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Le respect des engagements contractuels en droit administratif est le résultat de la sécurité juridique

La sécurité juridique est le fondement du respect des engagements contractuels des personnes publiques

B) Le respect des engagements contractuels en droit administratif est le résultat de la sécurité juridique

317. A ce stade de notre étude une interrogation peut se présenter. Peut-on soutenir la pensée selon laquelle la liberté contractuelle sera le fondement du respect des engagements résultant des contrats administratifs ? En d’autres termes, ne serait-il pas mieux de parler de la sécurité juridique, fondement de la protection des contrats administratifs légalement conclus, indépendamment de la liberté contractuelle ? Afin de répondre à ces interrogations, il convient d’analyser tant la jurisprudence constitutionnelle qu’administrative en la matière.

a) Une interprétation probable de la jurisprudence constitutionnelle

318. Il faut d’abord signaler que malgré la différence substantielle entre la liberté contractuelle et la sécurité juridique, les deux principes aboutissent à l’idée selon laquelle les relations contractuelles légalement conclues doivent être respectées. Toutefois, l’analyse de la jurisprudence constitutionnelle dans ce domaine nous semble établir que le juge constitutionnel a l’intention de lier son contrôle au principe de la sécurité juridique essentiellement et à la liberté contractuelle d’une manière accessoire. Cette interprétation se renforce lorsque sont en cause des contrats administratifs.

319. Un premier exemple confirmant notre postulat vient de la décision du Conseil constitutionnel du 26 janvier 1995705 relative à la loid’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire. En l’espèce, les députés requérants contestaient la constitutionnalité de l’article 36706 de la loi déférée au contrôle du juge, lequel prévoyait que les relations contractuelles liant EDF et la Compagnie Nationale du Rhône étaient maintenues jusqu’à la fin de la concession initialement prévue, c’est-à-dire jusqu’en 2023. Or, la convention avait fait l’objet d’une demande en annulation de la part de la CNR. Anticipant sans doute la probable annulation par le juge des contrats, le législateur était donc intervenu pour doter d’un statut impératif le contenu de la convention. Cela constituait l’une des raisons de la saisine du Conseil constitutionnel. Les saisissants estimaient que le législateur, par le biais d’une validation707, avait méconnu un aspect essentiel de la liberté contractuelle, celui de

705 C.C., Déc. n° 94-358 DC du 26 janvier 1995, Loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du

territoire, Rec. P. 183.

706L’article 36 : « Le financement des travaux de construction prévus à l'article 1er est assuré, indépendamment

des concours mentionnés ci-après, par Electricité de France au titre de la mise à disposition, dans les conditions contractuelles en vigueur, de l'énergie produite par les installations de production hydroélectrique de la Compagnie nationale du Rhône. Ces conditions continueront de régir les relations entre Electricité de France et la Compagnie nationale du Rhône jusqu'à l'expiration de la concession générale mentionnée à l'article 1er».

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sa force obligatoire708. En répondant sur ce moyen le juge constitutionnel va éviter de

prononcer sa décision sur le fondement de la liberté contractuelle – qui n’avait pas à ce moment de valeur constitutionnelle – en se contentant de se référer à la sécurité juridique. Il juge ainsi qu’« il est loisible au législateur, dans un but d'intérêt général, de modifier,

d'abroger ou de compléter des dispositions qu'il a antérieurement prises, dès lors qu'il ne méconnaît pas des principes ou des droits de valeur constitutionnelle ; que le fait que de telles modifications entraînent des conséquences sur des conventions en cours conclues en application de dispositions législatives antérieures n'est pas en lui-même de nature à entraîner une inconstitutionnalité »709.

320. Puis, la décision du 10 juin 1998710 marquera un pas très important vers

l’orientation constitutionnelle à l’égard de la protection des engagements contractuels légalement conclus. Dans cette décision, comme on l’avait déjà mentionné, le Conseil constitutionnelle utilisera la formulation suivante : « le législateur ne saurait porter à

l'économie des conventions et contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ». Il est sûr au regard de l’énonciation précitée que la

Haute Juridiction constitutionnelle a voulu accorder à l’économie des conventions et contrats légalement conclus une protection constitutionnelle ; il reste cependant à savoir si l’association de cette protection, selon les termes employés, à l’article 4 de la Déclaration constitue une référence à la liberté contractuelle. En effet, l’analyse profonde des faits sur lesquels la décision a été prise montre que la liberté contractuelle ne peut pas établir un fondement du respect de ces engagements, et cela pour les principales raisons suivantes.

