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La non-rétroactivité des lois n’est pas sérieusement appliquée

La dérogation au principe de la sécurité juridique des engagements contractuels

A) La non-rétroactivité des lois n’est pas sérieusement appliquée

333. La consécration du principe de non-rétroactivité, qui constitue un élément fondamental de la sécurité juridique, a été établie par l’article 2 du Code civil qui prévoit que : « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». Selon cette disposition, en principe, la loi ne saurait être appliquée à des relations contractuelles antérieurement conclues. Cependant, dans la jurisprudence constitutionnelle, le concept même de non-rétroactivité n’est pas toujours respecté.

a) La limitation de la protection constitutionnelle de la non-rétroactivité des lois 334. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 1789 joua un rôle très important dans la consécration du principe de non-rétroactivité. Selon l’article 8 de la Déclaration : « la Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et

nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». La rétroactivité des lois en matière pénale n’est donc pas autorisée.

Mais, peut-on généraliser la non-rétroactivité des lois à tous les autres domaines et notamment aux relations contractuelles légalement conclues ?

En répondant à la question précitée, l’analyse de la jurisprudence du Conseil constitutionnel nous montre une vision peu optimiste. L’ensemble de ses décisions restreint en effet la protection constitutionnelle en cette matière aux lois qui portent atteinte aux exigences constitutionnelles résultant de l’article 8 de la Déclaration.

335. Un premier exemple est donné avec la décision du 29 décembre 1984729 dans

laquelle le Conseil constitutionnel va estimer que le caractère rétroactif des dispositions fiscales ne s’oppose pas à la Constitution. Précisément, « aucun principe ou règle de valeur

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constitutionnelle ne s'oppose à ce qu'une disposition fiscale ait un caractère rétroactif ». Le

juge constitutionnel répétera sa position en précisant que la non-rétroactivité n’est pas protégée dans le domaine fiscal. Pour lui, « il est loisible au législateur d'adopter des

dispositions nouvelles permettant dans certaines conditions de ne pas faire application des prescriptions qu'il avait antérieurement édictées dès lors qu'il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles »730. Cette approche sera à plusieurs reprises dans la jurisprudence constitutionnelle qui ainsi la confirmera731. Cependant, la Haute Juridiction constitutionnelle va assouplir sa rigidité envers la non-rétroactivité des lois par l’ajout d’une nouvelle exigence à respecter par le législateur lorsqu’il édicte des dispositions rétroactives : celle de rechercher, si tel était le cas, un intérêt général suffisant. Ainsi, dans sa décision du 18 décembre 1998, le Conseil constitutionnel considérera que « si le législateur a la faculté

d'adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu'en considération d'un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles »732.

336. L’exigence de l’intérêt général ne sera pas seulement limitée aux matières fiscales. En effet, elle s’étend à tous les autres domaines dans lesquels le législateur pourrait formuler des textes disposant d’effets rétroactifs. A cet égard, la décision constitutionnelle du 18 décembre 2001 vient confirmer cette position en jugeant que « si, dans les autres matières,

le législateur a la faculté d'adopter des dispositions rétroactives, il ne peut le faire qu'en considération d'un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles »733. Quelques jours plus tard, la même

formulation sera utilisée par le Conseil constitutionnel afin de renforcer sa jurisprudence en la matière734. Ainsi, une question se pose : quelles sont les matières dans lesquelles la

rétroactivité des lois serait autorisée ? En d’autres termes, la non-rétroactivité des dispositions législatives serait-elle écartée dans certain domaine ? La réponse à cette interrogation n’est pas évidente, il faut déterminer si la non-rétroactivité pour le juge constitutionnel est une règle ou si elle est une exception.

730 C.C., Déc. n° 95-369 DC du 28 décembre 1995, Loi de finances pour 1996, cons. n° 4, Rec. P. 257.

731 C.C., Déc. n° 97-391 DC du 07 novembre 1997, Loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier,

cons. n° 6, Rec. P. 232 ; C.C., Déc. n° 97-395 DC du 30 décembre 1997, Loi de finances pour 1998, cons. n° 17, Rec. P. 333 ; C.C., Déc. n° 2000-442 DC du 28 décembre 2000, Loi de finances pour 2001, cons. n° 9, Rec. P. 211.

