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estiment avoir une interdiction formelle d’entrer en négociation ou en contact avec des groupes armés. « Le gouvernement du Burkina est reconnu par les Nations Unies et la communauté internationale. Il

y a une position internationale qui estime que ce sont des groupes armés non fréquentables. Car, ici nous sommes dans un pays ou ce n’est pas un conflit entre deux protagonistes, mais une attaque terroriste contre le gouvernement et le peuple burkinabé. Nous avons donc interdiction totale d’interaction avec ces groupes » (E1). Ces propos d’un cadre d’une organisation humanitaire sont

corroborés par deux lois du Burkina Faso interdisant l’interaction avec des groupes opposés aux intérêts de l’État. La première loi stipule que : « est puni en temps de guerre d’une peine d’emprisonnement de cinq ans a dix ans et d’une amende de un million (1 000 000) a huit millions (8 000 000) de francs CFA, et en temps de paix, d’une peine d’emprisonnement de un an à cinq ans et d’une amende de cinq cent mille (500 000) a quatre millions (4 000 000) de francs CFA, quiconque, ayant une connaissance complète de projet ou date de trahison ou d’espionnage, sur la nature desquels il ne pouvait se méprendre, n’en fait pas la déclaration aux autorités administratives, militaires ou judiciaires, dès le moment où il les a connus » et la deuxième loi indique que « est puni des mêmes peines, quiconque, étant en relation avec un individu exerçant une activité de nature à nuire à la sureté

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de l’État, n’avertit pas les autorités visées à l’article précédent dès le moment où il a pu se rendre compte de cette activité » (E1 et E16).

Ces lois encadrent formellement les mouvements des organisations et visiblement leur indépendance opérationnelle. Ces lois qui viennent s’ajouter aux activités troubles (manque de leader, objectifs inconnus, manque de revendications) des groupes armés créent des conditions défavorables à une discussion ou une négociation avec ces multiples groupes. « Vous allez négocier un accès avec un tel

groupe et un autre va venir vous attaquer, parce qu’il n’y a pas de zones totalement acquises par un groupe armé » (E15). Cependant, certaines organisations estiment que la négociation avec les

groupes armés reste une option qui pourrait faciliter l’accès des populations affectées comme cela se fait dans les pays voisins comme le Mali et le Niger qui sont confrontés à un conflit similaire (E1, E13, E16). Mais, l’État burkinabè s’est engagé dans une lutte antiterroriste avec une volonté de ne rien négocier avec les groupes armés. Une position qui limite principalement l’action des organisations humanitaires qui sont adeptes d’une approche de négociation avec les groupes armés. Quant aux organisations de développement, « lorsque c’est vraiment difficile, avec des risques pour nos agents

et nos bénéficiaires on n’y va pas. On n’est pas dans une dynamique de négociation pour atteindre notre cible » (E15).

Impacts des conflits sur les stratégies et objectifs des programmes

L’efficacité des projets/programmes humanitaires et de développement mis en œuvre à travers les stratégies développées par les organisations dans ce contexte d’insécurité grandissant est diversement appréciée par les acteurs. En effet, elle a créé une situation de psychose qui entraine le déplacement des populations, dont des bénéficiaires des projets/programmes qui migrent dans des localités plus sécurisées. Ces déplacements impactent négativement la continuité des programmes de développement. « Par exemple on a acquis du matériel pour des entrepreneurs agricoles à travers un

de nos programmes qui est fini en décembre passé. Mais jusqu’à présent le matériel est toujours dans nos magasins. Non seulement on n’arrive plus à les contacter, mais certains disent éviter les représailles des groupes armés s’ils retournent dans leurs villages avec ce matériel. On réalise des ouvrages pour des personnes qui sont déplacées. Quelle est la pertinence et la durée de ces investissements ? Quand est-ce que les populations reviendront ? Car, l’impact dépend de l’exploitation. Il est donc évident qu’il y a un impact négatif » (E3). L’atteinte des objectifs des

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qui sont mis à la disposition des populations. La mobilité des populations fait ainsi échouer plusieurs projets de développement, parce que les infrastructures sont peu ou pas exploitées, les réalisations sont peu suivies par les organisations et les renforcements des capacités reçues sont oubliés. Cet échec contraint plusieurs organisations de développement à adapter leurs programmes aux réalités vécues par les populations, c’est-à-dire associer des programmes d’urgences. À cet effet, « Si tu avais