321. En premier lieu, le Conseil constitutionnel a accordé cette protection en se prononçant sur les atteintes portées contre la liberté d’entreprendre et « des droits et libertés

des employeurs et des salariés ». Ainsi, la liberté contractuelle n’a même pas été mentionnée,

ni dans la formulation de la décision, ni même dans la lettre de saisine711 ; sauf avec le terme générique de la « liberté » de l’article 4 de la Déclaration712. Cela doit signifier que la

protection des conventions et contrats en cours résulterait directement de l’article 4 et non de

708 Voir la lettre de saisine, JORF du 1er février 1995, PP. 1712-1713. 709 Considérant n° 21.

710 C.C., Déc. n° 98-401 DC du 10 juin 1998, Loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de

travail », cons. n° 29, Rec. P. 258.

711 Voir la lettre de saisine associé à la décision n° 98-401 DC du 10 juin 1998, Loi d'orientation et d'incitation

relative à la réduction du temps de travail, JORF du 14 juin 1998, P. 9033.

712 F. MODERNE, « La liberté contractuelle est-elle vraiment et pleinement constitutionnelle ? », RFDA, 2006,

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la liberté contractuelle. Cette interprétation se concilie bien avec la décision constitutionnelle du 20 mars 1997 qui indique que : « le principe de liberté contractuelle n'a pas en lui-même

valeur constitutionnelle. Ainsi que sa méconnaissance ne peut être invoquée devant le Conseil constitutionnel que dans le cas où elle conduirait à porter atteinte à des droits et libertés constitutionnellement garantis »713.

322. En seconde lieu, l’analyse des tables analytiques du Conseil constitutionnel pour les années 2012 et 2013 montre que la première décision dans laquelle la liberté contractuelle a pu avoir une valeur constitutionnelle est celle rendue le 19 décembre 2000 relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001714. La reconnaissance ultérieure de cette

valeur constitutionnelle nous conduit, selon le même raisonnement, à déduire que les engagements contractuels légalement conclus sont protégés indépendamment de la liberté contractuelle car, ceux-ci ont pu recevoir leur protection constitutionnelle avant même de reconnaître à la liberté contractuelle sa qualité constitutionnelle. Ces arguments peuvent être répétés à propos de la décision du 23 juillet 1999715 dans laquelle le juge constitutionnel

utilisera des termes voisins716.

323. Par ailleurs, la reconnaissance de la protection constitutionnelle de l’économie ou de la « stabilité » des conventions et contrats légalement conclus indépendamment de la liberté contractuelle ne s’arrêtera pas après avoir reconnu à cette dernière la valeur constitutionnelle. En effet, malgré la forte relation entre les deux principes, plusieurs indices pragmatiques peuvent confirmer cette indépendance.

Le premier indice provient de l’étude des tables analytiques de Conseil constitutionnel qui présente la liberté contractuelle et la sécurité juridique des relations contractuelles en tant que deux principes proches mais à la fois distincts. Afin de détailler la portée de ces deux principes, les tables analytiques précitées emploient la formulation suivante : « liberté

contractuelle et droit au maintien de l'économie des conventions légalement conclues ». Dans

ces tables chaque principe bénéficie d’une analyse autonome de sa portée et de sa conciliation avec les autres principes et normes constitutionnelles, notamment avec l’intérêt général.

713 C.C., Déc. n° 97-388 DC du 20 mars 1997, Loi créant les plans d'épargne retraite, cons. n° 48, Rec. P. 31. 714 C.C., Déc. n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, cons.

n° 37, Rec. p. 190.

715 C.C., Déc. n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, Loi portant création d'une couverture maladie universelle, cons.

n° 19, Rec. P. 100.

