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L’autonomie de la volonté dans la pensée de Léon Duguit

Les tentatives de consécration du principe

A) L’autonomie de la volonté dans la pensée de Léon Duguit

214. L’analyse des œuvres de Léon Duguit montre nettement que sa réflexion sur l’autonomie de la volonté des personnes publiques porte une vision négatrice de cette autonomie. Pourtant, certains auteurs pensent que son analyse ne se laisse pas appréhender de

476 P. MARTY, P. RAYNAUD, Droit civil, Les obligations, T.1, Les sources, éd. Sirey, Paris, 2e éd., 1988, P.

69.

477 N. CHARDIN, Le contrat de consommation de crédit et l’autonomie de la volonté, LGDJ, 1988, P. 235. 478478 M. MAHOUACHI, La liberté contractuelle des collectivités territoriales, précité, P. 39.

479 S. SAUNIER, « L’autonomie de la volonté en droit administratif français : une mise au point », RFDA, 2007,

P. 611.

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façon aussi simple qu’elle a été parfois résumée481. C’est le cas de Monsieur Pisier-Kouchner

qui souligne qu’« on peut se demander en effet dans quelle mesure Duguit s’écarte de la

doctrine traditionnelle et quelle portée réelle il faut accorder à sa dénonciation du principe métaphysique de l’autonomie de la volonté »482. Malgré ces doutes, il est indiscutable que les

études et les observations de Duguit soient critique, à l’égard des fondements du droit privé et du droit public de l’époque et affrontent les conceptions subjectivistes qui opposent la souveraineté de l’Etat et l’autonomie de la volonté individuelle483. En effet, la théorie de la souveraineté s’opposait à ce qu’il soit reconnu à l’Etat une volonté autonome, équivalente à celle des particuliers et susceptibles de le lier par la voie d’un acte contractuel. Dès lors, en droit public, la reconnaissance d’une autonomie de la volonté aux personnes publiques impliquant la faculté de se lier s’opposait à la vision d’un Etat souverain, extérieur à la société civile484. Ainsi, dans sa critique dirigée contre la théorie allemande de l’auto-limitation de

l’Etat et contre la reconnaissance de droits subjectifs aux personnes publiques, Léon Duguit affirme que : « si l’Etat, pouvait-on-dire, est par définition une personne souveraine, il

conserve ce caractère, cette personnalité, dans tous les actes qu’il accomplit, aussi bien dans les actes contractuels que dans les actes unilatéraux. Par conséquent, l’Etat ne peut pas être lié par un contrat, parce que, s’il était lié, sa personnalité se trouverait subordonnée à une autre ; dès lors, elle cesserait d’être souveraine, puisque le propre de la volonté souveraine, c’est de n’être subordonnée à aucune autre volonté »485. Il ajoute que : « en niant la

personnalité et la souveraineté de l’Etat, nous comprenons facilement et nous expliquons logiquement le caractère obligatoire des contrats de l’Etat »486. Dans ce passage on conçoit

que, plus que la souveraineté de l’Etat, c’est l’idée même d’attribution de droits subjectifs aux personnes publiques qui est remise en cause487. Selon Duguit, « pour qu’il y ait un droit

public, il faut qu’il ait des droits subjectifs publics, et, pour cela, il faut qu’il y ait des sujets de droit ; l’Etat a des droits subjectifs, donc il est un sujet de droit, une personne. Il faudrait commencer par prouver que ce que l’on appelle l’Etat a des droits subjectifs. La notion elle- même de droit subjectif est une notion à priori (…). (Les juristes contemporains) ne voient dans le droit que le rapport de deux sujets de droit, de deux personnes. Il faut donc créer ces

481 Ibid. P. 612.

482 E. PISIER-KOUCHNER, Le service public dans la théorie de l’Etat de Léon Duguit, LGDJ, 1972, P. 59. 483 L. DUGUIT, Les transformations du droit public, A. Colin, Paris 1913, réédité par La mémoire du droit, Paris

1999, P. 27.

