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Le cas du choix entre la gestion directe et la gestion déléguée

La délimitation du choix du mode de gestion du service public 361 La diversité des tâches des personnes publiques incite ces dernières à trouver la

A) Le cas du choix entre la gestion directe et la gestion déléguée

362. A ce stade de notre étude, convenons que la personne publique dispose, à l’égard du mode de gestion de son service public, d’une « liberté de choix » relativement non négligeable. Cependant, les textes et la jurisprudence apportent une limitation progressive à ce choix en rendant la liberté contractuelle très encadrée, voire même en tendant, dans certains cas, à la faire disparaître.

363. Selon les professeurs Guglielmi et Koubi, « jusqu’à l’intervention du législateur

au début des années 1990, l’autorité délégante disposait par principe d’une grande liberté de choix qui ne poussait guère le juge administratif à distinguer les étapes et les composantes du choix. Mais depuis les lois des 6 février 1992 et 29 janvier 1993, la liberté de choix a rencontré ses premières limites dans des textes qui autorisent non seulement un contrôle juridictionnel plus approfondi à terme, mais aussi une analyse juridique plus fine du processus de passation »774.

364. Historiquement, la liberté – ou il convient mieux de dire « l’autonomie » – de choix entre la gestion directe « en régie » et l’habilitation d’une personne tierce a connu une évolution parallèle à celle de l’intervention générale par voie de service public dans l’économie. En effet, du 19e siècle jusqu’aux années 1930, la liberté de délégation du service

public n’était qu’une apparence trompeuse résultat d’un double phénomène775. D’un côté, la

possibilité d’intervention dans l’économie était limitée par la tutelle de l’Etat et par la protection des deniers publics. D’un autre côté, la jurisprudence de cette époque n’a reconnu

773 M. MAHOUACHI, La liberté contractuelle des collectivités territoriales, Thèse, PUAM, 2002, P. 280. 774 G.-J. GUGLIELMI et G. KOUBI, Droit du service public, Montchrestien, 3e éd. 2011, P. 444. 775 Ibid. P. 447.

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cette intervention comme régulière qu’à la condition de ne pas porter atteinte au principe de liberté du commerce et de l’industrie776. Or, comme le mode de gestion, « de principe », des activités industrielles et commerciales est le recours à l’entreprise privée, l’intervention par voie de service public dans ces activités, sous la pression du contrôle du juge, a été réalisée par habilitation d’une personne privée777.

365. Si le principe de libre choix du mode de gestion des services publics est aujourd’hui justifié par l’argumentation du commissaire du gouvernement Romieu dans ses conclusions sur l’arrêt Babin778, il nous semble aussi nécessaire de savoir sur quels

fondements réside cette liberté de choix.

a) Des fondements inévitables de la « liberté » du choix

366. De multiples éléments peuvent constituer des fondements à cette liberté « autonomie » du choix ; des fondements constitutionnels, législatifs et européens.

367. S’agissant des fondements constitutionnels, on peut distinguer entre deux types d’institutions, étatique et locale. Ainsi, dans le cadre de l’exercice de la souveraineté nationale, les organes de l’Etat, qu’il s’agisse du pouvoir législatif ou exécutif, disposent d’une liberté d’appréciation pour intervenir dans le choix des moyens mis en œuvre. Si le pouvoir du législateur n’est pas négligeable en la matière, celui de l’exécutif mérite une précision.

Sur le fondement de l’article 37 de la Constitution le pouvoir réglementaire bénéficie d’une clause générale de compétence dont on peut déduire que dans le silence de la loi, quant au mode de gestion à choisir, les autorités administratives concernées disposeront d’un pouvoir de décision individuelle sur le choix du mode de gestion du service public779.

De même, de l’article 72 de la Constitution résulte le principe de la libre administration des collectivités territoriales. Une des modalités d’exercice de ce principe, qui est organisé par l’article 34 de la Constitution, implique que lesdites collectivités disposent du

776 D. d’Allarde des 2 et 17 mars 1791, art. 7.

777 CE, 29 mars 1901, Casanova, Rec. P. 333. S. 1901, III, 73, note Hauriou ; CE, 30 mai 1930, Chambre

syndicale du commerce en détail de Nevers, Rec. 583, RDP, 1930, P. 530, concl. Josse, S. 1931, III, P. 73, note Alibert ; CE, 24 novembre 1933, Zénard, Rec. P. 1100, S. 1934, III, P.105, concl. Detton, note Mestre ; CE, 20 novembre 1964, Ville de Nanterre, Rec. P. 562, AJDA, 1964, P. 686, chron.