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Le deuxième indice est le constate que le Conseil constitutionnel, à plusieurs reprises, se prononce sur la question de la protection des contrats en cours d’exécution sans impliquer son énonciation dans aucune référence à la liberté contractuelle717, même si cette dernière a été mentionnée dans la lettre de saisine. La décision du 18 mars 2009718 relative à la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion peut nous éclairer en la matière. En l’espèce, les requérants avaient contesté que plusieurs dispositions de la loi précitée s’appliquent immédiatement sur des contrats en cours. Ils avaient établi leur requête sur la violation des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui garantissent la liberté contractuelle et la liberté d’entreprendre, ainsi que la sécurité juridique719. Le Conseil constitutionnel va cependant répondre seulement en se référant aux

articles 4 et 16 de la Déclaration d’une manière avec laquelle on pense qu’il a eu l’intention de protéger plutôt la sécurité juridique, ou en d’autres termes « la stabilité des relations

contractuelles »720. Le juge constitutionnel répétera une formulation qu’il a utilisée, comme

on l’a vu, depuis 2002 soulignant que « le législateur ne saurait porter aux contrats

légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 ».

Ainsi, la liberté contractuelle n’est concernée que d’une manière « accessoire ».

Notre troisième et dernier indice réside dans la formulation la plus récente du Conseil constitutionnel à l’égard de la protection des conventions et contrats légalement conclus. En effet, la Haute Juridiction constitutionnelle emploiera dans sa décision du 13 juin 2013721 un

raisonnement intéressant. Dans un premier temps, il rappelle la valeur constitutionnelle de la liberté contractuelle et son lien direct avec l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Puis, dans un deuxième temps, il déclare d’une manière indépendante que les atteintes législatives aux contrats légalement conclus ne peuvent être reconnues que pour un

717 C.C., Déc. n° 98-401 DC du 10 juin 1998, Loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de

travail, cons. n° 29, Rec. P. 258 ; C.C., Déc. n° 2002-465 DC du 13 janvier 2003, Loi relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi », cons. n° 4, Rec. P. 43 ; C.C., Déc. n° 2008-568 DC du 07 août 2008, Loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, cons. n° 18, Rec. P. 352 ; C.C., Déc. n° 2011-177 QPC du 07 octobre 2011, M. Éric A. [Définition du lotissement], cons. n° 6, Rec. P. 495 ; C.C., Déc. n° 2012-649 DC du 15 mars 2012, Loi relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives », cons. n° 13, Rec. P. 142.

718 C.C., Déc. n° 2009-578 DC du 18 mars 2009, Loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre

l'exclusion, cons. n° 13, Rec. P. 73.

719 Voir la lettre de saisine associée à la décision précitée.

720 V. OGIER-BERNAUD, « La liberté contractuelle et le principe de faveur face au juge constitutionnel », D.,

2004, somm. comm., PP. 1280-1281.

721 C.C., Déc. n° 2013-672 DC du 13 juin 2013, Loi relative à la sécurisation de l'emploi, cons. n° 6, JORF du 16

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motif d’intérêt général. Précisément, « d'une part, il est loisible au législateur d'apporter à la

liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle qui découlent de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. D'autre part, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 ».

324. Une telle analyse nous montre une véritable séparation constitutionnelle entre la liberté contractuelle et la sécurité juridique de telle manière que le respect des engagements contractuels ait un fondement totalement isolé de la liberté contractuelle. Ce fondement réside non seulement dans l’article 4 de la Déclaration qui protège la liberté en général et la liberté contractuelle en particulier, mais également dans l’article 16 de cette Déclaration qui estime que le respect de ces engagements constitue un droit plus qu’une liberté. En conséquence, la protection constitutionnelle des engagements contractuels résulte directement du principe de la sécurité juridique, et non de la liberté contractuelle qui joue un rôle secondaire dans ce domaine.

