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Le lien entre la liberté contractuelle et la sécurité juridique est indissociable

La sécurité juridique est le fondement du respect des engagements contractuels des personnes publiques

A) Le lien entre la liberté contractuelle et la sécurité juridique est indissociable

307. Dans son rapport public annuel de 2006, le Conseil d’Etat définit la sécurité juridique de la façon suivante : « le principe de la sécurité juridique implique que les citoyens

soient, sans que cela appelle de leur part des efforts insurmontables, en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit applicable. Pour parvenir à ce résultat, les normes édictées doivent être claires et intangibles, et ne pas être soumises, dans le temps, à des variations trop fréquentes, ni surtout imprévisibles »685. Au niveau contractuel, cette

formulation doit signifier que la protection des engagements résultant de la liberté contractuelle ne peut exister que par le respect de la sécurité juridique, car, celle-ci constitue

683 J.-D. DREYFUS, Contribution à une théorie générale des contrats entre personnes publiques, L’Harmattan,

1997, P. 316.

684 A. de LAUBADERE, F. MODERNE et P. DELVOLVE, Traité des contrats administratifs, 2e éd., t.1, n° 725,

P. 725.

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une règle générale protectrice pour toutes les relations contractuelles légalement conclues comme le confirme la jurisprudence.

a) La protection constitutionnelle de la liberté contractuelle via la sécurité juridique

308. La protection constitutionnelle de la liberté contractuelle par le principe de la sécurité juridique a été établie même avant de reconnaître à cette liberté une valeur constitutionnelle686. En effet, la liberté contractuelle, ou plus précisément ses effets, a pu être

protégée d’une manière accessoire puis directe. Dans ce contexte, le principe de la sécurité juridique avait l’occasion à plusieurs reprises d’assumer une telle mission par l’interdiction des atteintes aux contrats légalement conclus, ainsi que de l’économie de ces conventions.

309. Ainsi, par sa décision du 10 juin 1998, le Conseil constitutionnel va considérer une protection indirecte de la liberté contractuelle via le principe de la sécurité juridique en déclarant que : « le législateur ne saurait porter à l'économie des conventions et contrats

légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 »687. Même en l’absence de mention expresse de la liberté contractuelle, cette

formulation a été interprétée par certains en tant que consécration de rang constitutionnel de la liberté contractuelle688.

310. Le même raisonnement se répétera dans la décision du 23 juillet 1999 lorsque le juge constitutionnel décide, en utilisant des termes très voisins, que : « S’il est loisible au

législateur d’apporter, pour des motifs d’intérêt général, des modifications aux contrats en cours d’exécution, il ne saurait porter à l'économie des contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen »689. Il s’agit ainsi d’une autre

décision accordant à la liberté contractuelle une protection indirecte via le principe de la sécurité juridique, ou plus précisément l’économie des contrats légalement conclus. A l’occasion de son contrôle sur la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, le

686 La première décision constitutionnelle qui reconnait à la liberté contractuelle une valeur constitutionnelle est

la décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000, cons. n° 37, Rec. P. 190.

687 C.C., Déc. n° 98-401 DC du 10 juin 1998, Loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de

travail, cons. n° 29, Rec. P. 258.

688 F. MODERNE, « La liberté contractuelle est-elle vraiment et pleinement constitutionnelle ? », RFDA, 2006,

P. 8.

689 C.C., Déc. n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, Loi portant création d'une couverture maladie universelle, cons.

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Conseil constitutionnel aura la possibilité de révéler, encore une fois, une attitude protectrice des engagements légalement conclus. En effet, la Haute Juridiction constitutionnelle signalera à nouveau que : « s'il est loisible au législateur d'apporter, pour des motifs d'intérêt général,

des modifications à des contrats en cours d'exécution, il ne saurait porter à l'économie de contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen »690. Le concept d’économie des contrats et des conventions utilisé par le juge

constitutionnel avait déjà était formulé par la Cour de cassation691 en posant aussi quelques

difficultés d’appréhension de son contenu. Pour le doyen Mestre, cette notion touche à l’impératif de sécurité contractuelle692. Certains estiment également qu’elle protège la

« prévisibilité des contrats »693 ou, pour d’autres, le « respect par les tiers au contrat (…) des

stipulations prévues par le contrat »694.

311. En tout état de cause, la protection constitutionnelle indirecte de la liberté contractuelle via la sécurité juridique n’a pas seulement été limitée à l’économie des conventions légalement conclues, elle a aussi été étendue à n’importe quelle atteinte à ces contrats. L’exemple ici est la décision du Conseil constitutionnel du 13 janvier 2003 à propos de la loi relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l’emploi. Le juge constitutionnel, et à l’instar de ce qu’il a mentionné à propos de l’économie des conventions légalement conclues, va accorder son soutien à tous les engagements contractuels en indiquant que « le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit

justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 »695.

