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C’est une approche qui vise à protéger le personnel des organisations et les populations bénéficiaires de l’assistance contre les attentats terroristes en réduisant le risque d’exposition des communautés bénéficiaires. Pour cela, plusieurs stratégies sont développées pour non seulement réduire les mouvements des différents acteurs, mais optimiser l’efficacité des projets et programmes.

4.5.3.1 La stratégie de gestion des opérations à distance

Dépendamment du niveau d’insécurité qui pourrait entraver le déplacement du personnel d’exécution, certaines organisations développent des mécanismes de gestion à distance. L’ensemble de ces mécanismes consiste à la réduction des mouvements des acteurs. Plusieurs actions stratégiques relèvent de cette approche :

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- L’assistance par avion : les organisations rencontrées n’ont pas encore utilisé ce moyen au Burkina Faso, car pour eux la crise sécuritaire n’est pas encore à un niveau d’utilisation d’une assistance par avion. Mais le dispositif est prêt à être déployé en cas de besoin. « Par exemple si les terroristes nous bloquent l’accès dans une zone, nous allons passer

en haut par hélicoptère ou par avion et atterrir si on peut ou bien larguer si on ne peut pas. On a déjà identifié des points de largage et on a les contacts des personnes-ressources pour récupérer les vivres » E1.

- Le transfert monétaire (le cash) : cette technologie facilite l’accès des bénéficiaires à plusieurs tonnes de vivres sans que le personnel ne se déplace. Elle nécessite cependant un réseau téléphonique et un marché fonctionnel, car elle consiste à un transfert d’argent par « Mobile money » (téléphone portable) aux bénéficiaires qui s’approvisionnent directement sur un marché fonctionnel. En amont, un réseau de commerçants et de détaillants de produits alimentaires est mis en place par les organisations au niveau local et qui s’assurent de leurs approvisionnements. Ainsi, une fois que ces commerçants sont approvisionnés, le cash est transféré aux bénéficiaires à travers le système de mobile money. Les bénéficiaires reçoivent ainsi le cash sur des téléphones qui leur ont été vendus à bas prix par les organisations. La réussite de cette stratégie nécessite la mise en place d’une structure fonctionnelle après une analyse approfondie de marché.

- L’utilisation d’une plateforme d’assistance (EcoData) : cette plateforme d’assistance agricole a été développée par un groupe d’ONG et permet d’assister les populations à distance en agri-conseil. Elle permet aux professionnels des organisations d’envoyer des messages vocaux et/ou des messages textes en langues locales aux bénéficiaires dans leurs téléphones cellulaires pour leur donner des informations sur la météo, les points d’eau existants pour l’abreuvage des animaux, sur les techniques culturales, etc. tout en permettant aux bénéficiaires d’appeler les agents pour exposer leurs préoccupations. - La mise en place de traceurs sur les véhicules : il s’agit d’un dispositif placé sur les

véhicules de certaines organisations par leurs départements de sécurité, afin de suivre tous les déplacements des agents qui font des sorties terrain. Ce dispositif permet de connaitre la position des agents en temps réel à distance. Ainsi, en cas d’incident l’alerte est donnée avec une localisation précise.

4.5.3.2 La stratégie d’évitement du risque

Il s’agit en premier lieu d’une délocalisation des sites de distribution de l’assistance humanitaire en partenariat avec des organisations partenaires dans une zone mieux sécurisée hors de la localité des bénéficiaires. Ainsi, si la distribution devait se tenir dans un site A où résident les bénéficiaires, pour des raisons d’insécurité la distribution est délocalisée dans un site B mieux sécurisé, moins risqué, accessible par les transporteurs et situé à une distance raisonnable du lieu de résidence des bénéficiaires (une vingtaine de kilomètres au plus). Ainsi, une fois le site B identifié et communiqué aux bénéficiaires, ceux-ci sont chargés de désigner des représentants qui viennent chercher l’assistance pour la distribuer ensuite dans les villages. Comme la cible des groupes armés n’est pas

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directement les organisations, mais « l’aide venant de l’occident » (E1), cette stratégie permet d’éviter le risque d’exposition des bénéficiaires aux attaques des groupes armés en limitant leurs déplacements et le regroupement de milliers de bénéficiaires qui pourraient attirer l’attention des groupes armés. L’évitement du risque en changeant de point de distribution est suivi d’une distribution rapide, car le temps critique est d’environ 48h. C’est-à-dire, « 48 heures est le temps nécessaire pour les groupes

armés de prendre les renseignements nécessaires pour mener des opérations » (E1). Cette stratégie

est mise en œuvre en étroite collaboration avec les communautés bénéficiaires qui ont accepté les organisations intervenantes et collaborent pour l’identification des sites mieux sécurisés.