778 CE, 4 mai 1906, Babin, Rec. P. 363. V. aussi CE, 23 juin 1933, Planche, RDP, 1934, P. 267. 779 G.-J. GUGLIELMI et G. KOUBI, Droit du service public, op. cit., P. 450.

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pouvoir de choisir le mode de gestion des services publics locaux qui entrent dans le cadre de leur compétence en application de la notion d’affaires locales.

368. De plus, le législateur, et notamment s’agissant du niveau local, édicte des lois fournissant le cadre principal de l’intervention dans le cadre normatif de la décentralisation. En effet, on constate que les lois de décentralisation ont posé de manière générale le principe de la liberté de choix du mode de gestion des services publics. C’est le cas par exemple de l’article L. 1111-2 du Code général des collectivités territoriales qui prévoit que « Les

communes, les départements et les régions règlent par leurs délibérations les affaires de leur compétence ». Ainsi lesdites lois précisent surtout la compétence des assemblées locales pour

régler, par leurs délibérations, les affaires locales relevant de leur niveau d’administration. Ces affaires locales comprennent les services publics locaux, et en particulier l’organisation de leur gestion, y compris le choix du mode de gestion780.

369. Enfin, on estime que le droit européen a pu, jusqu’à présent, jouer un rôle positif au profit du principe de libre choix du mode de gestion du service public. En effet, force est de constater, selon les professeurs Guglielmi et Koubi, que les textes d’origine européenne ne remettent nullement en question la liberté de choix du mode de gestion des services publics. « Au contraire, la liberté de choix demeure le principe pour chaque Etat membre, car elle est

considérée comme liée à sa souveraineté nationale. La jurisprudence européenne se garde bien de contraindre le choix stratégique entre gérer en régie ou bien en délégation781. Une

telle attitude est d’ailleurs renforcée par l’article 345 TFUE (ex-222 TCE) qui interdit aux organes européens d’intervenir directement dans le régime de la propriété de chacun des Etats membres. La forme juridique des entreprises bénéficiaires d’une habilitation à gérer un service public, ou entreprises chargées d’activités d’intérêt général, est donc laissée à l’entière liberté d’appréciation des Etats membres »782.

370. Si de tels fondements ne sont pas négligeables pour reconnaître le principe dit de « la liberté du choix du mode de gestion des services publics » sur un plan théorique, on se demande si sur un plan pratique ledit principe peut produire des effets.

780 Ibid. P. 452.

781 CJCE, 11 janvier 2005, aff. C-26/03, Stadt Halle et RPL Lochau, Rec. P. I-1, AJDA, 2005, P. 898, note Rolin. 782 G.-J. GUGLIELMI et G. KOUBI, Droit du service public, précité, P. 453-454.

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b) Des restrictions considérables de la liberté de choix

371. La reconnaissance de l’existence d’un principe de libre choix du mode de gestion du service public ne doit pas nous conduire à imaginer que la personne publique dispose d’une autonomie absolue en la matière. Force est de constater en effet que le juge administratif et le législateur fournissent des dispositions limitant, voire supprimant ce choix. Quelques exemples permettent d’illustrer cette tendance.

I- Restrictions jurisprudentielles

372. A titre d’exemple, et sur le fondement de l’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946, le Conseil d’Etat a jugé que, quel que soit le rang de l’entreprise publique, seule la loi peut décider de privatiser une entreprise au cas où elle gère un service public rattaché à l’Etat783. Ici le mode de gestion n’est donc plus le résultat d’un choix.

373. Au niveau local, les collectivités territoriales ont pu recevoir du juge administratif, via le principe constitutionnel de libre administration, une liberté de choix du mode de gestion des services publics784. Cependant cette reconnaissance n’a pas privé le juge

de poser progressivement des restrictions à leur choix. A ce sujet, et à l’égard de l’information des élus locaux, le Tribunal administratif d’Orléans indique que l’information et la documentation des membres du conseil municipal sur les affaires de la commune constituent une mission de service public incombant à la commune elle-même et qu’il lui appartient donc de l’administrer et de la financer directement785. En l’espèce, la Commune de Bourges avait

confié, par une délibération, à une association le soin d’assurer aux conseillers municipaux une connaissance approfondie des règles régissant la vie de la commune. De même, le Conseil d’Etat va limiter cette autonomie contractuelle dans certains domaines. Dans ce cadre, il interdira aux départements de confier à une personne de droit privé la mission de prévention des maladies mentales juvéniles. La Haute Juridiction administrative jugera en effet que « considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces dispositions législatives et réglementaires que

le département n’est habilité à contracter avec des organismes de droit public ou de droit privé… qu’en vue de compléter les conventions d’association que sont tenus de souscrire les hôpitaux psychiatriques départementaux, ainsi que le prévoit d’ailleurs l’article 6 de l’arrêté susmentionné… Les dispositions législatives n’autorisent pas ces collectivités locales à

783 CE, 30 juin 1995, Union des syndicats CGT de la Caisse des dépôts, req. n° 150716, CJEG, 1996, P. 23,

concl. Bonichot.

