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Le pouvoir discrétionnaire est l’alternative réelle de la liberté contractuelle des personnes publiques

La réfutation de la reconnaissance d’une liberté au profit des personnes publiques

B) Le pouvoir discrétionnaire est l’alternative réelle de la liberté contractuelle des personnes publiques

267. La difficulté des personnes publiques de se prévaloir d’une volonté autonome, ainsi que d’une liberté contractuelle ne doit pas signifier quelles ne disposent d’aucun choix dans le cadre de leurs relations contractuelles. En effet, si la liberté contractuelle, qui est un principe fondamental découlant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, peut justifier le pouvoir contractuel des particuliers, le pouvoir discrétionnaire peut jouer un rôle équivalent afin de justifier la marge d’appréciation dont les personnes publiques disposent en la matière.

a) Une convergence terminologique entre l’autonomie de la volonté et le pouvoir discrétionnaire

268. Selon la définition de Terré-Fornacciari, le terme « autonomie » désigne le pouvoir de se donner sa propre loi626, c’est-à-dire le droit qu’aurait un individu de se

gouverner par ses propres lois. Ledit pouvoir est mis en œuvre par l’intermédiaire de la volonté de l’individu qui est considérée comme lui permettant de créer des actes juridiques627. 269. La « volonté » se définit comme la faculté de vouloir, de déterminer librement d’agir ou de s’abstenir, en pleine connaissance de cause et après réflexion628. En d’autres termes, comme l’indique P. Foulquié, c’est « la faculté qu’à l’être pensant de se déterminer

d’après des raisons ou d’après des motifs »629. L’association des deux termes, l’autonomie de

la volonté, désigne ainsi la possibilité qu’a l’être humain de se déterminer librement à travers la création des actes juridiques, faculté qu’il détient en raison du pouvoir normatif de sa volonté.

Dans ce sens, l’autonomie de la volonté a été perçue comme la source principale de la moralité suprême. Pour Ranouil, « elle est le libre choix qu’à l’individu de se donner comme

sienne la loi morale et de s’y soumettre »630. Emmanuel Kant de son côté a considéré que « le

principe d’autonomie de la volonté (…) est toujours d’opter de telle sorte que la volonté puisse considérer les maximes qui déterminent son choix comme des lois universelles »631.

626 D. TERRE-FORNACCIARI, « l’autonomie de la volonté », Rev. Sc. morale et politique, 1995, P. 256. 627 M. MAHOUACHI, La liberté contractuelle des collectivités territoriales, précité, P. 39.

628 Petit Robert, 2010, P. 2739.

629 P. FOULQUIE, « La volonté », Coll. Que sais-je ?, PUF, n° 353, 7e éd., 1963, P. 7.

630 V. RANOUIL, L’autonomie de la volonté, naissance et évolution d’un concept, PUF, 1980, P. 9.

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270. Si la notion d’autonomie de la volonté se conçoit comme une liberté donnée aux particuliers, la notion de pouvoir discrétionnaire ne peut pas être envisagée selon la même perspective. Selon J-C Venezia, le pouvoir discrétionnaire est « la faculté de porter librement

certaines appréciations »632. Plus précisément, il désigne le pouvoir de l’administration

d’agir, de s’abstenir ou de décider avec une « marge » plus ou moins grande de « liberté », en fonction d'une appréciation d'opportunité. Ce pouvoir discrétionnaire n’est pas un pouvoir arbitraire dans la mesure où l’administration, dans son exercice, demeure soumise au principe de légalité. Sa marge de manœuvre ne permet qu’un nombre plus ou moins large de choix conformément à des règles et des comportements légaux.

271. Or peut on déduire que le pouvoir discrétionnaire, dont les autorités administratives se trouvent souvent investies, constitue à n’en pas douter et quelles que soient les limitations qui puissent lui être apportées par les textes et la jurisprudence, « une

illustration caractéristique du rôle joué par la volonté en droit administratif »633. Avec cette

analyse, on comprend aisément que les aspects communs de l’autonomie de la volonté et du pouvoir discrétionnaire se traduisent par la possibilité d’avoir et d’exercer des choix par le titulaire de l’un ou de l’autre quand il veut prendre une décision. Cependant, si cette possibilité de choisir est fondamentale pour les personnes privées, elle ne peut être pour les personnes publiques que marginale en raison de leur spécificité. Ces dernières sont en effet censées agir dans le cadre de leur compétence et afin de réaliser l’intérêt général.

b) Une marge d’appréciation ne doit pas être comprise comme une liberté contractuelle