690 C.C., Déc. n° 2000-436 DC du 07 décembre 2000, Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains,

cons. n°50, Rec. P. 176.

691 Cass. com., 3 janvier 1996, inédit, RJDA, 1996, n° 490, P.353 ; Cass. com., 16 janvier 1996, Bull. 1996. IV,

n° 21, P. 15 ; Cass. com., 26 mars 1996, inédit ; Cass. civ. 3e, 6 décembre 1995, Bull. 1995, III, n° 250, P. 168 ;

Cass. civ. 1er, 3 juillet 1996, inédit, cités par J. Mestre, « L’économie du contrat », RTD civ., 1996, n° 4, PP. 901-

904.

692 J. MESTRE, « L’économie du contrat », RTD civ., 1996, n° 4, PP. 903-904.

693 N. MOLFESSIS, « Le Conseil constitutionnel redécouvre le droit civil », RTD civ., 1998, n° 3, P 799. 694 B. MATHIEU, « La sécurité juridique, un principe constitutionnel clandestin mais efficient », in Mélanges

Patrice Gélard, Droit constitutionnel, Montchrestien, LGDJ, 1999, P. 304.

695 C.C., Décision n° 2002-465 DC du 13 janvier 2003, Loi relative aux salaires, au temps de travail et au

développement de l'emploi, cons. n° 4, Rec. P. 43 ; V. aussi C.C., Déc. n° 2008-568 DC du 07 août 2008, Loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, cons. n° 18, Rec. P. 352 ; C.C., Déc. n° 2009-578 DC du 18 mars 2009, Loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, cons. n° 13, Rec. P. 73 ; C.C., Déc. n° 2011-177 QPC du 07 octobre 2011, M. Éric A. [Définition du lotissement], cons. n° 6, Rec. P. 495 ; C.C., Déc. n° 2012-649 DC du 15 mars 2012, Loi relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives, cons. n° 13, Rec. P. 142.

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De même, une décision du Conseil constitutionnel rendue le 12 février 2004 relative à la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française reprendra quasiment mot pour mot la formulation précitée : « le législateur ne saurait permettre que soit portée aux

contrats légalement conclus une atteinte qui ne serait justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ; qu'en l'absence d'un tel motif, seraient en effet méconnues les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 »696.

312. Par ces énonciations, le juge constitutionnel montre la forte relation qui existe entre la liberté contractuelle et la sécurité juridique en soulignant que la protection des contrats légalement conclus, élément de la liberté contractuelle, découle non seulement du principe de la liberté mais également du principe de sécurité juridique697. Ainsi, la liberté

contractuelle dans ce domaine ne peut se présenter que sous l’angle de la sécurité juridique698. 313. Toutefois, la relation entre la liberté contractuelle et la sécurité juridique dans la jurisprudence constitutionnelle n’a pas toujours été implicite. En effet, le juge constitutionnel a mentionné plusieurs fois les deux principes simultanément. Un an après la reconnaissance à la liberté contractuelle de la valeur de principe constitutionnel, le Conseil constitutionnel aura l’occasion de lier les deux principes d’une manière directe. Ainsi, après avoir rappelé qu’il est loisible au législateur d’apporter, pour des motifs d'intérêt général, des modifications à des contrats en cours d’exécution, il précise que le législateur « ne saurait porter à l'économie des

contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration de 1789 »699. En l’espèce,

les députés requérants avaient contesté les dispositions par lesquelles le législateur avait porté atteinte à la liberté contractuelle en imposant aux entreprises concernées la résiliation des contrats d’assurance en cours d’exécution, et en fixant pour la résiliation de ces contrats afférents au régime d’assurances antérieur une date qui ne laisserait aux entreprises concernées qu’un délai d’adaptation très insuffisant.

314. Finalement, la Haute Juridiction constitutionnelle exprimera clairement le lien indissociable entre ces deux principes, à l’égard de la protection des engagements contractuels, en utilisant une formulation indéniable. Le juge considère que : « d'une part, il

696 C.C., Déc. n° 2004-490 DC du 12 février 2004, Loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie

française, cons. n° 93. Rec. P. 41.

697 Voir dans ce sens, B. MATHIEU et M. VERPEAUX, LPA, 2003, n° 66, PP. 18-26, P. 25. 698 A. DUFFY, « La constitutionnalisation de la liberté contractuelle », RDP, 2006, P. 1582.

