• Aucun résultat trouvé

Le principe de consensualisme se concilie mal avec les contrats administratifs

Des principes attachés à l’autonomie de la volonté avec des effets quasi-infirmés

A) Le principe de consensualisme se concilie mal avec les contrats administratifs

Afin d’expliquer ce point, il nous semble indispensable de mettre en lumière deux principes essentiels pour lesquels la liberté contractuelle, puisque elle représente l’apparence de la volonté, sera directement concernée. Il s’agit des principes de consensualisme et de la force obligatoire des contrats légalement conclus.

A) Le principe de consensualisme se concilie mal avec les contrats

administratifs

278. En termes généraux, le consensualisme est un principe qui peut être défini comme l’accord de volontés des parties, c’est-à-dire comme les volontés qui concordent, qui convergent vers un même objectif. Il s’agit, selon J.-C. Bruère, « d’une notion dynamique et

non statique. En d’autres termes, le consensualisme est plus que le simple consentement, au sens d’accord passif, qui n’en est qu’une des composante »638.

279. Comme l’autonomie de la volonté, le consensualisme est né dans le cadre du droit privé. Il s’oppose à l’idée selon laquelle le contrat doit être formé selon une forme préétablie. En vertu de ce principe, le critère prédominant de l’existence du contrat est l’existence d’un consentement et d’un accord de volonté des parties. Ainsi, le contrat se forme par le seul échange des consentements, sans qu’il soit nécessaire d’en passer par des solennités639.

280. Cette idéologie, à notre avis, n’est pas applicable aux contrats administratifs, et ce pour deux raisons : la première est l’existence d’un régime exorbitant du droit commun qui règne sur les relations contractuelles des personnes publiques ; la seconde est extérieure à l’administration, il s’agit de la multiplicité des règles normatives venant encadrer la totalité de l’opération contractuelle des personnes publiques.

a) La domination du régime exorbitant du droit commun

281. L’article 1134 du Code civil dispose que « les conventions légalement formées

tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise ». Cette formulation nous montre

nettement que le consensualisme constitue un élément essentiel de la conclusion et de

638 J.-C. BRUERE, « Le consensualisme dans les contrats administratifs », RDP, 1996, P. 1715-1716. 639 L. LEVENEUR, « La liberté contractuelle en droit privé », AJDA, 1998, P. 676.

153

l’exécution du contrat. Dans le cadre des contrats administratifs cette interprétation ne peut être valide, car on s’aperçoit que dans ces contrats l’administration règne sans partage.

En effet, ces contrats sont soumis au régime administratif exorbitant du droit commun qui se distingue des prescriptions du droit civil en ce qu’il est notamment possible pour l’administration contractante de modifier, voire de résilier unilatéralement le contrat, sous certaines conditions et moyennant certaines contreparties. Ce régime exorbitant trouve incontestablement son fondement dans la notion d’intérêt général qui anime l’action des personnes publiques640.

Le régime exorbitant soutenu par l’intérêt général va ainsi attribuer à la personne publique des pouvoirs qui sont qualifiés de prérogatives de puissance publique. Ces prérogatives apportent restrictions plus strictes au principe du consensualisme en droit administratif qu’en droit privé. Ainsi, dans le cadre du droit privé il existe un contrat qualifié de contrat d’adhésion dont les termes sont imposés par une partie à l’autre. Les clauses sont fixées par avance et aucune discussion n’est possible. Les cocontractants sont alors seulement libres d’adhérer ou non à ce contrat, c'est-à-dire leur consentement se résume à accepter les termes du contrat tels quels ou bien ne pas les accepter du tout sans négociation ; « à prendre

ou à laisser ». Toutefois, si la volonté de l’un des cocontractants revient à faire un choix entre

« oui » ou « non », la position n’est pas la même pour l’autre contractant. Christian Larroumet estime à ce sujet que « s’il n’est pas douteux que le contrat d’adhésion suppose l’absence de

la libre négociation entre les parties (…), il n’y a aucune atteinte à la liberté de celui qui impose sa volonté à l’autre »641. En conclusion, la liberté contractuelle est affectée seulement

d’un seul côté car l’autre partie peut l’exercer sans obstacles. Dans les contrats administratifs caractérisés par des prérogatives de puissance publique, la situation devient plus compliquée car celles-ci apportent une double restriction : d’une part, l’administration occupe une position supérieure à ses cocontractants car elle peut imposer les termes du contrat ; d’autre part, la personne publique se trouve elle-même sous l’obligation relative de ne pas se désister par voie contractuelle de ces pouvoirs car elle les obtient pour réaliser une mission précise, et cette mission est l’intérêt général. Luc Moreau va confirmer cette réalité en indiquant qu’« il est

une des règles les plus communément admises en droit des contrats administratifs, suivant laquelle il n’est pas permis à une personne publique d’aligner certaines de ses prérogatives,

640 Ibid. P. 1716.

154

parmi lesquelles ses pouvoirs de police administrative »642. En résumé, dans les contrats

administratifs le principe du consensualisme est affecté quand l’administration impose ses stipulations à son cocontractant et également quand elle ne peut pas se désister des prérogatives de puissance publique qui lui sont attribuées par le régime exorbitant du droit commun.