272. Un des intérêts principaux de la reconnaissance du principe de liberté contractuelle est de constater que toutes les personnes qui en disposent jouissent du même niveau de liberté. L’application d’une telle idée aux personnes publiques produirait quelques difficultés. Tout d’abord, la variation de l’ampleur de la compétence dont chaque personne publique dispose, conduirait à un exercice inégalitaire de la liberté contractuelle selon la personne publique concernée. D’autre part, l’existence de la compétence elle-même entraînerait un exercice « partiel » de la liberté contractuelle. Dans ce contexte une question se pose : si l’on reconnaît que la liberté contractuelle peut être encadrée, peut-on cependant parler d’une liberté contractuelle des personnes publiques – mais – « partielle », c’est-à-dire

632 J.-C. VENEZIA, Le pouvoir discrétionnaire, Thèse, LGDJ, 1958, P. 7.

633 J.-C. VENEZIA, « Réflexions sur le rôle de la volonté en droit administratif », in. Études offertes à Pierre

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qui ne s’exerce que dans un domaine précis ? Ou, serait-il préférable de trouver un autre concept capable d’expliquer le pouvoir d’appréciation reconnu au profit de celles-ci ?

273. A notre avis le pouvoir discrétionnaire est le fondement le plus adapté pour justifier le pouvoir d’appréciation que les personnes publiques utilisent dans le cadre de leurs relations contractuelles. Il constitue une notion en même temps souple et vaste admettant, en principe, la possibilité d’encadrer ce pouvoir sans limite, car le pouvoir discrétionnaire traduit en réalité une capacité attribuée et non une liberté ; de ce fait il peut bien se concilier avec la compétence de chaque personne publique sans accorder d’importance à l’ampleur de leur aptitude contractuelle.

274. Dans son commentaire sur la réforme du Code des marchés publics de 2004, le professeur Richet considère le pouvoir discrétionnaire comme la véritable traduction du pouvoir d’appréciation attribué aux personnes publiques par ledit Code. Il souligne en effet qu’« il apparaît tout à fait inadéquat de rattacher à l’individualisme libéral le développement

de la liberté des acheteurs publics ; cela relève même du paradoxe étant donné que les acheteurs publics exercent une compétence dans l’intérêt général et non une liberté ; renforcer leur « liberté » c’est, en réalité, développer leur pouvoir discrétionnaire, qui ne peut revendiquer la qualité de « liberté ». Le développement du pouvoir discrétionnaire est même par certains côtés contraire au libéralisme pris dans son sens économique »634.

275. Ainsi, c’est l’intérêt général et la compétence qui font du pouvoir discrétionnaire l’alternative réelle de la liberté contractuelle où la personne publique pourrait trouver une justification de son pouvoir d’appréciation. G. Péquignot a déjà confirmé cette orientation dans sa théorie générale du contrat administratif en indiquant que « l’autonomie de la volonté,

ainsi entendue dans le sens de liberté contractuelle, a un correspondant dans le droit administratif : c’est le pouvoir discrétionnaire »635.

Une conception comparable se dégage également des œuvres d’A. Hauriou, J. Rivero et G. Vedel qui nient l’existence de l’autonomie de la volonté dans le droit administratif. En outre, P. Py précise dans sa thèse « le rôle de la volonté dans les actes administratifs

unilatéraux », et la position de ces auteurs en soulignant que « Défini comme la part d’initiative, d’indépendance juridique de l’administration, le pouvoir discrétionnaire

634 L. RICHER, « Le code du silence », à propos du Code des marchés publics de 2004, RDP, 2004, P. 1573. 635 G. PEQUIGNOT, La théorie générale du contrat administratif, Thèse, Pédone, Paris, 1945. Cité par S.

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correspondrait à l’autonomie de la volonté. Mais bien qu’ayant la même origine, autonomie de la volonté et pouvoir discrétionnaire s’opposeraient et justifieraient une différence entre le droit public et le droit privé. La satisfaction des besoins individuels et subjectifs serait du domaine propre de la volonté autonome en droit privé, alors que l’entreprise administrative serait soumise à une finalité précise, celle de l’intérêt public, déterminée par le législateur »636.

276. Enfin, il ne nous échappe pas de mentionner la position d’E. Picard à l’égard de la signification potentielle de la liberté contractuelle des personnes publiques. Selon lui, s’il faut trouver une définition de la liberté contractuelle, celle-ci ne pourrait être qu’une « liberté

administrative » ; cette liberté administrative n’est que le pouvoir discrétionnaire. En d’autres

termes, « cette liberté contractuelle ne correspondrait, en réalité, qu’au pouvoir des autorités

compétentes, au sein de cette personne publique, de décider de contracter, de choisir le cas échéant ses cocontractants, de fixer les clauses des contrats, de mettre en œuvre éventuellement les pouvoirs contractuels spécifiques aux contrats administratif. Ce pouvoir ne pourrait, au mieux, s’avérer que discrétionnaire, et l’on ne voit toujours pas, même si cette marge d’autonomie était large, que cette « liberté » puisse s’analyser en une véritable liberté »637.

Sous-section II

Des principes attachés à l’autonomie de la volonté avec des effets

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