4.5.3.3 La création d’un service de sécurité au sein des organisations Le rôle de ce service est de faire une analyse approfondie de la situation sécuritaire des zones d’intervention de l’organisation. Ce service développe une base de données bien documentée et une cartographie qui affiche le niveau de sécurité de chaque localité et identifie les voies d’accès dans chaque zone. Le responsable du service sécurité d’une organisation explique, « par exemple pour

avoir accès à la province de l’Oudalan : nous avons la liste des partenaires de travail et leurs contacts, notamment les personnes clés (notables, leaders), les églises, les mosquées, les forces de défense et de sécurité et les élus locaux. On sait quelles routes emprunter, quelles personnes contacter une fois sur le lieu, etc. avant chaque opération, nous faisons une analyse, si on peut on y va et si on ne peut pas on n’y va pas » (E1). La création du service de sécurité exige beaucoup de moyens techniques,

financiers et de ressources humaines de qualité que d’autres organisations ne peuvent pas s’offrir. Ce service est développé principalement par les organisations qui mènent des interventions humanitaires selon nos informations de collecte.

4.5.3.4 La stratégie d’adoption des bonnes attitudes

Chaque organisation développe des mesures sécuritaires en interne ou des attitudes qu’elle recommande à son personnel de mise en œuvre. Ces attitudes varient d’une région à l’autre dépendamment des groupes armés présents, de la sévérité du conflit et des pratiques socioculturelles des communautés locales. Elles favorisent une meilleure protection du personnel et l’amélioration de la performance des projets/programmes. Parmi les attitudes citées, il s’agit pour les agents de :

- Faire des visites surprises : il s’agit de se rendre sur le terrain pour mener des activités spécifiques sans au préalable prévenir les acteurs qui seront rencontrés. Elle vise à éviter de donner des indices sur les déplacements des agents, afin que l’information ne soit pas connue par les groupes armés qui pourraient avoir le temps de leur tendre une

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embuscade. « Quand on part sur le terrain, on ne prévient pas. Avant quand on se

déplaçait, on appelait les producteurs et les comités villageois de développement pour dire qu’on viendra dans tel jour. Le matin avant de bouger on appelait, mais plus maintenant »

(E13).

- Réduire le temps d’exécution des activités terrain : il s’agit de mener des activités de courte durée pour éviter que les groupes n’aient le temps de se renseigner pour mener des attaques contre les agents ou les bénéficiaires.

- Rester toujours en contact avec la base : il convient d’appeler régulièrement la base ou le service de sécurité toutes les heures au minimum pour donner sa position et sa situation sécuritaire lorsqu’un agent est en sortie terrain. Cela permet de suivre son itinéraire et savoir à quelle position lancer l’alerte en cas de problème.

- Éviter d’emprunter la même voie à l’aller et au retour : cette mesure permet aux agents d’échapper aux attaques des groupes armés si après leur passage ils attendaient leur retour pour les appréhender.

- Éviter d’être le premier et le dernier à emprunter un axe : en effet, les routes sont très souvent piégées avec des mines artisanales par les groupes armés contre les forces de défense et de sécurité républicaines. En étant le premier à emprunter l’axe très tôt le matin ou tard dans la nuit, vous pouvez être la première victime. « Nos agents se déplacent entre

9h et 14h » (E7).

- Éviter d’être proche d’un convoi militaire : il est préférable de laisser le convoi militaire s’éloigner avant de reprendre la route, car ils sont les premières cibles des groupes terroristes. En les suivant de près, l’on peut être une victime collatérale en cas d’attaque ou de l’explosion d’un engin. Aussi, la proximité avec les FDS est formellement interdite dans d’autres circonstances comme manger dans un restaurant proche d’un camp militaire, d’un commissariat, d’une gendarmerie ou bien garer un véhicule de l’organisation à côté. Un coordonnateur de projet estime que l’implantation des bureaux d’une organisation tient compte de cette distanciation avec les locaux des services de sécurité. - Suivre les mouvements des populations : dans le cadre de la mise en œuvre des activités terrain, il est conseillé de se déplacer les jours où il y a assez de mouvement sur les axes. Dans cette ambiance, les groupes armés se déplacent peu, sachant qu’ils peuvent être débusqués. De ce fait, les jours de marché sont les mieux indiqués pour faire des déplacements pour la réalisation des activités.

- Réduire les activités regroupant beaucoup de monde : il est recommandé de réduire ces activités ou les mener autour de petits groupes, car les groupes terroristes ont un réseau d’informations développé. Ils peuvent se renseigner très rapidement et mener des attaques d’une grande envergure.

- Produire des variétés hâtives et à basse hauteur : certaines organisations recommandent aux communautés locales de produire des variétés agricoles qui produisent rapidement, afin d’obtenir leurs récoltes dans un délai relativement court et des cultures à basse hauteur à côté des concessions qui laissent la possibilité de voir les

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groupes armés venir de loin, afin de pouvoir s’échapper. Cela donne une certaine visibilité de loin pour que les populations ne soient pas surprises par les attaques.