484 S. NICINSKI, « Le dogme de l’autonomie de la volonté dans les contrats administratifs », in. Mélange en

l’honneur du Professeur Michel GUIBAL, CREAM, 2006, t.1, P. 47.

485 L. DUGUIT, Les transformations du droit public, op. cit., P. 161.

486 L. DUGUIT, L’Etat, le droit objectif et la loi positive, 1901, réédité par Dalloz, 2003, P. 383.

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sujets de droit, quand dans le fait ils n’existent pas ; et on imagine la personnalité de l’Etat. Mais il eût fallu se demander au préalable ce qu’il y avait de réalité dans ces prétendus droits subjectifs, si ce monde des droits subjectifs n’était pas un monde artificiel et vain »488. En

conséquence, pour que l’Etat puisse contracter, il ne doit pas être souverain mais s’il l’est, il ne peut pas contracter489.

215. Par ailleurs, et à propos de la volonté individuelle, Duguit estime que cette dernière ne peut créer que des situations juridiques subjectives conformément au droit et doit contribuer au but de solidarité sociale490, plus précisément elle n’est que la condition de

l’application d’une règle objective491. Selon l’auteur, le pouvoir des volontés individuelles

n’est qu’un pouvoir juridique objectif, l’individu dispose bien d’un « pouvoir de vouloir », sans qu’il y ait de différence entre le gouvernant et le gouverné, mais « un pouvoir de vouloir

effectivement un résultat conforme à la règle de droit »492. Ainsi, l’autonomie de la volonté

est envisagée pour exprimer que « toutes les volontés individuelles sont autonomes ; aucune

d’elles n’est supérieure aux autres, quels que soient l’individu ou les individus qui la formulent ». Cette explication de la notion d’autonomie de la volonté permet à L. Duguit de

rejeter l’idée de droit subjectif de la puissance publique, auquel il oppose un « pouvoir

juridique objectif des volontés, le même pour toutes les volontés »493. Cela signifie que la

volonté individuelle d’un particulier ou d’un gouvernant possède la même nature494. Duguit

remplace donc une conception de la notion ordonnée autour du « pouvoir métaphysique de la

volonté individuelle »495 par une théorie de l’autonomie de la volonté assimilée à la

compétence496.

216. Finalement, cette attitude de Duguit à l’égard de l’autonomie de la volonté institutionnalise une perspective qui sera reprise par E. Gounot497, G. Jèze498, puis développée par H. Kelsen, combinée alors avec l’idée de délégation499. Elle est d’ailleurs souvent reprise

488 L. DUGUIT, L’Etat, le droit objectif et la loi positive, précité, P. 383.

489 S. NICINSKI, « Le dogme de l’autonomie de la volonté dans les contrats administratifs », précité, P.48. 490 L. DUGUIT, Etudes de droit public, A. Fontemoing, Paris, 1901, t.1, P. 139 et s, P. 161.

491 Ibid. P. 196 et s. 492 Ibid. P. 144. 493 Ibid. P. 267 et 272.

494 S. SANUIER, « L’autonomie de la volonté en droit administratif français : une mise au point », précité, P.

612.

495 L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, t. 1., éd. E. de Brocard, Paris, 3e éd., 1927, P. 203. 496 Ibid. §35, P. 355-361.

497 E. GOUNOT, Le principe de l’autonomie de la volonté en droit privé, Paris, Rousseau, 1912, P. 341. 498 G. JEZE, Les principes généraux du droit administratif, Dalloz, 2005, t. 1, P. 7.

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par la théorie privatiste contemporaine500. Ainsi, il faut bien admettre que « Duguit ne

dénonce comme métaphysique que le principe de liberté de la volonté, non la volonté elle- même »501. L’analyse du doyen de Bordeaux constitue donc une des premières tentatives de

définition de l’autonomie de la volonté durant la période dite classique du droit administratif502.

B) La valeur souveraine de l’autonomie de la volonté selon Carré de

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