732 C.C., Déc. n° 98-404 DC du 18 décembre 1998, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, cons. n°

5, Rec. P. 315.

733 C.C., Déc. n° 2001-453 DC du 18 décembre 2001, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, cons.

n° 27, Rec. P. 164.

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337. Une analyse approfondie de la jurisprudence constitutionnelle nous révèle que la non-rétroactivité des lois n’est qu’une exception s’appliquant en matière pénale. Les exemples ici sont assez nombreux. Ainsi, dans sa décision du 26 juin 1986, le Conseil constitutionnel a déclaré que « le principe de non-rétroactivité des lois n'a valeur constitutionnelle, en vertu de

la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 qu'en matière répressive »735. Plus précis, dans

sa décision du 16 janvier 1991 il jugera que : « le principe de non rétroactivité des lois n'a

valeur constitutionnelle, en vertu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qu'en matière répressive »736. Une telle formulation implique que la seule protection

accordée par le juge constitutionnel au principe de non-rétroactivité ne concerne que les matières répressives. Cette dernière formulation se répétera littéralement dans les décisions constitutionnelles postérieurement rendues737 afin de renforcer la position du juge

constitutionnel à l’égard de la non-rétroactivité. Pour lui, à l’exception des matières répressives, il est donc loisible au législateur d’édicter des dispositions rétroactives pourvu qu’elles soient justifiées par un motif d’intérêt général suffisant : « Le principe de non-

rétroactivité des lois n'a valeur constitutionnelle, en vertu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qu'en matière répressive ; que, si, dans les autres matières, le législateur a la faculté d'adopter des dispositions rétroactives, il ne peut le faire qu'en considération d'un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles »738. Cette autorisation peut-elle également

s’appliquer aux contrats et conventions en cours d’exécution ?

b) Une protection fragile aussi pour les contrats et conventions en cours d’exécution 338. Une lecture attentive des décisions du Conseil constitutionnel rendues à propos de dispositions rétroactives portant atteinte aux conventions et contrats légalement conclus, nous conduit à distinguer deux moments. Tout d’abord, le Conseil constitutionnel va considérer la sécurité juridique des relations contractuelles comme un principe non

735 C.C., Déc. n° 86-207 DC du 26 juin 1986, Loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d'ordre

économique et social, cons. n° 35, Rec. P. 61.

736 C.C., Déc. n° 90-287 DC du 16 janvier 1991, Loi portant dispositions relatives à la santé publique et aux

assurances sociales, cons. n° 39, Rec. P. 24.

737 Voir, C.C., Déc. n° 95-369 DC du 28 décembre 1995, Loi de finances pour 1996, cons. n° 4, Rec. P. 257 ;

C.C., Déc. n° 97-391 DC du 07 novembre 1997, Loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier, cons. n° 6, Rec. P. 232 ; C.C., Déc. n° 97-395 DC du 30 décembre 1997, Loi de finances pour 1998, cons. n° 17, Rec. P. 333 ; C.C., Déc. n° 98-404 DC du 18 décembre 1998, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, cons. n° 5, Rec. P. 315 ; C.C., Déc. n° 2000-442 DC du 28 décembre 2000, Loi de finances pour 2001, cons. n° 9, Rec. P. 211.

738 C.C., Déc. n° 2001-453 DC du 18 décembre 2001, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, cons.

n° 27, Rec. P. 164 ; C.C., Déc. n° 2001-456 DC du 27 décembre 2001, Loi de finances pour 2002, cons. n° 21, Rec. P. 180.

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constitutionnel puis, il attribuera au droit au maintien de l’économie des conventions légalement conclues la valeur de norme constitutionnelle.

