de mise en œuvre de l’assistance avec des groupes qui ne revendiquent pas un territoire conquis, mais cette négociation est formellement interdite par les autorités du pays. Ce qui complique la promotion des principes de neutralité et d’indépendance opérationnelle selon plusieurs organisations humanitaires internationales.

Outre ces raisons, Audet (2011) estime que la politisation de l’action humanitaire a entrainé une dégradation de l’espace humanitaire et une dilution des principes qui ont un peu perdu leur crédibilité. Par conséquent, le respect des principes ne constitue plus une condition suffisante pour permettre aux organisations d’agir sur des terrains sécurisés en ayant accès aux populations sans être inquiétés. Mais globalement, tous les répondants estiment bannir toute forme de discrimination et d’exclusion dans la mise en œuvre de l’action humanitaire, ce qui témoigne d‘une belle promotion du principe d’impartialité. Mais de tout ce qui précède, on relève un respect relativement faible des principes de neutralité et d’indépendance à cause du caractère terroriste du conflit qui oblige les organisations à être beaucoup plus du côté des autorités, même si elles ne l’affichent pas sur le terrain. Une situation qui ne dépend pas des organisations, mais des autorités qui n’ont pas encore déclaré le conflit international ou non international et interdisent toute discussion avec ces groupes armés non étatiques.

5.1.2 L’approche basée sur la protection

L’assistance humanitaire a toujours été critiquée pour la lenteur chronique et générale de mise en œuvre des opérations et l’inefficacité à répondre aux besoins urgents dans les périodes critiques (Mardini, 2012). Même si les organisations évoquent des raisons de procédures telles que l’identification des bénéficiaires, des voies et des outils de mise en œuvre, en plus des procédures administratives qui doivent tenir compte de chaque contexte, elles reconnaissent que l’impatience des

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populations affectées par les catastrophes est légitime (Mardini, 2012). Dans ce contexte terroriste, en plus de la lenteur reconnue dans l’exécution des opérations humanitaires, s’ajoute le départ du personnel expatrié des zones sensibles qui contraint les organisations à développer des stratégies de gestion à distance, de création de bureaux de gestion de la sécurité au sein des organisations, l’évitement du risque et l’adoption des bonnes attitudes pour se protéger. La stratégie de gestion à distance est une mesure d’adaptation qui permet de répondre selon Berdoulet (2011), aux défaillances engendrées par le départ du personnel international (Berdoulet, 2011). Une stratégie qui constitue aussi bien une mesure de protection du personnel que de préservation de la continuité des programmes avec beaucoup plus d’efficacité. Dans le conflit au Burkina Faso la stratégie de gestion à distance repose principalement sur l’utilisation de téléphones portables, de logiciels informatiques et d’avions, avec en amont une base de données géographique bien documentée selon certains répondants et confirmée par Mardini (2012). De façon pratique, ces moyens technologiques permettent de rester en contact avec les bénéficiaires tout en leur apportant l’assistance à distance. De toutes les stratégies de gestion à distance, l’utilisation du Mobile money reste la plus populaire, car elle est globalement moins couteuse pour les organisations avec une plus grande efficacité dans l’atteinte des objectifs des programmes, justifiant ainsi qu’elle soit passée de 0% à plus de 10% de la représentation de l’assistance humanitaire mondiale depuis son utilisation au début des années 2000 (Brück & d'Errico, 2019). Le dispositif de distribution par avion, bien que prêt, n’a pas encore été déployé dans les zones de combats qui ne sont pas totalement inaccessibles par voie terrestre, à cause de sa mise en œuvre très dispendieuse. Car, « acheminer de la nourriture par avion coûte dix fois plus cher que par la route » (Caramel, 2019). C’est pour cela qu’elle reste le dernier recours. Comme l’indique le triangle de sécurité, cette approche qui vise à réduire l’exposition du personnel aux attaques djihadistes est développée par toutes les organisations rencontrées sur le terrain, afin de répondre à l’impératif humanitaire, à cause de l’environnement politique délétère.

Toutefois, il est évident que cette gestion à distance ne saurait se substituer à la présence des humanitaires sur le terrain, surtout dans ce contexte de conflit, où certains bénéficiaires pourraient perdre leurs téléphones ou ne pas avoir accès à l’énergie pour les recharger continuellement. D’où la nécessité d’une présence de personnel sur le terrain pour veiller à une meilleure utilisation de ces outils et la collecte d’informations sur les changements survenus. Une remarque qui confirme l’étude de Mardini (2012), qui estime que la proximité avec les populations affectées par les conflits est toute aussi importante que l’utilité de la technologie (Mardini, 2012) qui est un moyen d’adaptation. Cette

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présence physique permet aux populations de ne pas se sentir abandonnées et isolées, elle évite aussi une situation facilitant l’embrigadement des populations par les groupes armés. En outre, une absence physique prolongée des organisations sur le terrain pourrait entrainer une détérioration progressive de l’efficacité des objectifs des programmes à cause du délaissement des acteurs locaux dans l’exécution des activités sans une supervision (Berdoulet, 2011). Il revient aussi aux organisations de veiller à ce que le cash transmis aux populations affectées ne soit pas détourné pour des activités terroristes, sachant que les vols, les intimidations et les menaces sont des stratégies employées par les groupes armés contre les populations civiles.