2 ou 3 projets de développement dans une zone et que tu n’as plus la possibilité d’intervenir, il faut donc trouver un moyen d’inscrire des projets d’urgence dans les programmes de développement. C’est cette adaptabilité qui est difficile pour nous ONG de développement » (E10). Cette conversion devient

une nécessité pour la viabilité de ces organisations qui doivent désormais s’investir dans l’humanitaire, parce que les besoins des populations ont changé. Un exercice difficile pour les ONG de développement qui doivent désormais renforcer leurs capacités dans ce domaine et changer leurs dispositifs de mise en œuvre en accord avec les bailleurs de fonds.

Face à ces multiples contraintes qui entravent l’accompagnement des personnes en détresse dans la mise en œuvre des programmes de développement, quatre organisations internationales exerçant dans le développement et dans l’humanitaire estiment être satisfaites de leurs résultats. Elles disent avoir atteint plusieurs objectifs grâce à une approche multisectorielle. Cette approche est une initiative, qui de façon intégrée apporte une assistance multiforme aux populations vulnérables. Par exemple il s’agit d’apporter à un même ménage une assistance en élevage, en agriculture, en hydraulique, en cash, … de sorte que même si une activité échoue, que les autres activités permettent au ménage d’être résilient. Un initiateur de cette approche intégrée explique que « sur 4 types d’activités que

j’injecte dans la communauté, peut-être il y a une qui ne va pas marcher, mais les trois autres vont marcher et cela permettra à l’individu de se relever et l’indicateur va monter » (E2). L’approche est

plébiscitée par plusieurs organisations, car pour une intervention monosectorielle en agriculture par exemple, lorsque le bénéficiaire échoue sa saison d’hivernage, il devient vulnérable. « Mais l’approche

intégrée, avec des activités avant, pendant et après l’hivernage sur divers volets, nous permet d’atteindre nos résultats » (E16). En ayant des activités agricoles, d’élevages, du cash et des

formations sur la transformation des produits, etc. même si le ménage se déplace en laissant une activité, il pourrait continuer à mener les autres dans son lieu d’accueil. Cela diminue sa vulnérabilité.

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Appréhensions des bailleurs de fonds sur l’atteinte des objectifs des

projets/programmes

Toutes les organisations nationales et internationales interrogées sur le terrain dans le cadre de cette recherche ont au moins un bailleur de fonds international. Ces bailleurs viennent principalement des États-Unis, du Canada, de la France, de la Suisse, d’Allemagne, du Japon, etc. Ils financent plusieurs projets/programme à travers des institutions de développement, comme l’Union européenne, l’USAID US, USAID Canada, le système des Nations Unies et des coopérations inter-États dans divers domaines. Ces projets et programmes touchent plusieurs localités du Burkina Faso, dont les régions affectées par le terrorisme et plus particulièrement le monde rural. Comme décrit précédemment, les programmes exécutés actuellement souffrent d’une efficience et d’une efficacité qui limitent l’atteinte des objectifs initiaux. Ce manquement qui est intrinsèquement lié à la situation sécuritaire du pays est diversement apprécié par les bailleurs de fonds. En plus des objectifs qui sont difficilement atteints, ces bailleurs occidentaux constituent une cible pour les groupes armés, ce qui les empêche de réaliser des opérations de suivi sur le terrain, afin de constater l’effectivité et le niveau d’évolution des programmes financés. Malgré ces contraintes, « nous avons persuadé les bailleurs que ce n’est pas

le moment de partir, parce que si vous partez, c’est l’image que les populations retiendront de vous. C’est-à-dire quand ils étaient en situation de détresse, vous êtes parti. Et si tout se calme et que vous voulez revenir, ils ne vont pas vous accepter. Certains bailleurs ont compris et nous trouvent même des fonds spécifiques pour nous permettre de mener des activités qui n’étaient pas inscrites dans nos projets » (E2). Si certains bailleurs comprennent la complexité de la situation en poursuivant le

financement des programmes, d’autres en revanche rétrécissent ou arrêtent leurs financements, parce qu’ils ne parviennent pas à faire des suivis, afin de justifier l’utilisation de leur fonds. « Par exemple

notre projet qui a pris officiellement fin en février devrait être renouvelé, mais vu le contexte sécuritaire le renouvèlement a été refusé parce que le bailleur estime qu’il ne peut pas suivre les réalisations » (E16). Une appréhension entendue chez huit (8) responsables d’organisations.