339. Dans sa décision du 4 juillet 1989739, le juge constitutionnel a eu la possibilité de

montrer sa position sur le moyen tiré de la violation du principe de non-rétroactivité en matière contractuelle. En l’espèce, les députés auteurs de la saisine soutenaient que la loi déférée était rétroactive dans la mesure où elle dispose qu’à l’exception des cas où s’exerce le contrôle de l’autorité administrative les cessions d’actions de sociétés privatisées sont libres nonobstant toute convention contraire antérieure à ladite loi. Il y aurait, par suite, une remise en cause de situations contractuelles dans la mesure où se trouveraient caduques les stipulations de conventions intervenues dans le passé qui restreignaient la libre cessibilité des actions des sociétés. Par voie de conséquence, elle produisait un effet contraire au principe de non-rétroactivité des lois qui, en matière contractuelle, a valeur constitutionnelle. Les requérants ajoutaient qu’il est affirmé à cet égard que la rétroactivité en matière contractuelle se heurte tant au principe de sûreté posé par l'article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qu’à un principe fondamental reconnu par les lois de la République solennellement réaffirmé par le Préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère le Préambule de la Constitution de 1958740.

En répondant à ce moyen, la Haute Juridiction constitutionnelle souligne qu’« en

inscrivant la sûreté au rang des droits de l'homme, l'article 2 de la Déclaration de 1789 n'a pas interdit au législateur d'apporter, pour des motifs d'intérêt général, des modifications à des contrats en cours d'exécution »741. Il ajoute également qu’« antérieurement à l'entrée en

vigueur du Préambule de la Constitution de 1946, diverses lois ont, pour des motifs d'intérêt général, fixé des règles s'appliquant à des contrats en cours ; qu'ainsi, la prohibition de toute rétroactivité de la loi en matière contractuelle ne saurait être regardée comme constituant un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens de l'alinéa premier du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 »742. La formulation n’a pas besoin

d’interprétation : le principe de la non- rétroactivité de la loi en matière contractuelle n’a pas valeur constitutionnelle.

739 C.C., Déc. n° 89-254 DC du 04 juillet 1989, Loi modifiant la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux

modalités d'application des privatisations, Rec. P. 41.

740 Considérant n° 11. 741 Considérant n° 12. 742 Considérant n° 13.

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340. Notons que pour le Conseil constitutionnel, ce n’est pas seulement la non- rétroactivité des lois qui n’a pas valeur constitutionnelle car cette règle s’applique également au principe de la sécurité juridique : « le principe de non rétroactivité des lois n'a valeur

constitutionnelle, en vertu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qu'en matière répressive … qu'aucune norme de valeur constitutionnelle ne garantit un principe dit de "confiance légitime" »742F

743. Donc, ni la non-rétroactivité des lois en matière

contractuelle, ni la sécurité juridique ne disposent d’une valeur constitutionnelle.

341. Toutefois, la décision précitée de la jurisprudence constitutionnelle ne restera pas sans développement. En effet, comme on l’a déjà mentionné, à partir de sa décision du 10 juin 1998, le Conseil constitutionnel accordera aux contrats et conventions légalement conclus une certaine protection constitutionnelle.

Dans un premier temps, il va déclarer que le législateur ne saurait porter à l’économie des conventions et contrats légalement conclus une atteinte « d'une gravité » telle qu’elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l’article 4 de la Déclaration de 1789743F

744.

Selon cette formulation, seule l’atteinte grave aux contrats et conventions en cours doit donc être punie. Cependant, la décision ne précise pas le moyen par lequel le juge constitutionnel pourrait estimer que le législateur a dépassé la limite autorisée.

L’ambiguïté autour de cette formulation incitera le Conseil constitutionnel à adopter une autre formulation indiquant qu’il est loisible au législateur de porter atteinte aux contrats et conventions légalement conclues à condition qu’elle soit justifiée par l’existence d’un intérêt général suffisant744F

745. Ainsi, en se prononçant sur une question prioritaire de

constitutionnalité, la Haute Juridiction constitutionnelle a pu bien préciser la relation entre la protection attribuée aux contrats en cours d’un côté, et le pouvoir du législateur à son égard de l’autre. Précisément, « il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine

743 C.C., Déc. n° 97-391 DC du 07 novembre 1997, Loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier,

cons. n° 6, Rec. P. 232.