699 C.C., Déc. n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001, Loi portant amélioration de la couverture des non salariés

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est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle qui découlent de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ; que, d'autre part, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 »700.

b) La protection de la liberté contractuelle via la sécurité juridique par le juge administratif

315. Le mouvement de protection des contrats légalement conclus ne sera pas seulement réservé au juge constitutionnel, celui-ci sera complété par la démarche du juge administratif, et plus précisément, du Conseil d’Etat701. Ainsi, dans l’arrêt d’Assemblée

Société KPMG702, le Conseil d’Etat aura l’occasion de se prononcer en la matière. Tout

d’abord, la Haute Juridiction administrative va rappeler que le principe de la sécurité juridique dit « confiance légitime », qui fait partie des principes généraux du droit communautaire, ne trouve à s'appliquer dans l’ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par le droit communautaire. Il juge, ensuite, qu’« une disposition législative ou réglementaire nouvelle ne peut s'appliquer à des

situations contractuelles en cours à sa date d'entrée en vigueur, sans revêtir par là même un caractère rétroactif ; qu'il suit de là que, sous réserve des règles générales applicables aux contrats administratifs, seule une disposition législative peut, pour des raisons d'ordre public, fût-ce implicitement, autoriser l'application de la norme nouvelle à de telles situations ».

Enfin, si tel est le cas, «il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, une réglementation nouvelle ; qu'il en va ainsi en particulier lorsque les règles nouvelles sont susceptibles de porter une atteinte excessive à des situations contractuelles en cours qui ont été légalement nouées ». La formulation du juge administratif est très claire, les engagements

légalement conclus ne sauraient être touchés que par la loi et pour des raisons d’ordre public. Dans ce cas et pour qu’elle soit applicable, une réglementation est exigée afin de mettre en œuvre une telle législation.

700 C.C., Déc. n° 2013-672 DC du 13 juin 2013, Loi relative à la sécurisation de l'emploi, cons. n° 6, JORF du 16

juin 2013 p. 9976, texte n°2.

701 Ph. TERNEYRE, « Secteur public et concurrence : la convergence des principes », AJDA, 2007, P. 1909. 702 CE, Ass. 24 mars 2006, Société KPMG, req. n° 288460, Lebon. P. 154 ; RFDA 2006, P. 463, concl. Y.

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316. La sécurité juridique constitue désormais un nouveau terrain avec lequel la juridiction administrative peut accorder à la liberté contractuelle une protection considérable. Celle-ci est le produit de la création d’une nouvelle voie de recours permettant aux requérants de demander au Conseil d’Etat d’envoyer les dispositions législatives soupçonnées d’inconstitutionnalité au Conseil constitutionnel : la « question prioritaire de

constitutionnalité ».

Dans le cadre de son contrôle de ce type de demandes, le Conseil d’Etat va estimer sérieux le recours par lequel la Société Electricité de France a demandé d’envoyer au Conseil constitutionnel l’article L. 214-4 du Code de l’environnement afin de vérifier sa conformité avec la Constitution703. Aux termes du II de cette article « L'autorisation704 peut être retirée

ou modifiée, sans indemnité de la part de l'État exerçant ses pouvoirs de police dans les cas suivants : (...)/ 3° En cas de menace majeure pour le milieu aquatique, et notamment lorsque les milieux aquatiques sont soumis à des conditions hydrauliques critiques non compatibles avec leur préservation ». Cette formulation, selon la société requérante, implique une atteinte

manifeste à ses contrats en cours, ainsi qu’à sa liberté contractuelle qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La Haute Juridiction administrative a été dans le même sens en considérant que « le moyen tiré de ce qu'elle « la disposition » porte

atteinte, en tant qu'elle s'applique aux concessions hydroélectriques, aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment à la liberté contractuelle et au droit au maintien de l'économie des conventions légalement conclues garantis par les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 (…) soulève une question présentant un caractère sérieux ». En conséquence, « il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ».

L’analyse de l’ensemble de ces décisions nous conduit à conclure que la relation entre la liberté contractuelle et la sécurité juridique au regard de la protection des contrats légalement conclus est très forte et même indissociable. Cependant, cette vision ne doit pas être généralisée à tous les types de contrats car si l’idée est pertinente dans le cas des contrats de droit privé, elle ne peut avoir la même envergure pour les contrats administratifs.

703 CE, 15 avril 2011, Société Electricité de France, req. n° 346459.

704 De travaux, installations ou activités présentant un caractère temporaire et sans effet important et durable sur

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B) Le respect des engagements contractuels en droit administratif est le

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