784 V. en ce sens, CE, ass. 12 décembre 2003, Département des Landes, req. n° 236442 ; AJDA, 2004, P. 195 ;

CE, 6 avril 2007, Commune d’Aix en Provence, req. n° 284736, AJDA, 2007, P. 793.

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conclure une convention ayant pour objet ou pour effet, comme c’est le cas pour la convention litigieuse, de confier à une personne de droit privé la mission de prévention… qui incombe au département lui-même »786.

II- Restrictions législatives

374. Si l’analyse des textes législatifs généraux montre une orientation vers la reconnaissance du principe de libre choix du mode de gestion des services publics, le régime juridique en vigueur révèle que beaucoup de textes spéciaux de nature législative imposent le mode de gestion, parfois dès sa création, ou limitent son choix. Ce constat est confirmé par Thierry Dal Farra qui estime qu’« une matière peut être regardée comme indélégable par

nature, en raison d’un ensemble de dispositions législatives »787. L’ampleur de ces limitations

nous conduit à constater que le rapport entre principe – exception devient paradoxal, car les exceptions, qui augmentent progressivement, deviennent de plus en plus la règle en la matière.

375. Les exemples sont très nombreux citons notamment la conservation des archives communales qui doit être assurée par les collectivités territoriales elles-mêmes. L’article L. 212-6 du Code du Patrimoine est très clair sur ce point : « Les collectivités territoriales sont

propriétaires de leurs archives. Elles en assurent elles-mêmes la conservation et la mise en valeur ». Autrement dit, elles doivent assurer personnellement cette mission. Le texte même

autorise une dérogation très limitée à cette interdiction à l’égard des régions et la collectivité territoriale de Corse. En effet, ces collectivités peuvent assurer elles-mêmes cette mission ou la confier respectivement par voie contractuelle au service d’archives du département où se trouve le chef-lieu de la région ou de la collectivité territoriale de Corse. La même règle est appliquée aux groupements des collectivités territoriales788. En outre, le Code général des

collectivités territoriales vient poser des limites du choix du mode de gestion de certains services publics. L’article L. 1424-1 de ce Code prévoit notamment le devoir de créer dans chaque département un établissement public dénommé « service départemental d’incendie et

de secours », dont le but est d’assurer « la prévention, de la protection et de la lutte contre les incendies »789. Cette disposition a pour effet d’imposer le mode de gestion des services de

secours par un établissement public et donc ne leur permet de contracter que dans les matières

786 CE, 17 mars 1989, Syndicat des psychiatres français, req. n° 50176 ; AJDA, 1989, P. 407, obs. X. Prétot. 787 Y. GAUDEMET, B. STIRN, Th. DAL FARRA, F. ROLLIN, Les grands avis du Conseil d’Etat, Dalloz,

1997, P. 249.

788 Voir l’article L. 212-6-1 du Code du Patrimoine.

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de gestion non opérationnelles. Précisément, « l'établissement public susmentionné… peut

passer avec les collectivités locales ou leurs établissements publics toute convention ayant trait à la gestion non opérationnelle du service d'incendie et de secours »790. Par voie de

conséquence, la mission principale de ces établissements doit toujours rester à leur charge. De même, la loi Montagne791 prévoit la même obligation au niveau des communes, en indiquant qu’elles ont le devoir d’organiser les secours en montagne sans pouvoir déléguer cette mission.

376. L’imposition du mode de gestion792 peut se produire également dans tous les

domaines qui impliquent une mission de service public comme c’est le cas lorsque la loi impose aux communes le recours à la formule de l’établissement public pour leur centre communal d’action sociale793, leur caisse des écoles794, ou encore leur caisse de crédit

municipal795. L’imposition peut aussi résulter d’un acte du pouvoir réglementaire, c’est le cas

par exemple de l’ordonnance du 7 janvier 1959796 relative à la voirie des collectivités

territoriales qui impose sa gestion en régie directe.

377. Avec de telles et multiples restrictions, peut-on parler concrètement d’une liberté du choix du mode de gestion des services publics « efficace » ?

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