325. Si tel est le cas dans l’ensemble des décisions constitutionnelles rendues afin de protéger les contrats et conventions de droit privé, alors que peut-on dire des contrats administratifs où l’intérêt général joue un rôle fondamental dans leur raison d’être ?

b) Une interprétation confirmée par le Conseil d’Etat

326. La pauvreté de la jurisprudence constitutionnelle à propos de la stabilité des contrats administratifs ne prive cependant pas de décisions intéressantes même si elles sont peu nombreuses dans la jurisprudence du Conseil d’Etat.

327. A ce stade de notre analyse nous allons nous concentrer sur deux décisions essentielles. Dans la première, le Conseil d’Etat relève la particularité des contrats administratifs ; dans la seconde, il utilise une formulation séparant la sécurité juridique des relations contractuelles et la liberté contractuelle à l’instar du Conseil constitutionnel.

328. Tout d’abord, dans sa décision Société KPMG du 24 mars 2006722 l’Assemblée

générale du Conseil d’Etat, comme on l’a déjà noté, indique qu’une disposition législative ou

722 CE, Ass. 24 mars 2006, Société KPMG, req. n° 288460, Lebon. P. 154 ; RFDA, 2006, P. 463, concl. Y.

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réglementaire nouvelle ne peut s’appliquer à des situations contractuelles en cours à sa date d’entrée en vigueur, sans revêtir donc un caractère rétroactif. Si tel est le cas, seule une disposition législative peut, pour des raisons d’ordre public, fût-ce implicitement, autoriser l’application de la norme nouvelle à de telles situations.

La particularité de cette décision venant avec une réserve intervient entre les deux phrases précédentes. Selon la Haute Juridiction administrative l’obligation d’avoir une autorisation législative motivée par l’intérêt général et des raisons liée à l’ordre public, se fait « sous réserve des règles générales applicables aux contrats administratifs ». Alors, comment faut-il comprendre cette formulation ?

329. Il est évident que le juge administratif a l’intention de dire que les contrats administratifs disposent dans ce domaine d’une position spécifique attachée à leur objectif de servir l’intérêt général cependant, il reste à savoir de quelles règles générales il s’agit. M. Terneyre, avoue avoir des difficultés à identifier immédiatement « quelles sont ces « règles

générales » applicables aux contrats administratifs qui justifient qu’une réglementation nouvelle sans habilitation législative puisse modifier ces contrats dès son entrée en vigueur »723. Pour lui, cette règle générale ne peut pas être celle qui implique que certains

contrats administratifs contiennent des clauses réglementaires qui pourraient ainsi être affectées instantanément par une réglementation nouvelle. Car si cette théorie joue au bénéfice des tiers « intéressés » au contrat, elle n’a jamais signifié que les parties au contrat ne pouvaient prétendre au maintien de ces clauses réglementaires qui, entre les cocontractants, ont une valeur exclusivement contractuelle724.

Il nous semble que cette règle générale relève des prérogatives de puissance publique qui donne à l’administration en général, et à la personne publique contractante à un contrat administratif en particulier, à tout moment, le pouvoir de le modifier unilatéralement pour des motifs d’intérêt général. Et plus précisément, elle tient au caractère exorbitant du droit commun des contrats administratifs.

330. Dans la seconde décision, rendue le 15 avril 2011725, le Conseil d’Etat aura

l’occasion par le nouveau moyen de recours édicté par la dernière réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 – la question prioritaire de constitutionnalité –, de révéler le fondement de

723 Ph. TERNEYRE, « Secteur public et concurrence : la convergence des principes », AJDA, 2007, P. 1909. 724 Ibid.

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la stabilité des relations contractuelles en cours. En l’espèce, la requérante, EDF, avait contesté que la disposition en cause s’appliquait aux contrats en cours726, et que, par voie de conséquence, elle portait atteinte en particulier à sa liberté contractuelle. En répondant positivement sur la demande de renvoi, le juge administratif va utiliser la formulation suivante : « le moyen tiré de ce que la disposition contestée porte atteinte, en tant qu'elle

s'applique aux concessions hydroélectriques, aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment à la liberté contractuelle et au droit au maintien de l'économie des conventions légalement conclues garantis par les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789…soulève une question présentant un caractère sérieux ». Ainsi, pour le Conseil d’Etat, comme pour le Conseil constitutionnel, le respect des

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