Contraintes de mise en œuvre des stratégies d’intervention

Plusieurs contraintes que nous avons résumées dans le tableau 5 ci-dessous entravent la mise en œuvre efficace des stratégies et empêchent l’atteinte des objectifs des programmes.

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Tableau 5: Contraintes de mise en œuvre des différentes stratégies

Contraintes Descriptions Illustrations

L’impraticabilité des

routes L’accès aux localités d’intervention est pénible à cause de l’état défectueux des routes qui complique les convois humanitaires

« En saison pluvieuse, il est quasiment impossible de se rendre d’un point A à un point B dans la région de l’Est » (E9).

La psychose

Elle crée un sentiment de peur constante qui empêche les agents de dérouler convenablement les différentes stratégies avec toutes leurs capacités physiques et intellectuelles nécessaires pour l’obtention des résultats probants. La peur est un facteur non maitrisable qui affecte les capacités des agents, car les attentats sont multiples et prennent plusieurs.

« Aujourd’hui tu ne peux même plus faire 20Km même dans la journée avec l’esprit tranquille. En sortant, on se demande si nous allons revenir, mais on est obligé de faire avec » (E12).

« Quand tu es un responsable et que tu as une équipe sur le terrain, tant qu’elle n’est pas rentrée saine et sauve tu es angoissé » (E7)

Manque de plus en plus de ressources humaines pour les activités terrain

Très peu de personnes sont disposées à aller sur le terrain, c’est-à-dire, prendre des risques pour mener des activités dans des zones d’insécurité. Ainsi, il devient difficile d’avoir du personnel qualifié pour les activités terrain pour secourir le maximum de personnes possible.

« Vous recrutez un agent pour l’affecter dans une localité, une à deux semaines après, il revient dire qu’il ne peut pas parce que la situation est difficile et qu’il préfère sa vie. Mais, on comprend cela » (E4).

L’insuffisance du stock alimentaire national et des retards dans la distribution de l’assistance alimentaire

Bien que la stratégie des achats locaux soit priorisée dans l’acquisition des vivres, il arrive fréquemment que les fournisseurs locaux ne disposent pas des quantités demandées. Cette incapacité de fourniture locale oblige à acheter à l’extérieur. Cela prend beaucoup de temps à cause des tracasseries portuaires qui ne favorisent pas la mise en œuvre rapide de l’aide alimentaire. En outre, les restrictions administratives qui se caractérisent par des absences et des retards d’autorisations sécuritaires, ainsi que des refus de permis de voyage.

« Quand nous décidons d’acheter localement avec un fournisseur et on lui dit par exemple de nous livrer dix mille tonnes, à deux semaines de la distribution, il nous dit qu’il n’a que trois mille tonnes. Cela complique l’achat local, car les fournisseurs n’ont pas toujours la capacité demandée ». « En juillet dernier, nous avons accusé deux mois de retard pour sauver des personnes en détresse, à cause du problème d’accès » (E2)

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Contraintes d’ordre logistiques et financières

Pour mener des déplacements sécurisés sur un terrain qui est permanemment miné, l’usage de véhicules blindés équipés de radio VHF (haute fréquence, basse fréquence) et d’une radio VHF permettant de communiquer partout même en absence du réseau mobile est une nécessité pour avoir une assistance rapide en cas d’une situation de détresse. En plus, les équipements de protection comme les gilets par balles et les casques sont nécessaires pour protéger les agents contre les attaques inopinées. Mais, sur le plan financier, ce sont des outils qui coutent extrêmement cher et inaccessibles (E1, E2, E16). L’inefficacité des projets conduit à l’adoption de nouvelles stratégies qui nécessitent des réajustements budgétaires devant être validés par les bailleurs de fonds. Or, l’insécurité a contribué à renchérir les prix des prestations de service. Ces coûts supplémentaires qui ne sont pas inscrits dans les budgets initiaux obligent les organisations à demander un supplément budgétaire qui ne retrouve pas souvent l’approbation des bailleurs de fonds.