744 C.C., Déc. n° 98-401 DC du 10 juin 1998, « Loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps

de travail », cons. n° 29, Rec. P. 258 ; C.C., Déc. n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001, Loi portant amélioration de la couverture des non salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, cons. n° 27, Rec. P. 145.

745 C.C., Déc. n° 99-423 DC du 13 janvier 2000, Loi relative à la réduction négociée du temps de travail, cons. n°

42, Rec. P. 33 ; C.C., Déc. n° 2004-490 DC du 12 février 2004, Loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française, cons. n° 93, Rec. P. 41 ; C.C., Déc. n° 2008-568 DC du 07 août 2008, Loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, cons. n° 18, Rec. P. 352 ; C.C., Déc. n° 2011- 141 QPC du 24 juin, Société Électricité de France [Police de l'eau : retrait ou modification d'une autorisation], cons. n° 5, Rec. P. 304 ; C.C., Déc. n° 2012-659 DC du 13 décembre 2012, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, cons. n° 79, Rec. P. 680.

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de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ; que, de même, il ne respecterait pas les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un tel motif »746. Encore une fois, une telle

formulation n’a aucun besoin d’interprétation. La règle est que le législateur « à tout

moment » a le droit d’édicter des dispositions avec un effet rétroactif en matière contractuelle,

mais à une seule condition : y’avoir un intérêt général « suffisant ».

342. Comment peut-on estimer que l’intérêt général est suffisant ? Autrement dit, comment le législateur peut-il savoir que les dispositions s’appliquant rétroactivement sont dotées d’un intérêt général suffisant ?

Malheureusement l’ensemble des décisions du Conseil constitutionnel ne permet pas de connaître ce mécanisme. Ainsi, il appartient seulement au juge constitutionnel d’estimer si le législateur a dépassé l’autorisation constitutionnelle, ou, en d’autres termes, si l’intérêt général, qui est supposé dans son acte, n’était pas suffisant.

343. En tout cas, l’analyse générale de l’ensemble des décisions du Conseil constitutionnel à ce propos est favorable à l’existence perpétuelle de cet « intérêt

général suffisant » dans les lois contestées. En effet, malgré les atteintes portées par le

législateur aux contrats et conventions légalement conclus, la Haute Juridiction constitutionnelle considère que de telles atteintes ne sont pas graves, ou même qu’elles n’existent pas. Cette considération intervient après avoir rappelé de manière constante la nécessité d’avoir un intérêt général suffisant. On peut constater cette tendance depuis la décision du 10 juin 1998 par laquelle le juge constitutionnel a estimé que : « Les incidences de

l'entrée en vigueur des articles 1er et 3 de la loi sur les contrats de travail ainsi que sur les accords collectifs en cours… ne sont pas de nature à porter à l'exigence en matière de protection de l'économie des conventions et contrats légalement conclus, une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la

746 C.C., Déc. n° 2013-322 QPC du 14 juin 2013, M. Philippe W. [Statut des maîtres sous contrat des

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Déclaration de 1789. Le grief doit donc être écarté »747. Ces justifications se répéteront d’une

manière constante. Récemment, dans sa décision du 13 juin 2013748, le Conseil constitutionnel nous a rappelé sa position en la matière. En l’espèce, parmi les moyens soulevés, les députés requérants contestaient la disposition prévoyant la fixation d’une durée minimale de travail à temps partiel à 24 heures au motif que son application rétroactive porterait atteinte aux conventions légalement conclues749. Le juge constitutionnel va juger cependant que « le droit au maintien des conventions légalement conclues ne fait pas

davantage obstacle à ce que le législateur fixe la durée minimale de travail à temps partiel »750, et par voie de conséquence, le grief tiré de ce que le texte en cause porterait

atteinte aux conventions légalement conclues doit être écarté. Ainsi, en dépit de son application à des situations contractuelles en cours, le fait d’avoir un intérêt général « suffisant », sans savoir comment l’estimer, a incité le Conseil constitutionnel à considérer qu’une telle disposition n’est pas de nature à porter atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues.

B) La dérogation au principe de non-rétroactivité est autorisée même

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