- S’adapter aux principes de vie des communautés : il s’agit de ne pas être en déphasage avec les habitudes sociales et culturelles de la communauté.

- Être vigilant et prudent : l’intervention dans les zones complexes recommande d’être vigilant et regardant sur le changement de comportement des communautés ou des bénéficiaires. Par exemple, « si vous empruntez certains axes que vous savez que

d’habitude il y’a beaucoup d’affluence, et qu’après cinq minutes de routes vous ne voyez personne, il faut vous arrêter. Attendez qu’il y ait des passants avant de continuer. Parce que si les gens ne viennent pas pourtant la voie est habituellement fréquentée, il peut y avoir un problème devant » (E9).

- Motiver financièrement les agents : la complexité de la situation sécuritaire recommande de prendre des mesures financières attrayantes pour encourager le personnel de mise en œuvre. Cela motive surtout le personnel endogène dans l’exécution des actions en faveur des populations vulnérables.

L’ensemble des approches stratégiques évoquées contribuent aussi bien à la mise en œuvre des programmes humanitaires que des programmes de développement réalisés par les ONG nationales et internationales, les organes des Nations Unies et les services déconcentrés de l’État.

Les cadres normatifs définissant les différentes stratégies

En dépit du contexte sécuritaire délétère, les organisations humanitaires et de développement interrogées ont exclu l’idée de tout départ définitif des zones dans lesquelles les risques sont élevés. En effet, ces dernières estiment que même si l’accès est difficile c’est un devoir moral et de responsabilité pour elles de poursuivre leurs actions, car c’est dans cette période de crise que les populations ont plus besoin de leur accompagnement. D’où l’obligation de développer des stratégies pour poursuivre les actions. Mais, ces stratégies doivent suivre un certain nombre de cadres normatifs ou de valeurs que les répondants jugent capitales :

- L’impératif humanitaire : À cet effet, le Directeur d’une ONG humanitaire décline en ces termes la volonté qui anime son action qu’il juge noble, « on va continuer d’intervenir! On n’a

pas le choix, c’est notre raison d’être. On porte secours à des gens qui sont en détresse, nous on se dit que c’est maintenant qu’ils ont plus besoin de nous et ce n’est pas le moment de reculer » (E13). Tout comme l’expliquent plusieurs autres organisations, la définition d’une

stratégie d’intervention doit relever de la volonté de l’organisation d’assister les populations vulnérables. Cette assistance doit être perçue comme un impératif.

- Le Principe du « do no arm » : l’ensemble des organisations humanitaires tiennent compte de ce principe transversal qui stipule que l’assistance des populations ne doit pas créer des

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effets pervers en exposant les populations à des attaques armées. Par exemple « pendant le

mois de décembre, nous devons assister 340 000 personnes et il y a des endroits où nous avons 40 000 bénéficiaires venant de 20 à 100 villages. Il est donc difficile de rassembler tout ce monde pour faire une distribution en moins d’une semaine. Pour cela, on les scinde en petits groupes pour faire une distribution rapide de 24h dans les villages pour ne pas exposer les bénéficiaires, en jouant sur l’effet d’impréparation » (E1). Cette flexibilité dans la mise en

œuvre des opérations humanitaires permet aux organisations de minimiser les impacts négatifs des opérations. Ainsi, les stratégies ne doivent pas causer plus de mal qu’elles ne font du bien aux bénéficiaires.

- L’intensification des actions en faveur des femmes et des enfants : les femmes et les enfants sont les plus vulnérables, surtout en cette période des conflits. « La femme reste celle

qui tient le foyer et quand ça chauffe les hommes fuient en laissant les femmes et les enfants et ça devient difficile » (E2). Les stratégies doivent viser prioritairement l’accès et la prise en

charge des femmes et des enfants.

- Le caractère apolitique des actions : il est impératif de responsabiliser les communautés locales à la prise des décisions qui les concerne. Les organisations doivent cependant éviter par exemple de responsabiliser les acteurs selon leurs obédiences politiques.

Globalement les organisations ne définissent pas leurs stratégies selon un cadre normatif figé, mais le but c’est de pouvoir intervenir sans risquer la vie des agents et des bénéficiaires dans la transparence, la neutralité en tenant compte de l’équité sociale tout en maximisant les actions sur l’accompagnement des femmes et des enfants. En dépit de ces normes et de ces stratégies, les organisations sont confrontées à d’énormes défis humanitaires.

Dilemmes et défis humanitaires

Les organisations sont confrontées à des dilemmes dans la mise en œuvre des programmes. Ces défis s’articulent autour de la collaboration avec les FDS, de l’absence de visibilité des organisations, du respect des principes humanitaires et de la négociation humanitaire avec les groupes armés.