282. En conclusion, nous constatons qu’il est très difficile de concevoir qu’un contrat passé au nom de l’intérêt général soit contraint par des principes qui ont été conçus pour des contrats conclus entre personnes privées, en vue d’intérêts partisans. En d’autres termes, « l’immutabilité contractuelle, sous réserve bien sûr d’avenants consensuels, semble

difficilement compatible avec la mutabilité de l’intérêt général »643.

b) L’atténuation du consensualisme par les règles normatives

283. Le régime exorbitant du droit commun n’est pas le seul facteur d’affectation du consensualisme dans le cadre de l’opération contractuelle des personnes publiques. En effet, les tempéraments que connaît le consensualisme en droit des contrats administratifs concernent également les deux phases essentielles du contrat.

284. En premier lieu, l’élaboration du contrat administratif est affectée principalement par la multiplicité des règles normatives, d’origine européennes et françaises qui viennent limiter les possibilités d’obtenir des accords consensuels entre les parties contractantes en leur imposant le respect d’un nombre « considérable » de règles contraignantes. La transparence, l’égalité de traitement des candidats et le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse sont les exemples les plus caractéristiques de ces contraintes. Ainsi, le consensualisme ne peut s’exercer que dans un cadre préétabli selon les cas par le législateur ou le pouvoir réglementaire644. En effet, le législateur fait une distinction entre les marchés

publics et les conventions de délégation de service public en attribuant pour ces dernières une marge d’appréciation plus large pour les personnes publiques qui peuvent l’exercer645. De

plus, le législateur impose une limitation de la durée des contrats de délégation de service public646 ainsi que la justification dans la convention de délégation des montants et des modes

642 L. MOREAU, « La contractualisation de l’exercice de la police administrative », in. Mélange Guibal,

CREAM, t.2, 2006, P. 171.

643 J.-C. BRUERE, « Le consensualisme dans les contrats administratifs », op. cit., P. 1716. 644 Ibid. P. 1717.

645 Loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et la transparence de la vie

économique et des procédures publiques, JORF n° 25 du 30 janvier 1993, P. 1588

155

de calcul, « des droits d’entrée et des redevances versées par le délégataire à la collectivité

délégante »647. Le pouvoir réglementaire à son tour a fait preuve de dune grande précision

dans les dispositions qu’il a édictées dans le cadre du Code des marchés publics. L’article 12 de ce Code impose par exemple des mentions obligatoires. Il s’agit essentiellement de l’indication des parties contractantes, de la définition de l’objet du marché, de l’énumération par ordre de priorité des pièces du marché, du prix ou des modalités de sa détermination, du délai d’exécution du marché ou de sa date d’achèvement, ou encore des conditions de règlement et de résiliation du marché.

285. En second lieu, le consensualisme dans l’exécution du contrat voit sa portée limitée par l’encadrement de toutes les modifications conventionnelles des contrats en cours d’exécution. Si le régime exorbitant du droit commun autorise en principe la personne publique à modifier unilatéralement le contrat administratif pour un motif d’intérêt général, en réalité cette capacité connaît des limites648. Le législateur a effectivement restreint le recours à

l’avenant en imposant une double condition selon laquelle l’avenant ne saurait bouleverser les conditions économiques d’un marché ou en changer l’objet649. De même, le législateur limite

les cas de prolongation des contrats administratifs en réglementant dans certains cas la durée même de cette prolongation. L’article 40 de la loi du 29 janvier 1993 prévoit, à l’égard des conventions de délégation de service public, qu’en cas de prolongation pour des motifs d’intérêt général, « la durée de la prolongation ne peut alors excéder un an ». Le législateur impose donc au consensualisme contractuel de s’exprimer dans les limites fixées par cette loi650.

286. Cette réglementation nous conduit à penser qu’il y a plus adhésion du cocontractant privé au régime particulier des contrats administratifs qu’un véritable consensualisme issu d’une négociation bilatérale des clauses du contrat ; il y a juste consensualisme sur l’application du régime administratif651. En d’autres termes, les parties contractantes voient leur choix des clauses du contrat limité par l’obligation d’insérer deux types de clauses, selon la conclusion de F. Llorens : des « clauses obligatoires indépendantes

647 Art. 40-b, alinéa 4.

648 Dans ce sens, J.-M. PEYRICAL, « Les avenants source d’unification du droit des contrats publics », in.

Mélange Guibal, CREAM, 2006, t.1, P. 826.

649 Art. 20 C.M.P.

650 J.-C. BRUERE, « Le consensualisme dans les contrats administratifs », précité, P. 1719. 651 Ibid. P. 1719.

156

de toutes réglementations à caractère impératif » et des « clauses obligatoires rappelant des dispositions législatives ou réglementaires à caractère impératif »652.

B) La force obligatoire du contrat est un principe infirmé dans les

Outline

Documents relatifs