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Elle se construit sur des contre-menaces de nature armée, juridique ou le pouvoir diplomatique des États pour assurer l’atteinte des objectifs d’un programme humanitaire en mettant la pression sur les belligérants (Nabi, 2009). Même si l’utilisation d’une protection armée crée un sentiment de méfiance des communautés vis-à-vis du personnel humanitaire, la gestion de la sécurité des humanitaires est complexe et peut avoir des conséquences imprévues. Par exemple, le déploiement de la logistique pour la mise en œuvre d’une opération humanitaire peut attirer des convoitises par rapport aux biens et être source de violences, d’où la nécessité de l’utilisation d’une protection armée pour assurer la sécurisation des opérations humanitaires à risque (Vinhas, 2014).

Tout compte fait, aucune approche sécuritaire ne peut éviter le risque zéro. Les organisations travaillent à réduire leur exposition aux menaces, car la gestion de la sécurité est un processus d’attention continue dans un contexte d’intervention qui change constamment. Il est ainsi complexe d’évaluer l’efficacité d’une approche sécuritaire jusqu’à la production du prochain drame. La forte mobilité des groupes terroristes fait que ni une bonne approche sécuritaire ni la bonne maitrise de la zone d’intervention ne suffisent pour éviter des prises d’otages ou des attentats (Vinhas, 2014). La

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théorie du triangle de sécurité élaborée par la Revue des bonnes pratiques sur la sécurité humanitaire nous permet, comme nous venons de le voir, de disposer d’un aperçu large des différentes stratégies que peuvent développer des organisations humanitaires confrontées à des situations à risque. En postulant que le contexte terroriste au Burkina Faso rend les interventions particulièrement difficiles pour les organisations, les trois éléments du triangle : l’acceptation, la protection et la dissuasion résumées dans la figure 7 nous serviront de guide pour l’analyse des stratégies mises en place par les organisations intervenant dans notre zone d’étude.

Figure 7: Triangle de sécurité du personnel humanitaire

Source : Conception Bakyono, F. (2020), d’après Vinhas (2014)

Les éléments du triangle sont interdépendants et traduisent une complémentarité des approches, car selon Nabi (2009) chaque approche peut contribuer au renforcement de l’autre (figure 7). Par ailleurs, la mise en œuvre de ces approches reste souvent complexe, car elles visent à assurer la sécurité des acteurs impliqués dans les opérations humanitaires, mais elles ont tendance à créer un éloignement physique entre personnel humanitaire, communautés bénéficiaires et groupes armés. Un éloignement qui peut susciter des soupçons de manque de neutralité selon les groupes armés qui n’hésitent pas à s’en prendre au personnel humanitaire (Gossuin & Ait-Chaalal, 2020). De ce fait, décider comment intervenir de façon neutre dans un conflit qui oppose autorités légitimes et groupes armés non étatiques, est une difficulté que les organisations doivent aussi gérer dans la mise en œuvre des stratégies développées. Cette complexité liée au contexte d’intervention est telle que les agences

Acceptation Dissuasion Sécurité du personnel humanitaire Protection

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humanitaires font face à un dilemme qui est celui de rester pour préserver l’impératif humanitaire ou partir pour préserver la sécurité du personnel et la réputation de l’organisation (Schloms, 2005).

Dilemmes humanitaires

Le dilemme selon Schloms (2005) est « une situation dans laquelle un acteur se trouve face à au moins deux obligations morales qui, premièrement, sont de même valeur et qui, deuxièmement, s’excluent l’une l’autre » (Schloms, 2005, p. 5). Faire un choix dans une situation de dilemme est un exercice difficile et une décision très douloureuse qui engendre nécessairement autant de répercussions négatives que positives. Dans une mission humanitaire par exemple, « le choix entre plusieurs groupes de populations (enfants, réfugiés, etc.) est une décision difficile parce qu’on exclut des groupes de l’aide humanitaire alors qu’ils en auraient besoin » (Schloms, 2005, p. 6). Dans les situations de conflits terroristes avec une issue incertaine, les organisations humanitaires sont donc confrontées au dilemme de « rester ou de quitter les lieux des opérations » (Vinhas, 2014, p. 7). Quitter les lieux des opérations peut se justifier par l’absence d’un espace humanitaire sécurisé pour une intervention efficace sans porter atteinte à la vie du personnel et celle des bénéficiaires. D’où une renonciation à l’impératif humanitaire. En revanche, la décision de rester sur les lieux des opérations peut se justifier par l’obligation morale de porter secours à toute personne en danger, à laquelle sont astreintes les organisations humanitaires. Ainsi, toute organisation qui fait ce choix admet que « l’acceptation du risque fait partie du travail et est nécessaire pour atteindre la population affectée » (Roth, 2015, p. 20). Par conséquent, elle s’engage « non pas à éviter le risque, mais à le gérer » (Vinhas, 2014, p. 7) . Dans ce cas, la grande question demeure, comment gérer le risque dans un environnement terroriste ? La réponse à cette question suscite une autre interrogation qui est : quelle position avoir dans un conflit qui oppose une autorité légitime à des groupes armés clandestins qui sont traqués et condamnés par le système des Nations Unies ? Les organisations doivent-elles rester indépendantes et agir selon leurs principes humanitaires ou doivent-elles se conformer aux politiques et stratégies de l’autorité légitime (Audet, 2011) ? D’une part, les organisations courent le risque d’être accusées de collusion avec les groupes terroristes si elles campent sur le respect strict des principes humanitaires. D’autre part, ces organisations perdent leurs principes de neutralité et d’indépendance dès lors qu’elles se plient aux exigences des autorités. En conséquence, elles s’exposent à des attentats.