« Les transporteurs qui veulent prendre le risque d’emmener les vivres dans les sites de distribution demandent 10 fois plus que le prix habituel. Le transport de la tonne qui coutait 10 000 francs (25 $ Can) est facturé à 80 000 francs (200$). En transportant 1600 tonnes, ça fait 200 millions de francs (470 000$ Can). Autant donner cette somme aux communautés » (E4).

Contraintes liées aux opérations militaires.

Les opérations militaires de lutte antiterroristes en plus des violences communautaires sont des phénomènes qui restreignent les mouvements des organisations. Elles entrainent dans certains cas le retrait du personnel ou la suspension des opérations en cours.

Présence d’engins explosifs improvisés

Les territoires infestés par les groupes terroristes sont beaucoup minés par des engins explosifs improvisés. Cela limite les mouvements terrain du personnel des organisations, contraignant ainsi la mise en œuvre des stratégies développées.

« À cause des mines, nous avons réduit nos sorties terrain. Gorgadji est une commune très minée, nous n’y allons plus » (E12)

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Chapitre 5. Discussion des résultats

Cette étape de discussion du mémoire consiste à une mise en lien des résultats issus des dix-huit entretiens réalisés à ceux qui sont connus dans la littérature et l’interprétation consiste à donner un sens et une explication à ces résultats en répondant à la question de recherche (Mongeau, 2008). Dans le cadre de cette recherche, la discussion et l’interprétation des résultats s’articuleront autour des deux hypothèses : la première consiste à vérifier si les approches stratégiques développées par les organisations favorisent la mise en œuvre des programmes conformément au droit humanitaire international dans le but d’assurer la sécurité du personnel. En référence à la littérature qui explique que le respect des principes humanitaires (une branche du droit humanitaire international) permet aux humanitaires d’intervenir dans un environnement sécurisé. Cette hypothèse sera discutée dans la section 5.1. La deuxième hypothèse serade vérifier si le raisonnement adopté par les organisations pour la gestion des dilemmes permet de minimiser les répercussions négatives de l’action humanitaire tout en secourant le maximum de personnes, comme l’exige le sens même de l’action humanitaire selon Matei (2016). Cette hypothèse sera discutée dans la section 5.2.

La confirmation ou l’infirmation de ces hypothèses nous permettra de caractériser les approches qui sont priorisées par les organisations dans le contexte terroriste du Burkina Faso, afin de répondre à notre question centrale.

Interventions humanitaires et stratégies développées

Le conflit terroriste a engendré des populations vulnérables dans les zones de combats qui ont urgemment besoin d’assistance humanitaire. Une assistance que des ONG internationales et nationales, des organes des Nations unies et des structures déconcentrées de l’État s’emploient à mettre en œuvre dans un contexte sécuritaire délétère. Alors, ces organisations sont obligées de développer des stratégies pour pouvoir atteindre et assister ces populations affectées qui ont décidé de rester sur place. Malgré le développement des stratégies, sur le terrain ces organisations font face à des défis pour la mise en œuvre concrète de leurs actions à cause de la diversité des groupes armés qui ne facilite pas l’identification des voies d’accès aux cibles, l’évolution des stratégies d’attaques des groupes armés et la non-revendication des différents attentats qui créent un flou sur leurs objectifs réels et leurs cibles, en plus du piégeage des voies d’accès avec des bombes artisanales qui limite le mouvement du personnel d’exécution. Ces paramètres restreignent non seulement le champ d’action

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des différentes organisations, mais constituent des risques pour la sécurité des agents de mise en œuvre et des populations bénéficiaires. En effet, la terreur instaurée par les groupes armés contraint les populations des localités touchées à collaborer avec eux sous peine de représailles, comme le confirme le journal le monde « dans ces zones d’insécurité, toute personne refusant de collaborer avec les groupes armés terroristes est prise pour cible par ces derniers » (Caramel, 2019). Ce qui leur permet d’avoir un système de renseignement très performant sur les mouvements des forces de défense et de sécurité républicaines et des activités des organisations. Vu la délicatesse de la continuité des actions et les incertitudes créées par cette ambiance d’insécurité, les organisations ont développé une multitude de stratégies que nous avons logées dans trois approches stratégiques conformément au triangle de sécurité qui vise la sécurisation du personnel de mise en œuvre des programmes tout en évitant la mise en danger des communautés bénéficiaires.