Par ailleurs, en choisissant de se rallier aux exigences des autorités, les organisations humanitaires peuvent être expulsées, si par conviction elles dénoncent les dérives de la politique intérieure. Elles

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n’auront donc plus accès aux victimes, malgré l’urgence des besoins. Par contre, si les organisations décident de se taire sur des cas de violations et des dérives des autorités pour privilégier l’assistance des victimes, elles prennent alors le risque de légitimer le pouvoir en étant complices des violations (Matei, 2016). Cette nouvelle donne qui astreint les organisations à la dénonciation des cas de violations de droits humains dans des situations de conflits ou de régimes autoritaires, oblige les organisations à mieux dispenser l’action humanitaire pour ne pas que « les actions qui sauvent des vies participent à la perpétuation du conflit » (Schloms, 2005, p. 3). C’est-à-dire, si l’action humanitaire renforce les pouvoirs autoritaires ou si elle contribue à nourrir et soigner les auteurs des violations.

Cette analyse des répercussions de l’action humanitaire est l’option qui permet à plusieurs organisations de choisir entre rester ou partir. Par exemple, les organisations comme OXFAM, Action Contre la Faim (ACF), Médecins Sans Frontière (MSF), Médecins Du Monde (MDM) ont quitté la Corée du Nord confrontée à la famine dans les années 1990, à cause de la difficulté à répondre à ces différentes questions évoquées ci-dessus. MSF déclarait alors que « l’aide humanitaire ne peut aider les plus vulnérables que si elle est librement distribuée » (Schloms, 2005, p. 8) et ACF dénonçait que « les autorités privent délibérément l’assistance à des centaines de milliers de Coréens et l’aide n’alimente, de fait que les populations que le régime a d’emblée choisi de privilégier» (Schloms, 2005, p. 8). Autrement dit, l’assistance était dans ce cas instrumentalisée par les autorités et sa mise en œuvre ne respectait pas les principes humanitaires. En réaction, ces ONG ont décidé d’abandonner l’impératif humanitaire en quittant le théâtre des opérations, jugeant que le comportement des autorités heurtait les valeurs et principes défendus par leurs organisations. Cependant, dans d’autres contextes sécuritaires comme l’Afghanistan et la Somalie ou sévissent des groupes terroristes, les organisations humanitaires restées sur place ont pu obtenir une concession des chefs combattants des talibans (Afghanistan) et des Shebab (Somalie) pour un transit sécurisé des convois humanitaires pour l’assistance des populations qu’ils contrôlent (TEMPS, 2015). Ces exemples traduisent un monde humanitaire en mutation (Matei, 2016), car si dans certaines contrées les organisations humanitaires se voient dans l’obligation de partir, dans d’autres elles préfèrent négocier avec les belligérants pour accéder aux populations nécessiteuses. Un processus de prise de décision disparate dans la gestion des dilemmes, afin de favoriser le secours du maximum de personnes affectées tout en minimisant les répercussions négatives, ce qui est le sens même de l’action humanitaire selon Matei (2016).

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La gestion du dilemme dans les situations complexes par les organisations est un raisonnement fondé sur les valeurs et les objectifs défendus par les organisations, dans le but de faire un choix (Schloms, 2005) qui permet de minimiser les effets pervers de l’action humanitaire et de secourir plus de personnes (Matei, 2016). Pour ce faire, les résultats d’une étude menée par Schloms (2005) dans un contexte humanitaire complexe en Corée du Nord explique que les décisions face aux dilemmes humanitaires sont influencées d’abord par le degré d’attachement des organisations à l’impératif humanitaire, notamment celui de sauver les populations vulnérables, ensuite elles tiennent compte du cadre éthique, c’est-à-dire du mandat, des principes humanitaires et des valeurs défendues par les organisations et enfin les décisions tiennent compte de l’environnement politique qui détermine la conduite des organisations vis-à-vis des acteurs politiques. Sur la base de ces trois facteurs, les organisations adoptent trois raisonnements pour la gestion des dilemmes.